L'Iran et Israël au bord du gouffre

Les conséquences de l'explosion survenue dans l'installation nucléaire iranienne de Natanz. (Reuters via MAXAR)
Les conséquences de l'explosion survenue dans l'installation nucléaire iranienne de Natanz. (Reuters via MAXAR)
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Publié le Dimanche 18 avril 2021

L'Iran et Israël au bord du gouffre

L'Iran et Israël au bord du gouffre
  • Les actes de guerre survenus ces derniers temps entre Israël et l'Iran laissent entrevoir l'inévitabilité de nouvelles escalades plus périlleuses
  • La politique iranienne a abouti à un vaste consensus en Israël selon lequel l'Iran constitue une menace existentielle, ou du moins un défi stratégique majeur

Rien de surprenant ou de nouveau à voir Israël et l'Iran s'engager dans une guerre larvée, assortie de discours agressifs incessants. En effet, on a assisté à une escalade du conflit au cours des derniers mois. Celui-ci sort de l'ombre, passe de la discrétion à l'évidence, renonce à tout déni plausible et avance ainsi vers le gouffre où la confrontation s'intensifie et s'étend à d'autres domaines ; le conflit évolue donc pour devenir plus frontal.

Les actes de guerre survenus ces derniers temps entre Israël et l'Iran laissent entrevoir l'inévitabilité de nouvelles escalades plus périlleuses. Les relations entre les deux pays sont particulièrement dangereuses en raison de la précarité des systèmes politiques iranien et israélien qui, chacun à sa manière, souffrent d'une discorde interne chronique qui les rend plus enclins à appliquer une politique étrangère agressive, ce qui augmente le risque de commettre des erreurs de calcul.

Par ailleurs, une mystérieuse explosion a provoqué le week-end dernier une panne d'électricité qui a, à son tour, infligé des dégâts à l'installation d'enrichissement de l'uranium de Natanz. Cette explosion a perdu de son caractère mystérieux lorsque les responsables israéliens ont commenté cet événement, qualifié de « terrorisme nucléaire » par le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, ainsi que par d'autres responsables. Cette offensive fait suite à une série d'attaques réciproques et continues contre des navires israéliens et iraniens dans les eaux internationales, à des cyberattaques contre des installations importantes et à l'assassinat de scientifiques iraniens, notamment  l'assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, considéré comme le scientifique nucléaire le plus renommé de l'Iran. Toutefois, ce qui change la donne, c’est en effet le passage rapide et très public d'une guerre de mots à des mots de guerre. Autre facteur qui fait basculer la situation est la prédisposition de chaque camp à assumer la responsabilité de ses actions belliqueuses de manière particulièrement nonchalante.

Pendant plus de deux décennies, Israël a poursuivi sans relâche sa campagne diplomatique et militaire visant à empêcher l'Iran de développer ses capacités militaires nucléaires; pourtant Israël a fait preuve d'ambiguïté lorsqu'il s'agissait d'opérations militaires. Peu à peu, cette campagne est en passe de disparaître, et la question est de savoir si cette évolution est motivée par des considérations stratégiques ou plutôt par les contraintes politiques et juridiques internes qui pèsent actuellement sur le Premier ministre Benjamin Netanyahu et par la volonté de Washington de retourner au Plan d'action global conjoint (PAGC).

La rivalité qui oppose l'Iran et Israël caractérise la politique du Moyen-Orient depuis 1979. La volonté de se doter d’une capacité nucléaire ne représente qu'une facette de la menace posée par l'Iran, si l'on tient compte de sa présence importante et manifeste en Syrie en soutien au régime meurtrier de Bachar Al-Assad, trop proche géographiquement du Golan occupé par Israël. En outre, l'Iran fournit un arsenal de roquettes et de missiles extrêmement sophistiqué à son allié chiite islamiste qu'est le Hezbollah, l'ennemi juré d'Israël, et soutient des groupes radicaux en Palestine. Tout cela a abouti à un vaste consensus en Israël selon lequel l'Iran constitue une menace existentielle, ou du moins un défi stratégique majeur. Toutefois, cette situation requiert une réponse pondérée associant différents outils en matière de politique étrangère. Voilà donc qu’Israël provoque l'Iran pour qu'il riposte, non seulement en raison de l'attaque de la semaine dernière, mais surtout en raison de l'humiliation publique que Tel Aviv a infligée à Téhéran.

Le jugement politique de M. Netanyahu a longtemps été brouillé par ses ennuis judiciaires. Néanmoins, il a été l'un des plus farouches et virulents opposants au PAGC. En outre, il s'est empressé de prendre des mesures de plus en plus agressives pour éviter le retour à l'accord sur le nucléaire iranien, lorsque l'administration Biden a décidé de relancer cet accord, contrairement à l'administration précédente, alignée, elle, sur la position de Netanyahu pendant quatre ans. Le fait que l'attaque de Natanz ait eu lieu au moment où les négociations indirectes entre Washington et Téhéran sur le PAGC ont repris à Vienne ne peut guère être un hasard. De surcroît, l'explosion s'est produite lors d'une visite en Israël du secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin. Si Washington a nié tout rôle dans l'attentat, le fait qu'il coïncide avec cette visite très médiatisée met en cause les États-Unis et signifie que, dans cette alliance étroite, Israël ne se conforme pas nécessairement aux directives de son allié le plus puissant.

Ce qui change la donne, c’est en effet le passage rapide et très public d'une guerre de mots à des mots de guerre.

Yossi Mekelberg

Le consensus est que l'accord sur le nucléaire de 2015 est, dès le départ,  loin d'être parfait. Cependant, il convient de privilégier un accord amélioré auquel toutes les parties accepteront d'adhérer, plutôt que d'ouvrir la voie à une détérioration rapide des relations. La réponse provocante de l'Iran à l'explosion survenue la semaine dernière montre que celui-ci ne baissera pas facilement les bras: il a fait savoir qu'il allait enrichir de l'uranium à 60%, un degré de pureté jamais atteint auparavant qui constitue une nouvelle violation du PAGC. Il est peu probable qu'il se montre docile, sous pression, à deux mois seulement des élections présidentielles.

L'Iran possède, certes, de réelles vulnérabilités. Cependant, il convient d'abord de mettre sa bravoure à l'épreuve à la table des négociations avant que la communauté internationale ne recoure à d'autres moyens. La politique étrangère de l'Iran est un amalgame de victimisation, de paranoïa et d'agressivité. Toutefois, le corollaire ultime ne consiste pas à considérer que les efforts diplomatiques ne porteront pas leurs fruits ou que le gouvernement iranien ne se montrera pas réceptif aux pressions et aux incitations que l'on pourra lui adresser.

Dans le contexte inhabituel qui s'empare de la politique israélienne, M. Netanyahu entrave la nomination d'un ministre de la Justice. Ainsi, le procureur général Avichai Mandelblit a fait savoir que le Cabinet spécial pour la sécurité ne pourra se réunir que pour statuer sur des questions de première urgence et qu'il devra réunir le même nombre de ministres appartenant aux deux partis au pouvoir, le Likoud et l'alliance Bleu et Blanc. La situation est donc extrêmement précaire : alors qu'un conflit avec un ennemi principal se profile à l'horizon, le pays se retrouve sans Cabinet de sécurité opérationnel ; le ministre de la Défense Benny Gantz et le ministre des Affaires étrangères Gabi Ashkenazi, tous deux anciens dirigeants des Forces de défense israéliennes, sont tenus à l'écart de la prise de décision.

En revanche, le Premier ministre est englué dans un procès pour corruption et il a intérêt à transformer une affaire du plus haut intérêt national en une urgence et à exiger ainsi la formation d'un nouveau gouvernement de coalition qu'il dirige lui-même. Pourtant, il décide seul de la nomination d'un ministre de la Justice, cloisonne tous les organes compétents de l'Etat et interdit à la Knesset de surveiller le processus.

Il va sans dire qu'il convient de dissuader l'Iran de développer une capacité militaire nucléaire. S'il y parvient, cela ne fera que déstabiliser davantage la région, aggravera le comportement subversif de Téhéran dans d'autres parties du Moyen-Orient et renforcera ses activités destructrices contre les voies de navigation internationales. Cependant, la différence est criante entre la volonté de dissuader Téhéran et celle de l'humilier. La seconde risque de le pousser à bout et de conférer davantage de pouvoir aux acteurs plus extrêmes et plus belliqueux au sein de sa direction.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques. Twitter: @YMekelberg

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com