Les Irakiens vivent dans la peur à cause de la violence alimentée par l'Iran

Des personnes en deuil lors d'une procession funéraire pour Ihab al-Wazni à Karbala. (Archive / AFP)
Des personnes en deuil lors d'une procession funéraire pour Ihab al-Wazni à Karbala. (Archive / AFP)
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Publié le Dimanche 23 mai 2021

Les Irakiens vivent dans la peur à cause de la violence alimentée par l'Iran

Les Irakiens vivent dans la peur à cause de la violence alimentée par l'Iran
  • Les milices pro-iraniennes, les escadrons de la mort, les listes noires et les assassinats de sang-froid soulignent à quel point l'État irakien est en faillite
  • Nourrir une jeune démocratie et construire un État institutionnel n'a jamais été possible sous les gouvernements successifs au pouvoir en Irak depuis 2003

La mort est devenue une partie importante de la routine quotidienne de l’Irak. Les milices pro-iraniennes, les escadrons de la mort, les listes noires et les assassinats de sang-froid soulignent à quel point l'État irakien est en faillite malgré le déni international et local.

Quand cinq Irakiens meurent, c’est normal, ce n'est plus une nouvelle. Quand 50 personnes sont assassinées, cela ne constitue pas de quoi faire l’actualité. Lorsque 100 personnes perdent la vie dans une attaque terroriste, les médias occidentaux en parlent généreusement, pour quelques heures.

En octobre 2019, des manifestations antigouvernementales de grande ampleur ont eu lieu à Bagdad et dans plusieurs provinces du Sud. Les manifestants ont dénoncé la corruption, les milices hors-la-loi et la loyauté étrangère. Même si les demandes des jeunes manifestants n'étaient ni scandaleuses ni excessives, ils ont été confrontés à la violence et à la brutalité.

Plus de 800 manifestants pacifiques ont été tués, quelque 25 000 ont été blessés et des centaines ont été enlevés, alors que le gouvernement était occupé à former des comités d'enquête, à publier des déclarations de condamnation et à camoufler l’identité des véritables meurtriers sous prétexte de protéger le processus politique irakien et la nouvelle démocratie.

Nourrir une jeune démocratie et construire un État institutionnel n'a jamais été possible sous les gouvernements successifs au pouvoir depuis 2003, qui ont continué à adopter des politiques oppressives ou à fournir une couverture juridique à de telles pratiques. La période sombre du régime de Saddam Hussein reste par conséquent intacte, mais avec des affiliations politiques et des noms différents.

Qui dirige ces escadrons de la mort et comment choisissent-ils leurs cibles? Si un responsable ou un politicien irakien affirme ne pas avoir de réponse, il cache la vérité, ce qui fait de lui un complice de ces crimes odieux.

Bien qu'elles soient truffées de milliers de caméras de surveillance, les rues principales et les places populaires ont vu des militants politiques et des défenseurs des droits de l'homme abattus. Comme toujours, les bourreaux se sont volatilisés, confiants que leurs images ne seraient jamais exploitées.

Pas plus tard que la semaine dernière, l'activiste Ihab al-Wazni – qui menait des manifestations dans la ville irakienne de Karbala – a été assassiné devant sa propre maison par un motard. Le quartier d’Al-Wazni est l’une des zones les plus protégées, vu sa proximité géographique avec les Lieux saints chiites.

La période sombre du régime de Saddam Hussein reste par conséquent intacte, mais avec des affiliations politiques et des noms différents.

Dalia al-Aqidi

Ihab al-Wazni, comme des millions d’autres Irakiens, aspirait à la formation d’une patrie qui donnerait à ses enfants l'espoir d'un meilleur avenir. En 2019, une précédente tentative d’assassinat ne l’a pas empêché de continuer à s'opposer à la tyrannie. Il s’exprimait ouvertement contre les dangers du régime de Téhéran, la corruption des islamistes dans sa province et sur l'importance de maintenir la nature pacifique et ciblée des manifestations.

Le processus d'assassinat en Irak commence par l'un des deux types de fatwa émis par des politiciens religieux comme le religieux chiite Moqtada al-Sadr, connu pour diriger l'une des plus grandes et plus brutales milices pro-iraniennes du pays. Créée en juillet 2003, l'Armée du Mahdi (Saraya al-Salam), est responsable de la mort de milliers d'innocents dans le pays. Elle est dirigée par d’impitoyables voyous. M. Al-Sadr était autrefois recherché pour sa complicité dans l'assassinat du religieux chiite Mohammed Baqir al-Hakim dans la ville de Najaf. Ironiquement, il a qualifié le meurtre d’Al-Wazni comme étant un acte «lâche», appelant le gouvernement à traduire les assassins en justice.

Le premier type de fatwa est un ordre général de punir, tuer ou enlever toute personne qui ne montre pas son soutien aux Forces de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) ou toute personne qui critique ses dirigeants. En d’autres termes, c’est un permis de tuer. Le deuxième type est un ordre spécifique permettant l’assassinat d’individus qui portent un préjudice irréparable à la réputation de M. Al-Sadr ou d'autres chefs de milice. Les dirigeants élaborent un plan pour surveiller les mouvements de la victime, choisissent la méthode d’exécution, puis sélectionnent le lieu, la date, l’heure, ainsi que l’assassin.

Expert en sécurité et spécialiste de l’extrémisme, Hicham al-Hachemi avait déjà été assassiné en juillet 2020 devant sa demeure à Bagdad. Le gouvernement de Mustafa al-Kadhimi n'a cependant toujours pas réussi à stopper la série noire de meurtres.

Saraya al-Salam n'est pas la seule milice pro-iranienne à semer la terreur parmi le peuple irakien. Plus de 70 milices opèrent dans le pays, servant la cupidité du régime iranien. Il s’agit notamment de Kata’ib Hezbollah, Harakat Hezbollah al-Nujaba, Asa’ib Ahl al-Haq, Raba’Allah, Saraya al-Khorasani et Saraya Awliya 'al-Dam.

L'assassinat de Ihab al-Wazni a fait ressurgir les souvenirs de nombreux manifestants qui ont choisi de risquer leur vie pour leur patrie et ont payé le prix le plus cher, notamment Safaa al-Saray, Hussein Adel al-Madani et son épouse, Sarah Talib, ainsi que Fahim al-Taie.

Après la mort de M. Al-Wazni, l'ambassade iranienne à Bagdad a choisi d'insulter l’intelligence des Irakiens en publiant une déclaration satirique condamnant ses propres actes. «L'Iran n'a pas demandé et ne demandera pas l'assassinat de citoyens irakiens, condamnant dans les termes les plus stricts ces actes terroristes. La République islamique d’Iran a toujours favorisé la sécurité, la paix et la prospérité pour le peuple irakien.»

Par ces mots, le gouvernement iranien a donné l'ordre d'assassiner à nouveau les victimes.

 

 

Dalia al-Aqidi est Senior Fellow au Center for Security Policy. Twitter: @DaliaAlAqidi

 

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com