Au cours de sa campagne présidentielle, Joe Biden a fait à l'électorat des promesses bien précises, qui portaient notamment sur la politique étrangère. Pour ce qui est du conflit au Moyen-Orient, Joe Biden s'est engagé à inverser quelques-unes des décisions importantes qu’avait prises son prédécesseur. Ainsi, il a promis de supprimer la mission palestinienne à Washington et la mission américaine à Jérusalem.
Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Biden en janvier, son administration a lentement concrétisé certaines de ces promesses, notamment le rétablissement de l'aide humanitaire pour les Palestiniens. En retour, ces derniers, après avoir boycotté tous les représentants américains, ont accepté de rétablir les relations avec les Américains, tant sur le plan de la diplomatie que sur celui de la sécurité.
Les bienfaits d'une relation américano-palestinienne dynamique sont certes nombreux. Il s'agit là d'un processus naturel, qui traduit un respect et une compréhension mutuels et qui permet de suivre immédiatement la voie d’un engagement de haut niveau entre Washington et les représentants légitimes du peuple palestinien.
Pour leur part, Israël et l'Organisation de libération de la Palestine ont échangé des lettres de reconnaissance en 1993. Cet événement, dont fut témoin le président démocrate Bill Clinton, a été commémoré par la célèbre poignée de main entre le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le dirigeant palestinien Yasser Arafat sur la pelouse de la Maison Blanche. De fait, cette cérémonie a amorcé une période de dialogue qui a débouché sur de bonnes relations entre les représentants des États-Unis et de la Palestine. Malheureusement, le Congrès américain, favorable à Israël, a tenté de privilégier les intérêts d'Israël plutôt que d'instaurer la paix et de défendre les intérêts nationaux de l'Amérique.
Les bonnes relations américano-palestiniennes représentent une évolution tout à fait naturelle dans la mesure où elles contribuent à apaiser les tensions non seulement en Palestine et en Israël, mais aussi dans toute la région. Ainsi, la principale source de recrutement des extrémistes dans cette région provient de l'injustice subie par les Palestiniens aux mains de l'allié des États-Unis.
En 1994, les Palestiniens ont consenti à ouvrir une mission à Washington, entreprise toutefois assombrie par une condition déraisonnable: le fait de devoir obtenir une dérogation du président des États-Unis tous les six mois. Aucune autre mission à Washington n'est soumise à une condition aussi humiliante. Mais les Palestiniens souhaitaient ardemment mettre fin à des décennies d'occupation et de colonisation israéliennes. Ils ont donc accepté, à contrecœur, ces restrictions qui devaient mener, comme on le leur avait promis, à l'établissement d'un État palestinien indépendant à l'issue des pourparlers israélo-palestiniens parrainés par les États-Unis.
Cette promesse est tombée à l’eau: l'ancien secrétaire d'État américain John Kerry a en effet affirmé devant le Congrès en 2014 que les Israéliens, en raison de leur volonté d'établir des colonies sur les terres palestiniennes, avaient anéanti les espoirs de paix et ce que l'on appelle «la solution à deux États». Les pourparlers de paix «sont partis en fumée», comme l’a annoncé M. Kerry, dans le sillage d'une nouvelle expansion illégale de colonies perpétrée par Israël dans les territoires qui faisaient l'objet de négociations pour créer un État palestinien indépendant.
En effet, l'administration Biden a promis de soutenir cette solution à deux États, ce qui exigeait que Washington reconnaisse et intègre la part palestinienne de la solution. La part israélienne, quant à elle, existe depuis longtemps et bénéficie d'une aide financière, politique et militaire considérable de la part des États-Unis.
Malheureusement, aux États-Unis, certains opposants à la paix ne souhaitent pas que de véritables progrès soient réalisés dans les pourparlers et tentent de déjouer les efforts de l'équipe de Biden visant à tenir sa promesse de rouvrir la mission palestinienne. Voilà donc que de nouvelles conditions humiliantes sont imposées comme conditions légitimes, alors qu’elles sont calquées sur la stratégie de la droite israélienne.
Partout dans le monde, les mouvements de libération se soucient de leur population, notamment de celles qui se sacrifient pour leur nation. La Loi fondamentale palestinienne, qui a été initiée après la célèbre poignée de main à la Maison Blanche, renferme des conditions obligatoires qui prévoient la création d'un fonds destiné à soutenir tout Palestinien ayant été emprisonné ou ayant payé un lourd tribut, et d'aider sa famille. Exiger des responsables palestiniens qu’ils privent leurs concitoyens de leurs droits pour obtenir un bureau à Washington constituerait une violation de l'article 22 de la Loi fondamentale palestinienne, adoptée à l'époque sans la moindre objection par Israël et les États-Unis.
Exiger des responsables palestiniens qu’ils privent leurs concitoyens de leurs droits pour obtenir un bureau à Washington constituerait une violation de l'article 22 de la Loi fondamentale palestinienne.
Daoud Kuttab
Pour modifier ce comité, mandaté par la Constitution dans le but de subvenir aux besoins des prisonniers et des martyrs, un vote des deux tiers de l'Assemblée législative palestinienne est requis. Par ailleurs, les élections sont prévues le 22 mai, à moins qu'Israël ne viole l'accord qu'il a lui-même conclu et empêche les Palestiniens, y compris les habitants de Jérusalem, d'exercer leur droit fondamental. Les Américains, les démocrates en particulier, qui défendent les droits des électeurs et qui se sont opposés à la répression des électeurs en Géorgie ainsi que dans d'autres États, sont tenus de soutenir le prochain scrutin et de ne pas fermer les yeux sur les manœuvres obstructionnistes d'Israël.
Imposée tardivement, la condition de la réouverture de la mission palestinienne est plus qu’humiliante. Elle risque d'affaiblir les dirigeants palestiniens qui ont besoin de conclure la «paix des braves», comme l'appelait feu Arafat. Jamais l'Amérique n'a imposé par le passé à un ami ou à un ennemi des conditions aussi humiliantes. Ces dernières n'ont pas été exigées au Congrès national africain d'Afrique du Sud, au Vietnam ou à n’importe quelle autre entité. Pourquoi les responsables américains ne peuvent-ils pas, ne serait-ce qu'une fois, résister à la pression du lobby israélien discrédité, qui a tellement fait pour saper les intérêts des États-Unis?
Les Palestiniens sont un peuple fier. Ils poursuivront leur lutte pour parvenir à la libération et à la liberté, que les États-Unis les autorisent ou non à disposer d'une mission officielle à Washington. En revanche, favoriser la communication pourrait détendre l'atmosphère et rendrait le climat plus propice à des pourparlers susceptibles de déboucher sur la création d'un État palestinien indépendant, avec Jérusalem-Est pour capitale, aux côtés d'un Israël sûr et sécurisé qui sera établi dans les frontières d'avant juin 1967, reconnues par la communauté internationale.
Daoud Kuttab est un journaliste palestinien plusieurs fois primé. Il a été professeur de journalisme Ferris à l'université de Princeton.
Twitter : @daoudkuttab
NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com