La femme au secours du sport dans les pays arabes?

La Tunisienne Nihel Cheikh Rouhou (blanche) et la Chinoise Xu Shiyan s'affrontent dans l'épreuve éliminatoire de judo femmes +78 kg lors des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 au Nippon Budokan à Tokyo le 30 juillet 2021. (Photo, AFP)
La Tunisienne Nihel Cheikh Rouhou (blanche) et la Chinoise Xu Shiyan s'affrontent dans l'épreuve éliminatoire de judo femmes +78 kg lors des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 au Nippon Budokan à Tokyo le 30 juillet 2021. (Photo, AFP)
Short Url
Publié le Mardi 24 août 2021

La femme au secours du sport dans les pays arabes?

La femme au secours du sport dans les pays arabes?
  • La percée du sport féminin est aujourd’hui l’un des traits remarquables des pays du Moyen-Orient et du Maghreb
  • Depuis les Jeux de Londres en 2012, les disciplines féminines des Jeux olympiques d’été obtiennent dorénavant plus d’espace aux heures de grande écoute que les sports masculins

Absentes du modèle antique que Pierre de Coubertin avait voulu recréer, les femmes furent exclues des Jeux olympiques modernes et la première édition d'Athènes, en 1896, ouvrit sans aucune femme. Coubertin ne cachait d’ailleurs pas son opposition à toute participation féminine: «Les olympiades femelles» (sic) sont «inintéressantes, inesthétiques et incorrectes». Mais «célébrer la jeunesse universelle et le printemps humain» ne peut concerner que la population masculine car le sport au féminin a de plus en plus la cote. Sa percée est aujourd’hui un des traits remarquables, notamment dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb.

Cet engouement pour le sport féminin est un phénomène mondial. Déjà en 2017, l’étude Sports Survey de PWC relevait que seule la Women’s Tennis Association voyait l’âge médian de ses spectateurs rajeunir (de huit ans entre 2006 et 2016), alors que toutes les autres «vieillissaient», de trois ans pour les Jeux olympiques d’été, de cinq ans pour le golf (PGA Tour) et le tennis masculin (circuit ATP), ou de sept ans pour le hockey sur glace (Ligue nationale de hockey).

Depuis les Jeux de Londres en 2012, les disciplines féminines des Jeux olympiques d’été obtiennent plus d’espace aux heures de grande écoute que les sports masculins: le site FrancsJeux relève que 59,1% de la couverture des Jeux de Tokyo par NBC en prime time a été consacrée aux épreuves féminines et mixtes. La Coupe du monde féminine de football de 2019 a rassemblé 1,12 milliard de téléspectateurs et la finale États-Unis/Pays-Bas a attiré un total de 263,62 millions de téléspectateurs uniques. Cette visibilité et l’attractivité du sport féminin sont également notables dans les médias sociaux.

Ce dynamisme du sport féminin se retrouve dans les pays arabes: «La femme arabe a sa place dans la société » déclara la Tunisienne Inès Boubakri après sa médaille de bronze en escrime aux Jeux de Rio en 2016. 

Un constat d’autant plus pertinent alors que ces femmes arabes remportèrent, avec six médailles, une proportion de titres olympiques sans précédent (neuf pour les hommes). Depuis leur première participation aux Jeux olympiques, en 1972 à Munich, elles n’avaient remporté en tout que dix médailles, dont deux à Londres en 2012, tandis que les hommes en avaient récolté cinquante-neuf.

Au niveau paralympique, les performances arabes deviennent aussi impressionnantes. Plusieurs pays - Irak, Égypte et Algérie - ont remporté plus de médailles paralympiques que olympiques. Pour Tokyo, on pourra regretter l’absence de la Bahreïnie Fatema Nedham, 3 participations paralympiques et médaille d’or à Rio 2016 (Lancer de poids, F53) mais on suivra avec attention Sarah Al-Jumaah et Maryam al-Muraisel, les premières athlètes saoudiennes à participer à des Jeux Paralympiques, la tunisienne Maroua Ibrahmi (4 médailles d’or au Championnat du monde parathlétique) ou encore la jeune nageuse égyptienne, Ayatallah Abbas.

Depuis la performance de Nawal el-Moutawakel, médaille d’or à Los Angeles 1984 et première femme arabe à se distinguer au niveau international (membre du bureau de l’IAAF [anciennement International Association of Athletics Federations, désormais World Athletics, NDLR] en 1995, vice-présidente du Comité international olympique [CIO], présidente de la Commission de coordination de Rio 2016), plusieurs femmes arabes ont œuvré au plus haut niveau de l’administration du sport.

Longtemps décriés par la presse occidentale et les organisations sportives internationales, les pays arabes et les monarchies du Golfe soutiennent activement les structures dédiées aux athlètes féminines et s’engagent en parallèle dans la responsabilisation des femmes dans les organisations sportives. En Arabie saoudite, il y a désormais vingt-trois équipes féminines nationales qui portent haut les couleurs et les ambitions du Royaume. «Sur les soixante-quatre fédérations saoudiennes, trente-huit ont des femmes dans leurs conseils d'administration, avec l’objectif conjoint de la féminisation du sport et du développement global de l'écosystème sport et santé», a ainsi déclaré le prince Abdelaziz Turki al-Faisal, le ministre saoudien des Sports.

Il sera intéressant de voir si ces efforts déborderont du cadre purement régional et culturel du monde arabe. En effet, il y a une critique croissante de la sexualisation du corps sportif et de certains médias, pour lesquels le sport féminin semble ne plus être qu’un prétexte et dont l’objectif serait l’exhibition du corps. L’analyse de la couverture télévisuelle olympique par la chaîne NBC confirme ce biais sexiste: les images des compétitions féminines insistent en moyenne dix fois plus sur le corps d’une athlète et/ou une partie spécifique de son anatomie que dans les compétitions masculines. 

Les athlètes femmes refusent dorénavant cette hyper-sexualisation. Les athlètes allemandes de gymnastique ont ainsi exigé des tenues qui couvrent leurs jambes, malgré les menaces de sanction de la Fédération de gymnastique. L'équipe norvégienne de handball de plage féminin a été quant à elle condamnée à une amende de 150 euros par joueuse pour avoir porté des shorts au lieu des «bas de bikinis réglementaires» (sic)…

En valorisant le sport féminin, les athlètes et dirigeantes sportives arabes proposent de facto une image différente de la femme sportive, plus «modeste», au sens étymologique. Le latin modestus signifie «rester dans la mesure» et porte en lui cet impératif de respect. 

Les normes de modestie dépendent de la culture et du contexte et elles varient considérablement en fonction des régions et des époques. Mais on peut être certain que ces considérations sont partagées par les figures féminines montantes du sport arabe, qu’il s’agisse de cheikha Hayat al-Khalifa, présidente de la Commission «femme et sport» du Conseil olympique d'Asie et membre de la Commission «femme et sport» du CIO, ou de la princesse Reema benta Bandar al-Saoud, dont les engagements en faveur du sport féminin ont été reconnus par les membres du CIO, qui en ont fait une de leurs pairs… De puissantes recrues, qui vont pouvoir renforcer le travail initié depuis vingt-cinq ans par El-Moutawakel.
 

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et e-sports du futur.