Après douze ans de fonction ininterrompue de Premier ministre de Benjamin Netanyahou, période qui semblait être à quelques heures de toucher à sa fin, c’est le Hamas – par inadvertance ou peut-être même délibérément – qui lui a jeté une bouée de sauvetage de plus. Ce, alors qu’au début du mois le Premier ministre israélien semblait destiné à occuper un siège sur les bancs de l’opposition, et que le président Reuven Rivlin chargeait le chef du Yesh Atid, Yair Lapid, de la tâche ardue mais pas impossible de former une coalition.
Il est vrai que ce qui a uni les forces qui s’apprêtaient à former un gouvernement, jusqu’au début des hostilités avec les Palestiniens, c’était le désir de mettre fin au mandat désespérant, conflictuel et prétendument corrompu de Netanyahou. Une telle administration aurait réuni des partis qui, d’un point de vue idéologique, ont très peu en commun à part un très important point de convergence : l’urgence de passer à l’ère post-Netanyahou afin de relever les défis nationaux et internationaux auxquels le pays est confronté
Pour l’instant, cette petite fenêtre d’opportunité de voir le départ de Netanyahou semble s’être fermée, alors que les violences renouvelées entre Israël et les Palestiniens font son jeu au moment où il en a le plus besoin. Certains affirment qu’il a orchestré ce récent épisode de violence meurtrière avec les Palestiniens en vue de sauver sa carrière politique et repousser son procès pour corruption, voire l’annuler. Il s’agit d’un scénario très improbable, même si son mandat prolongé a été un facteur décisif pour créer les conditions qui ont conduit aux troubles dont nous avons été témoins en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem et à travers tout Israël ces dernières semaines.
Chaque fois qu’Israël fait face à une crise avec les Palestiniens, son seul recours est de garder Netanyahou à la barre – bien que les rencontres meurtrières de la nuit dernière aient révélé l’échec de tous les gouvernements dirigés par Netanyahou, que ce soit en desservant les intérêts de la sécurité d’Israël, qu’en perdant la boussole morale du pays, et avec elle le soutien de nombreuses personnes à travers le monde. S’il y avait besoin de preuves supplémentaires pour montrer qu’Israël a besoin d’un nouveau leadership et d’une nouvelle direction, les événements de ces dernières semaines en ont fourni beaucoup.
À Jérusalem, le mythe israélien d’une ville unie où Juifs et Palestiniens vivent en harmonie est démantelé, avec des divisions désormais plus fortes que jamais, nourries par le traitement arbitraire des Palestiniens qui y vivent. En Israël, la bravade de Netanyahou lors de la récente campagne électorale générale, en affirmant à quel point il était aimé des citoyens palestiniens et accueilli par eux comme «Abu Yair», un terme de tendresse, a été dénoncé comme un fantasme, à la fois du fait de sa mauvaise performance aux urnes parmi la population palestinienne en Israël et des violents affrontements récents entre Juifs et Palestiniens.
La violence de part et d’autre doit être catégoriquement condamnée, mais elle nous rappelle aussi le rôle de Netanyahou, à travers la provocation et la diffamation des Palestiniens durant son mandat, dans le creusement de ce fossé entre les Juifs et les Palestiniens vivant en Israël. Il a également favorisé la montée de l’extrême droite et corroboré, par la loi raciste de l’État-nation, la discrimination à l’encontre de la minorité palestinienne d’Israël.
De plus, pour quelqu’un qui a proclamé à plusieurs reprises au cours des douze dernières années la victoire finale d’Israël sur le Hamas, l’échec retentissant à Gaza est flagrant. Il a infligé des souffrances atroces aux habitants de cette petite enclave, alimentant une haine qui mettra beaucoup de temps à se dissiper, tandis que le Hamas demeure invaincu. Dans la foulée, la réputation d’Israël aux yeux du monde a été ternie par la mort et les ravages qu’il a infligés à une des communautés les plus démunies du monde. Telles ont été les conséquences du fait qu’Israël soit tombé dans l’embuscade que le Hamas et le Jihad islamique lui ont tendu.
Si le procès en cours de Netanyahou, sur la base de graves accusations de corruption plus que justifiées, nécessite le suspendre de ses fonctions de Premier ministre, sa gestion de cette récente crise n’a fait que souligner davantage le besoin impérieux du pays de changer de dirigeants.
Pourtant, comme à maintes reprises, les partis d’opposition n’ont pas réussi à mobiliser suffisamment de soutiens pour présenter un leader alternatif. Et, dans le pire des cas, ils en viendront à changer d’avis. C’est comme s’ils avaient peur d’assumer la responsabilité de diriger le pays, ils cèdent aux promesses envoutantes de Netanyahou, dont ils savent très bien qu’elles resteront lettres mortes, ou alors fléchissent sous la pression de leurs propres partis ou partisans et tombent derechef dans les bras ouverts et trompeurs de Netanyahou.
Les violences renouvelées entre Israël et les Palestiniens font le jeu de Netanyahou au moment où il en a le plus besoin.
Yossi Mekelberg
À ce stade de la politique israélienne, la guerre avec le Hamas a fourni à Netanyahou la toile de fond parfaite: cette crise lui a permis d’affirmer que le pays a besoin à la fois d’un leader expérimenté et d’un dirigeant belliciste – en d’autres termes, lui-même. Le prétendu «bloc du changement» est certes trop hétérogène pour soutenir un gouvernement pendant un mandat complet, mais il aurait au moins pu lancer la politique et la société israéliennes dans une ère post-Netanyahou. Lapid était prêt, aussi improbable que cela puisse paraître, à former un gouvernement flexible, avec lui au poste de Premier ministre, après les deux ans passés par Naftali Bennett – le leader de la formation Yamina – à ce poste, même si Lapid est à la tête d’un parti de dix-sept députés, contre sept pour Bennet.
Néanmoins, dans la fureur de la guerre, Yamina a perdu son sang-froid et, bien que ses dirigeants Bennett et Ayelet Shaked méprisent personnellement Netanyahou, leur manque de courage et de leadership les a conduits à céder, à la fois à leurs partisans et à leur rigidité idéologique, ce qui a amené un refus de coopérer avec les partis arabes et même la gauche modérée. Il reste à voir si New Hope, dirigé par Gideon Sa’ar, un autre ex-Likud qui a promis de ne plus jamais rejoindre un gouvernement Netanyahou, effectuera un revirement similaire.
Dans la longue tragédie du conflit israélo-palestinien, le Hamas et Netanyahou sont devenus frères d’armes, de mèche pour se servir l’un l’autre de prétextes. Les dernières semaines ont définitivement démontré qu’Israël a besoin d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle direction.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques.
Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com