La crise diplomatique déclenchée lundi dernier par l’ex-ministre libanais des Affaires étrangères Charbel Wehbé est une nouvelle étape dans le processus de détérioration des relations officielles du Liban avec les États arabes, en particulier avec les États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), et à leur tête le royaume d’Arabie saoudite.
Les positions exprimées par le chef de la diplomatie, qui contenaient du mépris à l’égard des racines culturelles et historiques des peuples du Golfe, ont été qualifiées de «stupéfiantes» par le ministère saoudien des Affaires étrangères dans son communiqué. Ces positions outrepassent les règles diplomatiques, et il est rare qu’un ministre des Affaires étrangères de n’importe quel pays du monde s’exprime ainsi.
Et pour cause: ce dernier, invité d’un programme télévisé, s’est mis en colère au cours de l’émission et il a accusé les États du Golfe d’avoir exporté le terrorisme, incarné par Daech, dans la région. Cela s’est passé alors que le Liban officiel était censé entretenir de bons rapports avec les États du Golfe. Il était aussi censé, depuis un certain temps, s’efforcer d’améliorer l’état de ces relations, qui ont connu des secousses à de nombreuses occasions au cours des dernières années, essentiellement depuis l’accession de Michel Aoun à la présidence (au mois d’octobre 2016).
Cette accession avait eu lieu dans le cadre d’un compromis présidentiel qui, au bout du compte, a mené au Liban, selon tous les observateurs, à un basculement des rapports de force en faveur du Hezbollah, lequel est parvenu à prendre dans le pays le contrôle du pouvoir de décision souverain. Cela a été rendu possible par l’adoption, sous le mandat du président Aoun, d’une loi électorale dont le Hezbollah a pu bénéficier.
L’incident diplomatique qui a éclaté lundi soir entre le Liban officiel et l’Arabie saoudite, avec à ses côtés tous les États du Conseil de coopération du Golfe, qui ont convoqué les ambassadeurs du Liban accrédités auprès d’eux, a révélé l’existence de la crise profonde dont souffre le Liban dans ses relations arabes, et notamment avec les États du Golfe
Ali Hamade
L’équation à la Chambre des députés s’est ainsi modifiée, en 2018, le Hezbollah et ses alliés, parmi lesquels le parti du président, le Courant patriotique libre (CPL), y disposant désormais d’une majorité que l’ancien chef de la brigade Al-Qods au sein des Gardiens de la révolution islamique, Qassem Soleimani, avait évaluée à l’époque à plus de 75 sièges sur 128.
L’incident diplomatique qui a éclaté lundi soir entre le Liban officiel et l’Arabie saoudite, avec à ses côtés tous les États du Conseil de coopération du Golfe, qui ont convoqué les ambassadeurs du Liban accrédités auprès d’eux, a révélé l’existence de la crise profonde dont souffre le Liban dans ses relations arabes, et notamment avec les États du Golfe.
Ces derniers ont joué et jouent toujours un grand rôle dans le soutien apporté au Liban sur plusieurs plans, surtout dans les domaines économique, humanitaire et de développement. Ils accueillent en outre de grandes communautés de Libanais qui travaillent depuis des décennies dans les six États du CCG et dont le nombre dépasse le demi-million. Ces expatriés transfèrent annuellement au Liban entre 3 et 5 milliards de dollars (1 dollar = 0,82 euro), ce qui constitue un soutien essentiel à l’économie libanaise et permet une vie digne à des milliers de familles libanaises habitant la mère-patrie.
Alors, que s’est-il passé pour que l’on entende un ministre libanais des Affaires étrangères tenir des propos désobligeants à l’égard de l’Arabie saoudite, des États du Golfe et de leurs peuples dans leur ensemble? Ces propos reflétaient tout simplement ce qui se dit depuis de longues années dans les milieux du Courant patriotique libre.
Ali Hamade
Et, au-delà, nous pouvons dire que l’histoire du soutien politique et économique du Golfe, et notamment de l’Arabie saoudite, remonte à de lointaines décennies et qu’il a pris des formes différentes au cours des diverses crises par lesquelles le Liban est passé. Ainsi, les liens du Liban avec le Golfe étaient devenus organiques et constituaient un pilier du Liban lui-même.
Alors, que s’est-il passé pour que l’on entende un ministre libanais des Affaires étrangères tenir des propos désobligeants à l’égard de l’Arabie saoudite, des États du Golfe et de leurs peuples dans leur ensemble? Ces propos reflétaient tout simplement ce qui se dit depuis de longues années dans les milieux du Courant patriotique libre.
Ainsi, le ministre Charbel Wehbé (qui a annoncé qu’il cessait ses fonctions au sein du gouvernement d’expédition des affaires courantes) fait partie de l’équipe du chef de l’État, Michel Aoun, et de celle qu’avait dirigée pendant des années au ministère des Affaires étrangères le leader du CPL et par ailleurs gendre du président Aoun, l’ex-ministre Gebran Bassil.
Avant sa nomination, M. Wehbé occupait les fonctions de conseiller diplomatique du président de la République et il était membre de sa garde rapprochée au palais présidentiel. Pour de nombreux Libanais, M. Wehbé n’a rien dit de nouveau par rapport à ce qui se disait dans les milieux du président Aoun, même avant son élection, au mois d’octobre 2016.
À de nombreuses occasions charnières, le président Aoun et son gendre, l’homme fort de son mandat, ont marqué des points noirs dans le registre des relations avec l’Arabie saoudite, sans aucune raison logique qui puisse apporter un bénéfice aux liens du Liban avec l’Arabie saoudite et le Golfe.
Ali Hamade
Au contraire, Aoun et les dirigeants de sa formation allaient plus loin encore dans le passé. Ils ciblaient par exemple le Courant du futur de Saad Hariri – lequel, pendant les longues années qui ont suivi l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, jouissait d’un grand soutien saoudien –, en accusant ses membres d’être des «daéchistes en cravate»! Ils qualifiaient aussi Tripoli, la grande ville à majorité sunnite du Nord, de «Kandahar du Moyen-Orient». Un jour, sur un pont, dans une région où le président Aoun jouit d’une vaste influence populaire, on a vu une banderole sur laquelle était représenté un portrait immense du défunt roi Abdallah ben Abdelaziz, les mains maculées de sang!
Tout cela constitue un petit échantillon d’une histoire riche en hostilités contre l’Arabie saoudite et les États du Golfe de la part du courant du président Michel Aoun. Et cette histoire est d’abord reliée à son alliance étroite avec le Hezbollah, dont l’un des députés au Parlement, Nawaf Moussaoui, avait annoncé un jour devant ses pairs que c’est le fusil de la «résistance» (le Hezbollah) qui a conduit le général Michel Aoun à la présidence de la République.
À de nombreuses occasions charnières, le président Aoun et son gendre, l’homme fort de son mandat, ont marqué des points noirs dans le registre des relations avec l’Arabie saoudite, sans aucune raison logique qui puisse apporter un bénéfice aux liens du Liban avec l’Arabie saoudite et le Golfe. Citons par exemple le refus par Gebran Bassil, alors qu’il était ministre des Affaires étrangères et qu’il participait à une réunion extraordinaire des chefs de la diplomatie arabes, de signer un communiqué condamnant l’Iran et la milice des Houthis après la grande attaque contre les installations pétrolières d’Aramco, sous prétexte de «non-ingérence dans les conflits entre États de la région».
La vérité est cependant que la position de la délégation libanaise était dictée ce jour-là par l’alliance profonde d’Aoun avec le Hezbollah, et donc avec l’Iran.
En conclusion, les propos de l’ex-ministre des Affaires étrangères Charbel Wehbé, hostiles à l’Arabie saoudite et aux États du Golfe, sont à mettre sur le compte d’un climat enraciné dans le milieu politique auquel appartient ce ministre, et qui voue une inimitié à l’Arabie saoudite ainsi qu’aux États du CCG. C’est le résultat de l’adhésion du président Michel Aoun à une alliance régionale dont la décision se trouve à Téhéran. De ce fait, il ne représente guère l’opinion publique libanaise, mais seulement des intérêts politiques particuliers qui ont mené, avec le temps, à isoler le Liban de son environnement arabe à un moment difficile de son histoire.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. Twitter: @AliNahar
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