Il y a une semaine jour pour jour que l’ancien Premier ministre et homme d’affaires, Najib Mikati, a été désigné pour former le nouveau gouvernement libanais. Quelques jours auparavant, son prédécesseur, M. Saad Hariri, lui aussi ancien Premier ministre, jetait l’éponge en se récusant de la tâche de former le nouveau gouvernement. M Hariri avait tenté pendant neuf mois en vain de former un gouvernement.
Sa mission s’était enlisée dans les sables mouvants des différends avec le président de la République, Michel Aoun. M. Aoun avait bloqué la formation du gouvernement durant des mois sous prétexte que le Premier ministre désigné n’avait pas respecté la Constitution en voulant former un gouvernement de fait accompli sans véritablement le consulter.
La Constitution est en réalité assez vague sur le sujet car elle stipule que la formation du gouvernement est du ressort du Premier ministre désigné en accord avec le président de la République. Que veut dire «en accord avec»? Ce point vague dans la Constitution libanaise laisse une grande marge aux interprétations souvent contradictoires. Cette marge sera utilisée comme levier dans une bataille acharnée entre Michel Aoun et Saad Hariri, empêchant la formation d’un nouveau gouvernement crédible exigé par les Libanais, en proie à une crise économique et sociale d’une violence inouïe.
La mission de M. Mikati est de ce fait doublement délicate car les Libanais, qui ne voient pas en lui une nouvelle figure à même de représenter le renouveau auquel tout un peuple aspire, sont extrêmement sceptiques.
Ali Hamade
La communauté internationale, quant à elle, avait été très claire en posant la condition sine qua non que soit formé un nouveau gouvernement crédible et capable d’appliquer un plan de réformes afin d’entamer des négociations entre le Liban et le fond monétaire international (FMI), et les pays donateurs pour stopper la décente aux enfers du pays. Il est vital pour la communauté internationale de redresser la barre des finances publiques et de mettre en œuvre un plan de de sauvetage économique afin d’éviter l’implosion du Liban.
M. Hariri s’écarte finalement en laissant la place à M. Mikati – deux fois Premier ministre –, qui n’a pas tardé à se mettre au travail. La semaine dernière, trois réunions ont eu lieu entre M. Aoun et M. Mikati afin d’établir une feuille de route qui permettrait théoriquement de se mettre d’accord sur le nombre de ministre à choisir. Il s’agit également de décider de la distribution des portefeuilles entre les communautés, tout en identifiant les forces politiques qui seraient amenées à nommer ses représentants, et même les technocrates! La tâche pourrait paraître ardue mais dans un Liban multiconfessionnel, régi pas un système de partage confessionnel, les choses ne devraient pas être si compliquées que ça, à condition que Michel Aoun veuille bien composer avec Najib Mikati.
Cet après-midi, le Premier ministre désigné se réunira pour la quatrième fois avec le président de la République, afin de discuter de la feuille de route finale. C’est un moment délicat car mercredi le Liban commémore l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020.
L’explosion a détruit une partie de la capitale libanaise causant la mort de deux cents personnes et en blessant six mille, plongeant tout un peuple dans un traumatisme sans fin. Autre facteur délicat, l’annonce par le Conseil européen qui s’est tenu vendredi dernier à Bruxelles, de l’approbation du cadre juridique des sanctions européennes qui seraient ultérieurement imposées aux personnalités jugées responsables de bloquer la formation d’un nouveau gouvernement, si les pourparlers Aoun-Mikati échouent, ou si les reformes amenées à être appliquées se heurtaient à des obstacles.
La mission de M. Mikati est de ce fait doublement délicate car les Libanais, qui ne voient pas en lui une nouvelle figure à même de représenter le renouveau auquel tout un peuple aspire, sont extrêmement sceptiques.
M. Mikati est considéré comme faisant partie de la classe politique libanaise que la majeure partie des Libanais accuse d’avoir dégradé le pays pendant trois décennies, et plongé le peuple dans une misère sans précédent.
Pour sa part, M. Mikati, tout en réduisant les attentes, se garde bien de promettre monts et merveilles. Il annonçait quelques jours auparavant, au cours d’une interview télévisée, qu’il ne tenait pas en main une baguette magique, et que ses objectifs se limiteraient à contenir «l’incendie» économique et financier, en adoptant rapidement les reformes exigées par la communauté internationale, surtout dans les secteurs de l’électricité, des télécommunications, et des banques.
Le Premier ministre désigné évite ainsi de mettre en avant les dossiers brûlants; par exemple, la situation des frontières libanaises avec la Syrie contrôlé par le Hezbollah, et utilisées pour la contrebande à grande échelle. Cette contrebande «protégée» par la milice pro-iranienne aspire des centaines de millions de dollars des subventions que la Banque centrale débourse chaque année pour l’importation de carburant, médicaments et denrées alimentaires de première nécessité.
Cet argent dérobé aux Libanais impuissants finit dans les caisses du Hezbollah et du régime syrien. On estime à deux milliards de dollars (1 dollar = 0,84 euro) par an le montant de ces opérations de contrebande. Les exemples de dossiers brûlants qui pourraient entraver une reprise économique au Liban ne manquent pas. M. Mikati en est conscient mais son mode opératoire pourrait se résumer à agir là où la voie est libre, et éviter les chemins truffés de pièges. Il se veut réaliste, conscient de ses limites et de ses faiblesses. C’est la raison pour laquelle il ne promet pas la «lune» aux Libanais, car il n’exclut pas le risque d’échouer, voire de ne pas pouvoir former le gouvernement vu les antécédents en la matière du président de la république, Michel Aoun.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. Twitter: @AliNahar
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