Les youyous sont entrés dans Paris !
I love, I love, I love, I love you! I love you! And you! And you! And you!... You! You! You! Youyou! Youyouyou! Youyouyouyou!…
Vous entendez? Entendez-vous ces féroces youyous qui viennent jusque dans nos salles de spectacles engorger les oreilles de nos fils et de nos compagnes?… C’est comme ça, depuis des années: dans toutes les salles de France et de Navarre, on acclame les artistes à coups de youyous! Et pas seulement Enrico Macias et Jamel Debbouze, mais également Camélia Jordana, Alain Souchon, et même Carla Bruni!... Oui, mesdames et messieurs, «Les youyous sont entrés dans Paris!» Moi, qui adore la magnifique chanson de Serge Reggiani, Les loups sont entrés dans Paris, j’en suis tout retourné!
Il faut se rendre à l’évidence: dans le show-biz comme dans les meetings politiques, la mode est aux youyous! Dans les salles de spectacles comme sous les chapiteaux des festivals, des youyous, on n’entend plus que ça, de la France d’en bas jusqu’au… Zénith, en passant par l’Olympia! Mieux encore, ou plutôt pire encore: voilà qu’un maire d’une belle ville de France vient de décréter l’interdiction de pousser des youyous dans les salles de mariage!
Après tout, il faut le comprendre: la plupart de ces salles, en France en tout cas, se distinguent par la somptuosité des tapisseries murales, parfois des œuvres d’art. Aussi, je comprends fort bien qu’il y ait risque, à force de cérémonies de mariage et, donc, de youyous, que des décibels perçants ne finissent avec le temps par éroder les murs avec les «stridences des éclats», pour reprendre l’expression du grand écrivain et journaliste Henri Barbusse, dans Le Feu (prix Goncourt 1916).
Cela dit, il faut savoir qu’une salve de youyous lors d’un concert d’Axiom n’aura pas les mêmes effets psychiques sur l’artiste qu’une salve de youyous lors d’un concert de Michel Sardou. Tel type de modulation lors d’un meeting de Jean-Luc Mélenchon n’est pas du tout compatible avec le tympan de Caroline Fourest ou même d’Éric Zemmour… Telle fréquence vibratoire n’a pas la même probabilité de tolérance aux oreilles d’Anne Hidalgo qu’aux oreilles de Marine Le Pen… Tout le monde garde en mémoire l’air effaré de Madame Chirac, le 28 avril 2002, place de la République, lorsqu’elle entendit, aux côtés de son mari nouvellement élu, un concert de youyous s’élever de la foule massée au pied de la tribune officielle…
Alors, il ne faut pas s’étonner qu’un maire veuille interdire les youyous dans sa salle de mariage! Le hic, c’est qu’en réponse à cette interdiction le rappeur Axiom a commis un tube avec sa chanson Des youyous dans ma mairie, dont le refrain dit: «Dans ma mairie, y'a des fatmas et des youyous/Des foulards, des babouches et des boubous/Des voyous, des Zoubida, des Mamadou/Au secours! On n'est plus chez nous!»
Pourtant, elles sont nombreuses les fatmas qui vous disent: «Le youyou comme facteur d’intégration, c’est possible! Après tout, on a bien réussi avec le couscous!»
Et puis, gardons-nous de sous-estimer les effets thérapeutiques d’une salve de youyous! À ne pas confondre avec les cris des Apaches, qui, eux, accompagnaient des combats ou fêtaient des victoires! Les youyous, c’est autre chose! Même le célèbre historien grec Hérodote (450 av. J.-C.) n’y était pas insensible, lui qui écrivait: «C’est en Libye que se firent entendre d’abord des cris aigus accompagnant les cérémonies religieuses; car l’usage de pousser des cris est très répandu chez les Libyennes, et elles s’en acquittent fort bien…» Et c’est Hérodote qui le dit, pas Éric Zemmour, pardi!
En tout cas, mine de rien, sans tambour ni trompette, le youyou est en train de détrôner l’applaudimètre. Je propose donc que, pour mesurer l’adhésion d’un public à son artiste, on parle désormais non plus d’applaudimètre mais de «youyoumètre». Terme qui, n’en doutons pas, ne tardera pas à entrer dans les dictionnaires, avec cette définition: «Youyoumètre: instrument servant à mesurer l’intensité des youyous. Exemple: “Cet humoriste a été vainqueur au youyoumètre”. Au figuré: “Il a fait, par sa seule présence muette, un tabac au youyoumètre”.»
À ce stade, on peut dire que la question s’impose: pourquoi ne verrait-on pas le youyou aux Victoires de la musique? Vous imaginez une manif, allant de l’Opéra au ministère de la Culture, pour réclamer l’intégration du youyou au palmarès des Victoires? Les organisateurs annoncent 1 000 manifestantes, la préfecture de police parle de 300.
Imaginez un radioreporter à son micro…
«Absolument, Thierry, je me trouve en ce moment même place de l’Opéra. C’est de là que le cortège va s’ébranler, en direction de la rue de Valois… Ça y est, c’est parti! Oh là là, c’est indescriptible, Thierry! Des milliers de gosiers qui se lancent dans des envolées de youyous fous, fous, fous! Le cortège est formé exclusivement de Françaises “issues de l’immigration”. Et le plus extraordinaire, c’est que je ne vois aucun voile sur les têtes. Pas l’ombre d’une burqa, Thierry! Toutes chevelures dehors, nos amazones youyoutent à qui mieux mieux! Et ces youyous, modulés sur tous les registres, sont salués depuis les trottoirs jusqu’aux balcons, par des Parisiens visiblement gagnés à la cause. Incroyable! Ces gorges déployées, ces vocalises qui vibrent et résonnent dans le ciel de Paris, c’est du jamais vu, Thierry, du jamais entendu! Et plus époustouflant encore, on n’entend pas un seul mot d’ordre, que des youyous en guise de slogans! Oh là là! Qu’est-ce que j’entends? La Marseillaise, Thierry, La Marseillaise interprétée en youyous! Je rêve ou quoi, Thierry… Comment? Tu les entends, toi aussi? Tu entends La Marseillaise? Ah! Quelle chair de poule, maman... La Marseillaise au son du fifre et du “bin-you-you”... C’est ta revanche, Rouget de L’Isle: tes couplets ne sont plus sifflés, ils sont “youyoutés”. Quelle revanche, maman, et quelle émotion! La chair de poule, que je te dis, m’man, la chair de poule... Et puis, cette banderole bleu blanc rouge, où je lis une revendication, une seule: “Le youyou: exception culturelle française”.»
Alors, cher lecteur, Français de souche, si vous voulez prouver à votre petite amie que vous avez de la branche*, un conseil: ne lui dites pas I love You, cela fait anglophile primaire! Mais dites-lui: «I love youyou». Et vous m’en donnerez des nouvelles!
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
TWITTER: @SGuemriche
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
*«Avoir de la branche» (expression du XIXe siècle), c’est avoir de la classe, de la distinction.