La loi dite « loi sur le séparatisme » finalement présentée à l'assemblée législative française comme « dispositions pour la confrontation des principes républicains » a suscité un grand tollé dans le monde arabo- musulman et dans une large frange de la communauté musulmane française.
Excepté quelques écarts de formulation, et des mesures secondaires déjà révisées, la loi qui, avec la vague d’attentats qui a secoué la France en 2020, reste sans doute un des grands titres de l’année qui s’écoule, ne présente aucune innovation sur le plan juridique. Elle se contente uniquement d'entériner des principes constitutionnels élémentaires ou des dispositions réglementaires déjà en vigueur.
L'enjeu est donc ailleurs, il concerne une singularité française qui a toujours été objet de controverse, non seulement dans le monde arabe et musulman, mais aussi en Europe et aux États-Unis d'Amérique où le processus de sécularisation inhérent à la modernité a été vécu et exprimé dans d'autres régimes normatifs.
La laïcité républicaine est en effet une exception française. Elle est même une formule difficilement traduisible, selon Régis Debray, qui la considère comme une conquête catholique pour préserver le droit de culte face à une idéologie anticléricale issue de la révolution et de la philosophie des lumières.
La question religieuse a toujours été délicate et passionnée en France, par rapport au modèle anglais qui instaure l'anglicanisme comme religion d'état tout en élargissant les libertés privées dans le cadre d'une société multiculturelle libérale, et par rapport au modèle américain qui aligne une religion civile bien ancrée dans l'imaginaire collectif à un régime de stricte séparation entre le culte et le politique.
La singularité française s'est nourrie longuement de l'institution républicaine solide qui a réussi à remodeler et homogénéiser la société par le biais surtout des politiques administratives et éducatives .
L'Etat jacobin centralisateur a conservé durant longtemps sa capacité d'intégration qui a protégé la société des schismes et antagonismes dévastateurs, et le régime de laïcité fut le catalyseur principal de la cohésion sociale.
Le nouveau débat sur le séparatisme est donc lié à la crise du modèle républicain laïc français, bien que la question de l'Islam apparaisse comme l'enjeu principal de ce débat.
Il y a lieu de tracer ici la ligne de démarcation nécessaire entre le problème posé au modèle français par la dynamique de migrations qui n'est pas réductible à la migration arabo - musulmane, et l'image de l'Islam comme religion et spiritualité, souvent soumis au prisme déformant du terrorisme et du radicalisme idéologique.
L'Etat jacobin centralisateur a conservé durant longtemps sa capacité d'intégration qui a protégé la société des schismes et antagonismes dévastateurs, et le régime de laïcité fut le catalyseur principal de la cohésion sociale.
C'est cette double confusion qui a entraîné la controverse malsaine qui entache aujourd'hui lourdement les rapports entre le monde arabo- musulman et la France.
C'est ainsi qu'une loi censée renforcer et revigorer le lien républicain face à un véritable phénomène de communautarisme étroit a été considérée comme liberticide et islamophobe ( Debray parle du passage d'une laïcité de séparation à une laïcité de combat).
Cependant personne ne peut dénier à l'autorité publique le plein droit de se prévaloir des mesures nécessaires pour affronter des foyers de radicalisation et d'extrémisme, de combattre la culture de haine et de repli sur soi, mais ce droit ne dispense en rien de l'obligation nécessaire de résoudre les problèmes relatifs à la fracture sociale et aux discriminations raciales ou culturelles signalées et reconnues par les instances régulatrices et les observatoires d'opinions publiques.
L'opinion arabe a eu de réelles difficultés à suivre les changements substantiels qu'a connu le champ politique cette dernière décennie, illustrés par la montée fulgurante de l'extrême droite raciste et islamophobe dans un contexte de marasme économique et social endémique et de crise d'insécurité profonde.
Les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir en France se sont trouvés démunis face à ce péril ; ils ont opté souvent pour des solutions de synthèse entre les politiques sécuritaires rigoristes, quitte à générer des déboires (telle la politique identitaire de Sarkozy) et l'attachement aux valeurs républicaines universalistes comme digue de protection de la nation unie et solidaire.
Toutefois la recrudescence des actes terroristes ces dernières années a fini par renforcer l'image négative de l'Islam et de l'arabe en France, et par conséquent à alimenter la tendance radicale raciste qui s'est élargie de l'extrême droite à une frange d'intellectuels d'obédience gauchiste qui se sont approprié le paradigme de clash des cultures.
L'opinion arabe, qui a souvent subi la manipulation des mouvements radicaux d'islam politique, a été rattrapée par le piège des mouvements identitaires culturalistes qui réduisent le " mal français " en problème mondial de l'Islam envahissant et agressif.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com