Comme si ce petit pays n’avait pas eu son lot de crises économiques, financières et politiques en série, un nouveau problème se présente au travers de la question de la délimitation des frontières maritimes au Sud avec Israël et au Nord avec la Syrie. Il faut noter que le pays du Cèdre est aux prises avec deux voisins difficiles, qui représentent une partie des problèmes qu’il affronte depuis de longues décennies.
L’importance que revêt la délimitation des frontières maritimes libanaises est due à la présence de ressources d’hydrocarbures commercialisables dans la zone maritime qui longe le littoral libanais et ses eaux territoriales, à l’instar des richesses pétrolières découvertes dans les pays voisins, comme Chypre et Israël, avec lesquels le Liban partage des frontières maritimes.
Mais la différence entre le Liban, d’une part, et Israël et Chypre de l’autre, est que ces deux derniers ont pris une longueur d’avance considérable dans les phases de prospection, de forage, d’extraction et de commercialisation, à l’heure où le Liban fait du surplace en raison du litige qui entoure le tracé des frontières avec Israël, et du fait de l’erreur commise par de précédents gouvernements dans la délimitation des frontières avec Chypre.
De vastes superficies ont été perdues au profit de l’île en raison de l’incompétence gouvernementale dans la gestion de dossiers de cette envergure. Et en ce qui concerne Israël, une faute majeure a été commise en 2011 lors de la détermination de la Zone économique exclusive (ZEE) maritime du Liban.
On en est là, alors que les négociations sont reportées sine die. Pendant ce temps, Israël continue d’exploiter les champs pétroliers situés à la lisière du Liban.
Ali Hamade
A l’époque, le gouvernement de Nagib Mikati avait fixé par décret les frontières maritimes avec Israël, de sorte que la zone litigieuse avec l’Etat hébreu s’étalait sur 860 km2 au profit du Liban, en vertu de la proposition faite alors par l’ancien médiateur américain, Frederic Hof, comme point de départ des négociations entre les deux pays.
C’est sur cette base que les Etats-Unis se sont mobilisés une nouvelle fois, par le biais de David Schenker, secrétaire d’Etat adjoint pour le Moyen-Orient sous l’administration de l’ancien président Donald Trump. M. Schenker a visité Liban en novembre dernier et y a lancé, aux côtés du président du Parlement, le cadre des pourparlers entre le Liban et Israël dans l’objectif de mettre un terme au contentieux maritime entre eux.
Il s’agissait aussi, par la même occasion, de permettre aux compagnies pétrolières intéressées par la région de travailler à l’ombre d’un accord de principe sur la délimitation des frontières, au lieu de geler les travaux pour une durée indéterminée dans la zone disputée, ce qui occasionnerait des pertes pour les deux camps, et particulièrement pour le Liban qui souffre de sa plus grave crise financière et économique depuis sa création en 1920.
Avec le lancement des négociations indirectes libano-israéliennes, et la participation du médiateur américain, la délégation militaire libanaise aux pourparlers a entrepris de réexaminer la délimitation fixée par le gouvernement libanais en 2011 et l’a amendée de sorte que la superficie disputée en faveur du Liban excède les 2 290 km2. Le cours des négociations avec les Israéliens en a alors été affecté, les discussions se sont arrêtées et les Américains ont exprimé leur colère jusqu’après le départ de Donald Trump de la Maison Blanche.
Au cours de sa dernière visite au Liban la semaine dernière, le sous-secrétaire d’État américain pour les affaires politiques, David Hale, a déclaré que le Liban devrait se contenter de ce qui a été offert lors du lancement des négociations en novembre 2020, parce qu’il n’obtiendrait pas une meilleure offre. De cette façon, il ne perdrait pas un temps précieux qu’il peut exploiter pour entamer les travaux de forage et hâter l’extraction du gaz naturel, au profit du plan de sauvetage économique.
Au même moment, le gouvernement a émis un nouveau décret qui modifie l’ancien et fixe à 2 290 km2 la zone revendiquée par le Liban au lieu de 860 km2. Ce décret a cependant été stoppé chez le président de la République, lequel ne l’a pas contresigné sous prétexte que l’approbation du gouvernement intérimaire réuni serait requise pour pour l’adopter! Et c’est là que le bât blesse: le cabinet démissionnaire ne peut se réunir en raison du bras de fer politique qui perdure entre le chef de l’État, Michel Aoun, et le premier ministre désigné, Saad Hariri. Appeler à une réunion du cabinet sortant pour adopter le décret sur la délimitation des frontières maritimes méridionales, préalablement à son enregistrement auprès des Nations unies, équivaut à ajouter de l’huile sur les flammes de la formation du futur exécutif. On sait que le président de la République s’efforce depuis un certain temps de réactiver le gouvernement démissionnaire et de le pousser à se réunir, en tentant de contourner la mission du Premier ministre désigné.
Mais à Beyrouth, d’aucuns pensent que le chef de l’Etat a décidé d’ajourner sa signature du décret lors de la visite de David Hale au palais présidentiel. Il l’aurait fait afin de marquer des points auprès des Américains, et peut-être aussi dans le but de permettre la levée des sanctions imposées précédemment par Washington contre son gendre, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre!
On en est là, alors que les négociations sont reportées sine die. Pendant ce temps, Israël continue d’exploiter les champs pétroliers situés à la lisière du Liban. Quant au médiateur américain, il fait part de son rejet de la position libanaise alors que le Liban s’enfonce de plus en plus dans sa crise, son impuissance et son chaos!
Parallèlement, et dans une répétition du scénario avec Israël, le régime syrien a récemment adjugé à des compagnies russes des contrats de prospection géologique aux frontières maritimes avec le Liban, une zone qui chevauche le bloc numéro 1 libanais. Soudain, les responsables libanais se rendent compte que le même problème israélien se pose avec la Syrie. Il est même plus compliqué parce que Damas n’a pas entrepris d’enregistrer la superficie de son espace maritime auprès des Nations unies. Or les compagnies russes ont entamé les travaux de prospection sans communiquer avec le Liban, profitant du fait que la Syrie continue d’avoir de l’influence au pays du Cèdre, que la Russie est fortement implantée en Syrie et qu’elle peut exercer une influence auprès de forces libanaises de poids, telles que le Hezbollah et d’autres alliés de la Syrie et de l’Iran.
S’il ne se hâte pas de délimiter ses frontières maritimes au Nord, d’adopter un décret à ce sujet et de l’enregistrer auprès des Nations unies en prélude à des négociations avec la Syrie, le Liban risque de perdre de 750 à 1000 km2 de terrain. De quoi aggraver le problème du pays, impuissant tant au Sud qu’au Nord et coincé entre d’une part Israël et La Syrie, et d’autre part l’Amérique et la Russie.
Si le litige qui se profile à l’horizon avec la Syrie dégénère, la Russie entrerait dans le jeu du fait de l’influence qu’elle y exerce, en lançant une médiation pour la formation d’un nouveau gouvernement au Liban, tout autant que sur la question des frontières maritimes entre le Liban et la Syrie. Moscou deviendrait ainsi partenaire dans toute future négociation à cet égard.
La Russie, qui effectue des activités de forage dans les eaux syriennes, ne manque pas d’exploiter sa présence. Déjà représentée au Liban à travers la compagnie Novatek, qui participe aux travaux dans les eaux libanaises, elle peut ajouter à sa liste d’atouts la société russe Rosneft qui a remporté dernièrement l’appel d’offres pour la réhabilitation des réservoirs pétroliers de Tripoli, dans le Nord du Liban. Toutes ces données lui ouvrent la voie pour dérouler des tentacules au Liban, tant sur le plan politique que pétrolier.
Et c’est ainsi que le Liban, qui continue à crouler sous le poids de la crise financière, économique et politique, reviendrait à la case départ : pas de pétrole avant que les contentieux au Sud et au Nord ne soient réglés, sous le parrainage américain et russe. Autrement dit, c’est la politique des occasions manquées.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
TWITTER: @AliNahar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.