Tout porte à croire que le Hezbollah exaspère de plus en plus les Libanais. La colère a d’abord pris la forme d’une vengeance tribale avant d’atteindre son point culminant lors de la commémoration de la double explosion du port de Beyrouth survenue le 4 août. S’il est exact que les gens craignent le Hezbollah, il n’en demeure pas moins vrai qu’ils lui en veulent également.
Le 31 juillet, un membre de la tribu Arab al-Maslakh a tué un membre du Hezbollah à bout portant lors d’un mariage qui se déroulait à Jiyeh, au sud de Beyrouth. Cet assassinat fut perpétré en représailles à un meurtre commis l’année dernière: ce même membre du Hezbollah avait tué le frère du tireur, un adolescent. De tels actes de vengeance sont monnaie courante, mais cela ne s’arrête pas là: le lendemain, lors des funérailles, des membres armés du Hezbollah ont brandi des drapeaux du parti et ont retiré un poster à l’effigie du jeune garçon tué l’année dernière. Des coups de feu, en provenance d’un immeuble voisin, ont été tirés sur le convoi. Cinq personnes, dont trois membres du Hezbollah, ont été tuées.
Cela n’a rien à voir avec le poster: il s’agit d’un message clair adressé aux membres du Hezbollah: «Comment osez-vous défiler, ainsi armés, dans notre quartier?» En ripostant, le Hezbollah sait qu’il ouvre la boîte de Pandore et qu’il risque de se mettre à dos toutes les tribus arabes, de la région d’Akkar, dans le Nord, jusqu’à la plaine de la Bekaa. Il s’est donc contenté de demander à l’armée libanaise de rétablir l’ordre.
Je suis surprise de constater que les tribus arabes bénéficient de tant de soutien et de compassion, étant donné qu’elles sont à l’origine du conflit. Cela montre que le Hezbollah n’est pas aussi invincible qu’on le pense et qu’il peut être intimidé. Les manifestants ont scandé des slogans anti-Hezbollah lors de la commémoration du 4 août. L’objectif principal de cet événement était de protester contre l’élite politique qui entrave le bon fonctionnement de la justice, mais le Hezbollah a également été l’objet de nombreuses critiques. Il est pointé du doigt pour avoir illégalement introduit plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth. On dit que le Hezbollah a stocké des explosifs à Beyrouth avant de les transférer en Syrie afin que Bachar al-Assad les utilise pour fabriquer des bombes barils. L’ancien commandant en chef de l’armée libanaise, Jean Kahwagi, a été convoqué en justice. Son avocat accuse le Hezbollah d’être responsable de l’arrivée du nitrate d’ammonium au port de Beyrouth – toutefois, ces allégations ont été contredites par son client. Le Hezbollah se trouve dans une situation embarrassante. Tous les regards sont braqués sur lui et, en même temps, les gens ne le craignent plus. Dans sa détresse, le leader du parti, Hassan Nasrallah, a minimisé l’importance des manifestations du 4 août et a laissé entendre que l’enquête sur l’explosion était financée par l’Arabie saoudite.
Le Hezbollah devrait accepter de renoncer à certains privilèges pour qu’un État fonctionnel puisse être mis en place, ce qui est possible lorsque chaque faction dispose d’un groupe armé en charge de la sécurité de sa communauté.
Dr Dania Koleilat Khatib
En 2005, le groupe s’est trouvé dans une situation similaire lorsqu’il fut accusé du meurtre de Rafic Hariri. Un an plus tard, la résistance «héroïque» du parti contre l’armée israélienne lui a donné l’occasion de redorer son blason et l’a placé à l’abri des critiques. La guerre de 2006 a par ailleurs apporté au Hezbollah une nouvelle source de revenus. Le Parlement a adopté une loi selon laquelle les marchandises qui entrent dans la banlieue sud – le bastion du Hezbollah, au sud de Beyrouth – ne sont pas soumises à la douane. L’objectif est de réduire les coûts de reconstruction des zones détruites par Israël, mais le parti en profite pour importer toutes sortes de marchandises sans payer de taxes.
Cependant, un conflit armé comme celui de 2006 n’est plus à l’ordre du jour pour le Hezbollah. Les pays du Golfe qui, à l’époque, avaient financé la reconstruction n’investiront plus le moindre centime au Liban. Les maisons de Beyrouth, les montagnes et le nord du pays, partout où les partisans du Hezbollah avaient été hébergés, ne leur ouvriront plus leurs portes. Au sud du Liban, la tension monte et Israël répond aux roquettes tirées par les factions palestiniennes.
Le Hezbollah ne peut d’ailleurs plus affronter ses opposants comme il l’avait fait en 2008, quand, face aux accusations de Walid Joumblatt et de Saad Hariri, qui voulaient démanteler le réseau de télécommunications du parti, il avait retourné ses armes contre Beyrouth. Cela avait conduit à la signature de l’accord de Doha, qui s’est révélé très avantageux pour le Hezbollah au sein du gouvernement. Aujourd’hui, la seule issue de secours pour le parti est de recourir à l’État. Il s’agit également de la seule possibilité pour lui d’éviter qu’un violent conflit interne ne naisse au Liban.
En faisant valoir son pouvoir, le Hezbollah attise le mécontentement de ses opposants et il se présente comme une menace pour les autres, à l’image des tribus de Khaldé. Des confrontations avec ces dernières s’étendraient au-delà de cette ville côtière. Le Hezbollah ne veut surtout pas que son bastion de Baalbek s’ébranle, d’autant plus que les tribus arabes représentent une forte présence démographique en Syrie. Le groupe est actuellement en position de faiblesse, parce qu’un grand pouvoir s’accompagne toujours d’une grande vulnérabilité. Un autre accrochage a eu lieu lorsque des Druzes se sont opposés à la tentative du Hezbollah de tirer des roquettes vers les fermes de Chebaa à partir d’une de leurs régions. Le groupe a riposté en chassant les vendeurs de fruits de Sidon avant que les Druzes n’arrêtent à leur tour des camions du Hezbollah qui venaient de la vallée de la Bekaa.
Le Hezbollah n’intimide plus. Ses démonstrations de force ne portent plus leurs fruits et se retournent même contre lui. Il a beaucoup trop d’ennemis et des divergences commencent à apparaître, y compris avec ses alliés comme Nabih Berri, le président de la Chambre des députés.
Le Hezbollah devrait accepter de renoncer à certains privilèges pour qu’un État fonctionnel puisse être mis en place, ce qui est possible lorsque chaque faction dispose d’un groupe armé en charge de la sécurité de sa communauté. Les événements de Khaldé montrent que le Hezbollah n’est pas le seul groupe armé. Une confrontation qui mènerait à une nouvelle guerre civile consacrerait sa fin.
Le Hezbollah devrait faire le choix délibéré de réduire ses effectifs, de démanteler ses «brigades de résistance» et d’appeler au désarmement des autres groupes en vue de garantir sa propre survie et de garder le Liban à l’abri d’un conflit destructeur.
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com