Intellectuels, professionnels, militants et groupes de protestataires ont lancé samedi une initiative visant à sortir le Liban de sa torpeur. L'initiative, baptisée «la dernière chance», propose une solution globale, réalisable et pragmatique susceptible de répondre aux aspirations de toutes les parties prenantes du Liban et qui s'articule autour de deux priorités: engager des réformes (une première nécessité) et prévenir toute violence.
En effet, cette proposition a pour objectif d’épargner toute confrontation violente qui opposerait les différentes composantes de la société libanaise, les personnes au pouvoir aux citoyens, et le Hezbollah à Israël. Cette initiative repose sur le principe d'une solution applicable qui réponde aux besoins des différentes parties prenantes; mais, pour qu'elle aboutisse, elle requiert avant tout une coopération entre les États-Unis et la Russie.
Dans un premier temps, les détenteurs du pouvoir doivent démissionner pour confier au commandant de l'armée, figure consensuelle, le soin de former un gouvernement de technocrates qui mettra en œuvre les réformes, préparera les élections et restituera les fonds détournés. Cette proposition a d’ailleurs été bien accueillie; lors de son homélie dominicale, le métropolite grec orthodoxe de Beyrouth, Elias Audi, a exhorté les responsables politiques à céder la gestion du pays à des personnes compétentes.
Cependant, convaincre les autorités de cette éventualité exige un ensemble de pressions et de garanties. Les États-Unis peuvent brandir la menace de sanctions contre la plupart des politiciens tout en proposant une amnistie contre leur retrait. À ce jour, Washington s'est abstenu de sanctionner certains politiciens corrompus dans la mesure où il considère qu'ils constituent un contrepoids au Hezbollah. Sur ce point, il incombe aux États-Unis de coopérer avec la Russie afin de mettre sous pression le Hezbollah, ce que les États-Unis ne peuvent faire seuls. En effet, la Russie exerce une influence sur le Hezbollah en Syrie. Là, la Russie consent tacitement aux attaques menées par Israël contre le groupe islamiste. Ainsi, elle entretient de bonnes relations avec Israël, mais elle peut également dialoguer avec le Hezbollah; cette réalité fait de la Russie le seul acteur susceptible de garantir un engagement non violent entre les deux camps.
Les intérêts américains et russes convergent au Liban; ni l'un ni l'autre des deux pays ne souhaite voir émerger un nouveau pays en déroute ou un environnement propice aux groupes terroristes, ce qui porterait préjudice à toutes les parties.
Dania Koleilat Khatib
Cependant, les relations entre les États-Unis et la Russie continuent de se détériorer et atteignent même une certaine animosité. On entend désormais parler d'une nouvelle «guerre froide». Joe Biden a récemment accusé Vladimir Poutine d'être un tueur. Cette escalade ne profite à aucun des deux pays et finira par les épuiser. Néanmoins, l'histoire nous a appris que la convergence des intérêts relègue au second plan l'idéologie et les principes. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on a vu Staline devenir du jour au lendemain «l'oncle Joe» lorsque l'Union soviétique a joué un rôle décisif dans la défaite de son ancien allié nazi.
En outre, les intérêts américains et russes convergent au Liban. Aucun de ces deux pays ne souhaite voir émerger un nouveau pays en déroute ou un environnement propice aux groupes terroristes, ce qui ne manquerait pas de porter préjudice à toutes les parties. Ce scénario entraînerait une nouvelle vague de réfugiés que l'Europe devrait gérer. D'autre part, le monde n'a pas les moyens d'injecter davantage de fonds dans un système corrompu et défaillant qui a déjà mis le Liban à genoux; soutenir financièrement le Liban ne ferait qu'attiser la crise au lieu d'y remédier.
La communauté internationale est consciente du fait que la seule voie qui mène à une solution passe par la configuration politique existante. En effet, l'initiative du président français a échoué lorsque les politiciens qui avaient décidé de former un gouvernement de spécialistes sont revenus sur leurs promesses et sont retournés à leurs petites querelles. Cela prouve que ceux qui sont les responsables du problème ne sont pas en mesure d’y apporter une solution. Ni le président libanais, ni Saad Hariri ne parvient à convenir d'un cabinet, six mois après la nomination de ce dernier pour former un nouveau gouvernement. Outre leur volonté de prévenir la désintégration du Liban, les États-Unis et la Russie souhaitent contenir l'Iran. Bien que la Russie et l'Iran soient des partenaires en Syrie, la Russie a néanmoins pour ambition de continuer à piloter le dossier syrien.
Ainsi, les États-Unis et la Russie se doivent de coordonner leurs efforts afin d’assurer la réussite du futur gouvernement de transition du Liban. Plutôt que d'un terrain destiné à marquer des points, le Liban devrait servir de plate-forme de rapprochement. Par ailleurs, une structure générale pour la coopération est déjà établie: le Groupe de soutien international. Il fut créé par l’ancien président Michel Sleiman en 2013 sous l'égide des Nations unies pour mobiliser un soutien au Liban; les États-Unis et la Russie y participent.
À ce jour, la Russie s'est montrée plus performante en termes de hard power («manière forte») que de soft power («manière douce»). Toutefois, le Liban offre justement à Moscou une occasion en or pour jouer un rôle de médiateur. Influente en Libye et maître du jeu en Syrie, la Russie n'a joué qu'un rôle diplomatique restreint. La conférence sur les réfugiés syriens qu'elle a organisée au mois de novembre dernier a été boycottée par l'Occident, qui perçoit la Russie sous un mauvais jour et reste sourd à ses arguments sur le plan diplomatique. Le Liban donne à la Russie l’opportunité de renforcer sa diplomatie et de se rapprocher des États-Unis.
En effet, cette coopération peut constituer une plate-forme qui permettrait une plus grande coopération sur d'autres problèmes régionaux, tels que la Syrie et la Libye. Cependant, pour que cette coopération porte ses fruits, le Liban doit être dissocié de tout autre dossier. Ainsi, la Russie ne peut exiger des États-Unis qu'ils reconnaissent le régime d'Assad en Syrie en échange du fait que Moscou jugule le Hezbollah. Et ce dernier ne peut demander à la Russie de convaincre Israël de renoncer à ses frappes contre la Syrie en échange de l’acceptation par le groupe islamique d’un gouvernement de transition au Liban. Les activités que le Hezbollah mène au-delà des frontières du Liban doivent être exclues du débat.
Un tel rapprochement entre les États-Unis et la Russie pourrait apaiser la situation dans la région et favoriser un climat de stabilité dont le Moyen-Orient a cruellement besoin. Le Liban est le point de départ pour un tel rapprochement.
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com