Les vieilles habitudes ont la vie dure dans les relations tendues entre Israël et le Hezbollah, milice libanaise soutenue par l'Iran, et le modèle de leur interaction ne manque jamais de porter le germe d'une escalade, planifiée ou non.
Cependant, trois jours de tirs de roquettes plutôt inutiles à travers la frontière du Liban vers Israël ce mois-ci, initiés par des factions palestiniennes et provoquant des représailles israéliennes mesurées, représentent un changement inquiétant. C'est la première fois depuis la guerre de 2006 que le Hezbollah tire des roquettes sur Israël. Israël et le Hezbollah ont tous deux essayé de marquer un point par cet échange, mais s'il y en avait un, il serait difficile à détecter, au-delà de la volonté de démontrer leur relation stable mais fragile de dissuasion mutuelle. Les dommages subis par les deux parties étaient négligeables et, comme d'habitude, c’est la rhétorique au vitriol qui s'en est suivie qui a menacé de mettre le feu aux poudres.
Cependant, dans de telles flambées d'hostilité entre Israël et le Hezbollah, il y a plus que des problèmes strictement locaux en jeu. Les facteurs régionaux et internationaux pèsent lourd, en particulier les intentions malveillantes et les opérations déstabilisatrices de l'Iran. Les nouveaux gouvernements en Israël et en Iran augmentent le sentiment d'incertitude. L'impact cumulé de la montée des tensions entre eux sur plusieurs fronts menace d'exploser à un endroit et de s'étendre à d'autres, et la frontière israélo-libanaise est l'un de ces théâtres d'affrontement constamment au bord de l'embrasement.
Ce qui rend l'antagonisme fondamental entre Israël et le Hezbollah plus propice à l'escalade, ce sont les systèmes politiques chroniquement instables des deux côtés ; le Liban en particulier risque de devenir ingouvernable, ce qui permettrait au Hezbollah d'opérer à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du système et de servir principalement ses propres intérêts indépendamment de ceux du pays dans son ensemble. Les capacités militaires destructrices des deux parties les ont longtemps dissuadées de se lancer dans une tentative insensée de vaincre l’autre, mais d'un autre côté, elles ont maintenu un niveau dangereux de volatilité le long d'une frontière qui est toujours sur le fil du rasoir.
Pour le Premier ministre israélien Naftali Bennett, qui se fait passer pour un faucon politique, le danger d'être entraîné dans un conflit dont Israël ne gagnerait pas grand-chose et qui ferait le jeu du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah est réel, valorisant l’image de celui qui résiste à la puissance de l'État juif. Pour Nasrallah, la confrontation avec Israël est un outil pour dynamiser le pouvoir et l'influence décroissante de son organisation dans la politique libanaise.
Israël doit surveiller de près les événements nationaux au Liban, mais il doit éviter de donner à son ennemi juré une excuse pour détourner l'attention de ces événements en réagissant de manière excessive.
Yossi Mekelberg
Un tel conflit a éclaté en 2006 quand Ehud Olmert, qui faisait débutait en tant que Premier ministre israélien et avait également un ministre de la Défense novice, a répondu à une provocation du Hezbollah qui a conduit à une guerre. Bien qu’il ait depuis forcé Nasrallah à la clandestinité, l’obligeant à constamment changer de cachette, ce conflit a également exposé les vulnérabilités d’Israël. Dans les années qui ont suivi, le Hezbollah a augmenté ses capacités militaires de manière exponentielle, de façon à frapper n'importe quel centre de population en Israël, mais il est également conscient que les représailles d'Israël seront forcément douloureuses de manière disproportionnée.
Cela a conduit à un rapport de force alarmant entre le Hezbollah et Israël qui ne peut pas se permettre de paraître faible face aux comparses de Téhéran, qui prospèrent dans la confrontation avec l'État juif. Lorsqu'un membre de la coalition israélienne du parti de gauche Meretz, Ghaida Rinawie Zoabi, déclare que si Israël se lançait dans une campagne militaire, son parti et le parti palestino-israélien Raam démissionneraient de la coalition et feraient ainsi tomber le gouvernement, cela met la pression sur Bennett pour qu'il riposte afin de maintenir sa crédibilité auprès de la droite en Israël.
La réalité est beaucoup plus complexe que les deux parties ne le souhaiteraient, et la dissuasion fonctionne mieux lorsqu'elle n'a pas à être prouvée sur le champ de bataille. L'expérience d'Israël au Liban a été une expérience amère et coûteuse d'enchevêtrement sans aucune réalisation politique. Les incursions prolongées à travers la frontière sont coûteuses et incapables d'atteindre des objectifs à long terme dans un pays totalement fragmenté, où le Hezbollah a établi un État dans l'État et est de loin la puissance militaire la plus dominante du Liban.
Cependant, le Hezbollah est de plus en plus la cible politique de son pays, et bien qu'à ses débuts il ait été considéré comme radical mais au moins exempt de corruption et représentant quelque chose d'authentique et de différent de la scène politique libanaise alambiquée habituelle, ce n'est plus le cas. Il est devenu l'une des sources des dysfonctionnements du pays, l'incarnant dans une large mesure, et son implication dans la guerre en Syrie ne sert pas les intérêts du Liban. Il est toujours susceptible de provoquer une catastrophe en calculant mal et en déclenchant une autre confrontation à grande échelle avec Israël.
Le plus haut dignitaire chrétien du Liban, le patriarche maronite Bechara Boutros Al-Rai, a fait une rare intervention cette année lorsqu'il a accusé le mouvement Hezbollah de nuire à l'intérêt national en l'entraînant dans des conflits régionaux : « Je veux leur dire », a-t-il déclaré , « voulez-vous que nous restions dans un état de guerre que vous décidez ? Est-ce que vous avez notre aval avant de partir en guerre ? Diriger la résistance contre Israël ne garantit pas des voix au Liban, car le pays a des problèmes plus urgents et existentiels à traiter. Son économie est en crise, les services publics sont au bord de l'effondrement total, et ses politiciens subissent de plus en plus de pressions pour empêcher leur pays de se désintégrer complètement.
Chose intéressante, à la suite de l'incident de la semaine dernière entre Israël et le Hezbollah, des séquences vidéo sont apparues montrant des villageois druzes agressant ceux qui se trouvaient à bord d'un véhicule à partir duquel les roquettes ont été tirées. Les villageois accusent le Hezbollah de provoquer une guerre dans leur localité, dont ils finiront par payer le prix. La situation de Nasrallah et de son organisation est en train de changer, et alors que le Liban glisse à nouveau vers de nouveaux conflits internes, la dernière chose que son peuple veut est une autre guerre dévastatrice avec Israël, en particulier au profit de Téhéran.
Israël doit surveiller de près les événements nationaux au Liban, mais il doit éviter de donner à son ennemi juré une excuse pour détourner l'attention de ces évènements en réagissant de manière excessive. Nasrallah lui-même comprend certainement les conséquences d'une confrontation militaire avec Israël et préférerait s'en tenir à sa démagogie habituelle plutôt que de recourir à une manœuvre aussi dangereuse.
• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com