Israël mène une guerre contre la vie politique palestinienne à Jérusalem

Les autorités israéliennes redessinent la ville non seulement physiquement, mais aussi socialement et spirituellement. (Photo Fournie)
Les autorités israéliennes redessinent la ville non seulement physiquement, mais aussi socialement et spirituellement. (Photo Fournie)
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Publié le Dimanche 13 avril 2025

Israël mène une guerre contre la vie politique palestinienne à Jérusalem

Israël mène une guerre contre la vie politique palestinienne à Jérusalem
  • Sous prétexte de sécurité, Israël a constamment ciblé et démantelé des institutions qui servent de piliers à la société palestinienne, qu'il s'agisse de syndicats, d'écoles, de centres culturels ou de bureaux politiques.
  • Ces actions révèlent une réalité d'apartheid. Bien qu'il revendique Jérusalem-Est comme faisant partie de sa "capitale unifiée", Israël continue d'agir d'une manière qui contredit radicalement son identité autoproclamée d'État démocratique.

Alors que le monde se concentre sur les problèmes économiques mondiaux et les guerres en Ukraine et à Gaza, les récentes politiques sévères d’Israël à Jérusalem-Est marquent un nouveau chapitre alarmant dans une campagne de longue date visant à éliminer toute forme de présence politique ou civique palestinienne organisée dans la ville.

Sous prétexte de sécurité, Israël a constamment ciblé et démantelé des institutions qui servent de piliers à la société palestinienne, qu'il s'agisse de syndicats, d'écoles, de centres culturels ou de bureaux politiques.

Dernier exemple en date, les autorités israéliennes ont ordonné cette semaine la fermeture de six écoles gérées par les Nations unies d'ici au 8 mai, ainsi que la fermeture immédiate de la Fédération générale palestinienne des syndicats.

Ce schéma n'est pas nouveau. Depuis des années, et surtout depuis la signature en 1993 de la déclaration de principes israélo-palestinienne, également connue sous le nom d'accords d'Oslo, Israël s'efforce de démanteler les institutions palestiniennes à Jérusalem-Est. Ils ont commencé par fermer l'historique Maison d'Orient, la Chambre de commerce, le Conseil supérieur arabe du tourisme, le Club des prisonniers palestiniens et le Centre palestinien de recherche sociale.

Ces actions révèlent une réalité d'apartheid. Bien qu'il revendique Jérusalem-Est comme faisant partie de sa "capitale unifiée", Israël continue d'agir d'une manière qui contredit radicalement son identité autoproclamée d'État démocratique. En criminalisant l'engagement civique et l'expression politique des Palestiniens, il expose les fondements discriminatoires et la stratégie de suprématie juive dans les zones sous contrôle civil et militaire israélien.

L'attaque contre le bureau du syndicat le 9 avril a été menée avec une force caractéristique. Des officiers israéliens ont pris d'assaut les locaux, arrêté des responsables syndicaux et émis un ordre de fermeture immédiate. Cette action s'inscrit dans une tendance croissante à cibler les institutions palestiniennes sous le couvert du maintien de l'ordre ou de la prévention de l'"incitation".

Les autorités israéliennes redessinent la ville non seulement physiquement, mais aussi socialement et spirituellement.      Daoud Kuttab

Mais le véritable motif est évident : l'effacement politique. L'objectif est de délégitimer toute présence institutionnelle palestinienne à Jérusalem, coupant ainsi les résidents palestiniens de la ville de leur identité nationale et de leur mémoire collective.

Ce qui est peut-être encore plus préoccupant, c'est que ces actions se déroulent non pas en Cisjordanie ou à Gaza, mais à l'intérieur des limites municipales de ce qu'Israël a unilatéralement annexé. Ce faisant, les autorités israéliennes contredisent leurs propres cadres juridiques et politiques. En ne garantissant pas la liberté d'association, d'expression politique et d'activité syndicale, Israël prouve qu'il n'est pas ce qu'il prétend être : la soi-disant seule démocratie du Moyen-Orient. Au lieu de cela, nous assistons à l'utilisation d'outils autoritaires - raids, fermetures et arrestations - contre ceux qui osent s'organiser ou représenter les intérêts palestiniens dans la ville.

L'un des exemples les plus flagrants de cette dérive autoritaire est l'incident qui s'est produit juste un jour avant le raid sur le bureau du syndicat. Le 8 avril, les forces israéliennes et les fonctionnaires de la municipalité de Jérusalem sont entrés dans six écoles gérées par l'UNRWA à Jérusalem-Est et ont émis des ordres de fermeture prenant effet dans les 30 jours.

Ces écoles accueillent des centaines d'enfants réfugiés palestiniens et sont protégées par les cadres juridiques qui régissent les installations des Nations unies. L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a dénoncé cette mesure comme une violation des privilèges et immunités qui lui sont accordés en vertu du droit international.

Au-delà de la violation du droit, les fermetures menacent directement le droit à l'éducation des enfants palestiniens, un autre pilier de la vie communautaire qui est visé par l'escalade actuelle.

Il ne s'agit pas seulement de bâtiments ou d'institutions, mais du démantèlement de tout un tissu social. Les organisations de la société civile, les syndicats, les établissements d'enseignement et les institutions religieuses sont les forces vives de toute communauté. À Jérusalem, leur survie est essentielle non seulement pour la vie quotidienne, mais aussi pour maintenir une présence et une identité palestiniennes dans une ville qui continue à subir un remodelage démographique et politique systématique.

Les conséquences deviennent de plus en plus visibles d'année en année. Par exemple, les chiffres publiés par le département du Waqf islamique de Jérusalem, qui est supervisé par la Jordanie, révèlent une baisse spectaculaire du nombre de fidèles qui ont fréquenté la mosquée Al-Aqsa pendant le ramadan cette année.

Le dernier vendredi du mois sacré en 2022, 160 000 personnes se sont rendues à la mosquée. Ce chiffre est tombé à 130 000 en 2023 et à 120 000 en 2024. Cette année, dans la troisième ville la plus sainte de l'islam, seuls 75 000 fidèles ont assisté aux dernières prières du vendredi du ramadan à Al-Aqsa. La 27e nuit du ramadan, lorsque les fidèles recherchent Laylat Al-Qadr, connue sous le nom de Nuit du pouvoir, l'une des nuits les plus importantes de l'islam, l'assistance a chuté de près de moitié, passant de 300 000 personnes en 2022 à seulement 180 000 en 2025.

Il ne s'agit pas d'une coïncidence. Ce déclin est directement lié aux restrictions imposées par Israël. Des mesures telles que des quotas arbitraires, des limitations d'âge et la fermeture des points de contrôle empêchent les Palestiniens de Cisjordanie et des régions avoisinantes d'accéder aux lieux saints. Les hommes de moins de 55 ans n'ont pas le droit d'entrer dans la mosquée, et même les groupes restreints qui sont autorisés à y pénétrer ne doivent pas dépasser un quota de 10 000 fidèles venant de l'extérieur de Jérusalem. En fait, les fidèles sont exclus de leur propre mosquée sacrée pendant les jours les plus sacrés de l'année.

Ces mesures ne concernent pas seulement la sécurité, mais aussi la souveraineté, la question de savoir qui appartient à Jérusalem et qui n'y appartient pas. En dépouillant les institutions palestiniennes, en réduisant au silence les voix politiques et en empêchant les rassemblements culturels et religieux, les autorités israéliennes redessinent la ville non seulement physiquement, mais aussi socialement et spirituellement.

Pourtant, face à tout cela, la résilience de la communauté palestinienne de Jérusalem reste forte. Malgré les fermetures et les restrictions, les fidèles continuent d'affluer à la mosquée Al-Aqsa. Les enseignants, les syndicalistes et les organisateurs communautaires poursuivent leur travail, souvent au péril de leur vie. Leur détermination nous rappelle qu'aucun ordre administratif ou raid militaire ne peut totalement effacer le lien d'un peuple avec sa terre, son identité et son avenir.

Si Israël recherche réellement la paix et la coexistence, il doit commencer par reconnaître les droits des Palestiniens à exister, à s'organiser et à prospérer. Cela implique le respect du droit international, la protection des institutions éducatives et religieuses et la liberté pour les Palestiniens de s'engager dans une vie politique et civile normale.

La communauté internationale, en particulier les alliés d'Israël, doit également prendre note : le silence face à ces violations est synonyme de complicité. Alors qu'Israël continue de se réclamer de la démocratie, ses actions à Jérusalem-Est racontent une autre histoire, celle de l'exclusion, de la répression et de l'effacement systématique.

Daoud Kuttab est un journaliste palestinien primé et ancien professeur de journalisme à l'université de Princeton. Il est l'auteur de «State of Palestine NOW: Practical and logical arguments for the best way to bring peace to the Middle East». 
X: @daoudkuttab