Netanyahou et ses partisans ont vu en Nir Orbach le maillon le plus faible du nouveau gouvernement de coalition dirigé par Yaïr Lapid et par Bennett.
Si ce gouvernement voit le jour, il n'établira aucun projet radical; bien plutôt, il apportera des améliorations progressives
Le nom de Nir Orbach ne dit pas grand-chose à la plupart des lecteurs, qu'ils vivent en Israël ou ailleurs. C’est pourtant ce médiocre politicien et sioniste religieux – choisi par Naftali Bennett, leader du parti Yemina, pour qu’il adhère à son parti peu de temps avant les dernières élections du mois de mars – occupera le devant de la scène au cours de la semaine à venir, du moins en attendant que le nouveau gouvernement se présente, ou non, à la Knesset.
Sans doute cherchez-vous à comprendre ce qui peut distinguer ce membre encore novice de la Knesset. Les réalisations qu’il a entreprises au cours de sa carrière terne d'apparatchik dans la sphère sioniste religieuse nous échappent entièrement. Comment est-il parvenu à se hisser au centre de la scène politique en Israël? La réponse est toute simple: Benjamin Netanyahou et ses partisans ont vu en lui le maillon le plus faible du nouveau gouvernement de coalition dirigé par Yaïr Lapid et par Bennett. À leurs yeux, ce personnage pourrait céder sous la pression et renoncer à soutenir le gouvernement lorsque celui-ci se présentera devant la Knesset. Orbach incarne non seulement la faiblesse de la nouvelle coalition, mais aussi le déclin aigu, voire fatal, du régime israélien, en grande partie du fait de la volonté de Netanyahou de ne reculer devant aucune difficulté afin de se maintenir au pouvoir.
Dire que la semaine prochaine comptera parmi les plus importantes de l'histoire politique d'Israël et de sa démocratie vacillante n'est nullement excessif. Bennett, comme la coalition du «changement» dans son ensemble, risque de maudire le jour où il a choisi Orbach pour se présenter sur sa liste à la Knesset. De manière ironique, c'est la loyauté personnelle de ce dernier envers Bennett qui explique ce regret. Toutefois, si la coalition Lapid-Bennett parvient à franchir le Rubicon et à gagner la confiance de la Knesset, les deux hommes pourront amorcer un modèle de politique plus inclusif; mais ils le feront par obligation plutôt que par choix. C’est délibérément que le dévoilement intégral des accords conclus dans le cadre de la coalition des huit partis sera reporté après le vote de confiance à la Knesset. En effet, les chefs de partis ont fait preuve d'une flexibilité et d'un pragmatisme sans précédent dans l'histoire de tous les systèmes politiques, où que ce soit dans le monde, pour aboutir à ce moment – c’était mercredi dernier – où Yaïr Lapid a annoncé au président d’Israël, Reuven Rivlin, la formation d'un gouvernement qu'il ne dirigera pas pendant les deux premières années de son mandat.
En outre, lorsque ces accords seront rendus publics, les partenaires de droite de la coalition, en particulier Yemina et Nouvel Espoir, seront soumis à une pression encore plus grande. En effet, cette coalition semblait dès le départ peu envisageable et même impensable quelques mois auparavant. Elle est pratiquement aussi hétérogène sur le plan idéologique que l'ensemble de la société israélienne. Dans le même temps, elle ne bénéficie que du soutien de soixante et un membres de la Knesset, ce qui lui confère une majorité extrêmement restreinte. Ainsi, même si le gouvernement reçoit le soutien initial de la Knesset, la coalition se lancera dans un périple dans lequel elle ne pourra pas survivre bien longtemps.
En attendant que le gouvernement se présente au vote de la Knesset, Netanyahou et sa bande d'instigateurs espèrent empêcher la coalition d'obtenir un soutien suffisant au sein de l'assemblée législative en faisant suffisamment pression sur elle, quitte à lui adresser des menaces de mort. Les incitations des personnes proches de la droite à l'encontre des dirigeants du bloc du changement, qu’elles s’expriment sur les médias sociaux ou par des manifestations menaçantes devant leur domicile, ont pris une telle ampleur que Nadav Argaman, le chef du Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien, a averti que de telles actions risquaient d'entraîner des violences et des dommages physiques.
Il existe un problème tout aussi préoccupant: le fait que Netanyahou et ses alliés tentent de bloquer la dynamique politique qui risque de les placer sur les bancs de l'opposition en déclenchant un conflit extérieur, soit tout près de chez eux, avec les Palestiniens, soit avec l'Iran. En fin de compte, c'est la recrudescence de la violence intercommunautaire avec les Palestiniens, en Israël mais aussi au-delà de la ligne d'armistice, qui a jusqu'à présent retardé la formation de la coalition. Il est ainsi possible que l’on voie Netanyahou provoquer une nouvelle flambée de violence comme dernier recours tout en continuant à jouir du pouvoir que lui confère son poste.
Il convient de rappeler aux personnes qui croient que ce scénario est tiré par les cheveux cette réalité: les groupes de droite prévoient dès cette semaine une marche avec le drapeau israélien dans la vieille ville de Jérusalem. En retour, le Hamas a appelé les résidents palestiniens de Jérusalem à se rendre en force à la mosquée Al-Aqsa le jour de la marche «pour la protéger des intentions [d'Israël]». Si cette provocation prend la bonne direction (la plus mauvaise, en réalité), Israël et le Hamas risquent de s'affronter une fois de plus et de semer violence et chaos: un régal pour Netanyahou. Par ailleurs, durant l'interrègne en cours, il est absolument crucial que les forces de sécurité empêchent Netanyahou de renouveler les incitations qu’il avait fomentées à l’encontre du Premier ministre de l'époque, Yitzhak Rabin, en 1995, et qui avaient eu des conséquences meurtrières.
En attendant que le gouvernement soit présenté à la Knesset pour être approuvé, il incombe aux dirigeants de la nouvelle coalition, du fait de sa composition peu orthodoxe, de mettre en place des mécanismes qui permettront au gouvernement de fonctionner même dans l’hypothèse où une pression intense, de l'extérieur comme de l'intérieur, est exercée. Le cliché publié le jour de la signature de l'accord de coalition avait quelque chose d’irréel: Lapid, Bennett et Mansour Abbas, respectivement le dirigeant du parti laïc centriste, le fondateur du parti sioniste-nationaliste-religieux et le chef du parti islamiste, semblaient très détendus, comme si cette photographie était la chose la plus naturelle qui soit. Loin de là: c'est la première fois qu'un parti palestinien se joint à une coalition, a fortiori à une coalition dont le Premier ministre désigné a pour dessein idéologique d'annexer au moins une partie de la Cisjordanie, de s'opposer à une solution à deux États et de soutenir avec enthousiasme la loi raciste sur l'État-nation.
Dire que la semaine prochaine comptera parmi les plus importantes de l'histoire politique d'Israël et de sa démocratie vacillante n'est nullement excessif.
Yossi Mekelberg
Le désir de débarrasser le pays de Netanyahou, qui divise, corrompt et devient de plus en plus autoritaire, constitue sans doute la colle qui permet de faire tenir ensemble ce triumvirat potentiel. Il est toutefois manifeste que cette volonté ne suffira pas, aussi bien pour eux que pour les autres partenaires de ce gouvernement, à demeurer unis après le départ de Netanyahou. Si ce gouvernement voit le jour, il n'établira aucun projet radical; bien plutôt, il apportera des améliorations progressives, et ses ministres se concentreront sur les responsabilités de leur ministère. Ils surmonteront les divergences idéologiques de manière constructive, favoriseront les intérêts du pays avant leurs ambitions personnelles et rétabliront ainsi la confiance du peuple israélien et celle de la communauté internationale dans le système politique du pays et dans sa démocratie fragilisée.
Pour que ce scénario se concrétise, il faut que cette semaine – l'une des plus longues et des plus dramatiques de la politique israélienne – soit couronnée par la victoire de la démocratie et de la raison sur les forces du populisme et de la discorde attisées par les intérêts personnels de Netanyahou.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.
Twitter: @YMekelberg
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