À l’approche du premier anniversaire de l’explosion, la colère pourrait faire rage au Liban

Karlen Hitti Karam, ayant perdu son mari, son frère et son cousin dans la double explosion de Beyrouth, s'exprime ici au micro de l'AFP le 10 juillet 2021 à Qartaba au Mont-Liban. AFP/Joseph Eid
Karlen Hitti Karam, ayant perdu son mari, son frère et son cousin dans la double explosion de Beyrouth, s'exprime ici au micro de l'AFP le 10 juillet 2021 à Qartaba au Mont-Liban. AFP/Joseph Eid
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Publié le Mercredi 28 juillet 2021

À l’approche du premier anniversaire de l’explosion, la colère pourrait faire rage au Liban

À l’approche du premier anniversaire de l’explosion, la colère pourrait faire rage au Liban
  • L’explosion de Beyrouth revêt une importance primordiale parce que l’élite corrompue y est impliquée
  • La communauté internationale ne peut imposer de gouvernement ou de dirigeants à l’État libanais, mais elle peut profiter de la commémoration du 4 août pour aider le peuple à se débarrasser de la classe dirigeante actuelle

Le compte à rebours pour la commémoration du premier anniversaire de l’explosion du port de Beyrouth qui a tué plus de 200 personnes le 4 août dernier a commencé.

Immédiatement après l’explosion, seules comptaient les opérations de secours. La visite du président français, Emmanuel Macron, a donné de faux espoirs aux Libanais en laissant entendre que des sanctions pourraient être imposées à l’élite corrompue du pays. La tragédie qui elle-même devait modifier les règles du jeu a rapidement perdu de sa force.

Cependant, la colère populaire monte en flèche depuis un an et les différents groupes de manifestants se préparent pour l’événement, avec l’espoir qu’ils pourront faire la différence. La question est de savoir ce que la communauté internationale devrait faire pour mettre en place de vrais changements au Liban.

Deux grands enjeux se posent avant le premier anniversaire. Premièrement, Saad Hariri n’a pas réussi à former un gouvernement en huit mois et a présenté sa démission. Contrairement à 2011 lorsque son départ a provoqué des soulèvements populaires, sa dernière démission n’a pas suscité de véritable réaction du côté de la communauté sunnite.

Cela montre que les dirigeants politiques traditionnels ont perdu leur crédibilité auprès du citoyen ordinaire. Deuxièmement, un nouveau juge, Tarek Bitar, est chargé d’enquêter sur l’explosion du port de Beyrouth. Il a demandé au Parlement la levée de l’immunité parlementaire de trois anciens ministres pour qu’il puisse les soumettre à un interrogatoire.

L’explosion de Beyrouth revêt une importance primordiale parce que l’élite corrompue y est impliquée. Le nitrate d’ammonium qui a explosé en faisant de si grands ravages était stocké depuis 2013 dans un hangar du port avec le consentement des personnes au pouvoir. Le juge qui devait mener l’enquête au départ a été victime de manœuvres d’intimidation. Un chat mort a même été posé devant sa porte pour le mettre en garde contre ce que sa famille et lui pourraient subir s’il osait révéler les noms des coupables. Pour le moment, les menaces ne semblent pas entraver l’enquête de Bitar.

Pendant ce temps, le président Michel Aoun a appelé à des consultations parlementaires pour nommer un nouveau Premier ministre le 26 juillet. Le fait que le nom de Najib Mikati figure parmi les candidats potentiels est d’une ironie sans borne. En effet, ce dernier était Premier ministre à l’époque où le nitrate d’ammonium a été stocké dans le port de Beyrouth.

La France a annoncé une nouvelle conférence d’aide internationale au Liban le 4 août et s’attend à ce qu’un gouvernement soit en place d’ici là. Mais quelle est la probabilité que cet objectif soit atteint? D’ailleurs, si un gouvernement était formé, serait-il apte à mettre en place des réformes ou serait-il, au contraire, dysfonctionnel comme celui du vaniteux Hassan Diab? D’autre part, le président ne semble nullement préoccupé par l’absence d’un gouvernement efficace; il mène la barque par l’intermédiaire du Conseil supérieur de défense.

«La colère fait rage à mesure que le 4 août approche. Difficile de prédire comment elle se manifestera, mais la communauté internationale peut aider les Libanais à transformer cette colère en solution viable.»

Dr Dania Koleilat Khatib

Une personne de passage au Liban pourrait penser que tout va bien. Les restaurants et les hôtels sont bondés et les centres commerciaux animés. Pourtant, ce n’est que le calme avant la tempête. La situation se détériore de jour en jour. La livre libanaise a battu un record de dépréciation (le dollar à 23 000 livres libanaises, soit quinze fois le taux officiel de 1 500 livres libanaises) mais le président – dont l’éligibilité à remplir le mandat est remise en question – est en plein déni.

Il y a moins d’un an, lorsqu’on lui a demandé ce qui se passerait au cas où le gouvernement n’était pas formé, il avait répondu que le pays irait «en enfer». Aujourd’hui, alors que des rapports qualifient le Liban de futur Venezuela de la Méditerranée, Aoun ne semble pas affecté par la souffrance des citoyens. Après la récusation de Hariri, il a déclaré que les temps durs seront bientôt révolus et que la situation devrait s’améliorer.

Certes, la communauté internationale ne veut pas que le Liban s’effondre. Cependant, elle est incapable de mettre en place des réformes par l’intermédiaire de l’élite corrompue au pouvoir et devrait se rendre compte, tôt ou tard, qu’aucune solution acceptable ne pourrait se faire de la sorte. Ce sont les événements qui déterminent la politique et tout dépend de ce qui se passera lors de la commémoration de l’explosion. L’élite en faillite sera bientôt à court de manœuvres dilatoires pour apaiser la colère populaire.

La communauté internationale ne peut imposer de gouvernement ou de dirigeants à l’État libanais, mais elle peut profiter de la commémoration du 4 août pour aider le peuple à se débarrasser de la classe dirigeante actuelle. Il y a trois moyens par le biais desquels elle peut s’imposer. Le premier serait de garder l’armée et son commandant en chef à l’abri de toute influence politique. La communauté internationale devrait garantir le droit du peuple à manifester de manière pacifique et à organiser des sit-in devant les domiciles des dirigeants et même devant le palais présidentiel.

Après tout, c’est Aoun lui-même qui a rebaptisé le palais «Maison du peuple» lorsqu’il a été élu président en 2016. Depuis le début des soulèvements populaires en 2019, sa garde présidentielle loyale protège la résidence contre tout mouvement du «peuple». La communauté internationale devrait peut-être entrer en contact avec le patriarche maronite pour soutenir le droit du peuple à accéder à sa «maison».

Deuxièmement, la communauté internationale – et la France en particulier – devrait assurer une protection internationale au juge Bitar pour qu’il puisse mener son enquête et identifier les responsables de l’explosion. Troisièmement, la communauté internationale pourrait mener sa propre enquête sur les dirigeants politiques corrompus au Liban avec, pour objectif principal, de découvrir où se cachent les sommes considérables qu’ils ont volées au peuple libanais.

La colère fait rage à mesure que le 4 août approche. Difficile de prédire comment elle se manifestera, mais la communauté internationale peut aider les Libanais à transformer cette colère en solution viable.

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com