La sécurité, première préoccupation du successeur de Merkel

La chancelière allemande, Angela Merkel, mange des frites à la Maison Antoine de Bruxelles lors d'une pause du sommet des dirigeants de l'Union européenne, le 19 février 2016. (Photo Reuters)
La chancelière allemande, Angela Merkel, mange des frites à la Maison Antoine de Bruxelles lors d'une pause du sommet des dirigeants de l'Union européenne, le 19 février 2016. (Photo Reuters)
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Publié le Lundi 15 mars 2021

La sécurité, première préoccupation du successeur de Merkel

La sécurité, première préoccupation du successeur de Merkel
  • Alors qu’Angela Merkel se prépare à quitter ses fonctions au mois de septembre, jamais l'approbation de sa direction de l'Allemagne n'a été aussi grande
  • En tant que produit d'une Allemagne divisée ayant grandi dans une RDA isolée et répressive, Merkel n'a jamais oublié les leçons de sa jeunesse

Alors que la chancelière Angela Merkel se prépare à quitter ses fonctions au mois de septembre après près de deux décennies au pouvoir, jamais l'approbation de sa direction de l'Allemagne n'a été aussi grande. Prétendument inexpérimentée et peu charismatique, Merkel n'était pas à court de détracteurs lorsqu'elle a pris les rênes du pays en 2005. Aujourd'hui, pourtant, seuls quelques dirigeants peuvent se targuer d'un bilan tel que le sien.

Rares sont ceux, en effet, qui auraient prédit que cette fille d’un modeste pasteur d’Allemagne de l’Est travaillerait avec cinq Premiers ministres britanniques, quatre présidents français, sept Premiers ministres italiens et quatre présidents américains. Si l’on excepte l'urgence sanitaire mondiale provoquée par la pandémie de coronavirus, les seize ans de pouvoir de Merkel ont vu l'Allemagne vivre un véritable âge d’or sur le plan de la prospérité économique, le pays jouant un rôle de plus en plus important sur la scène mondiale. Une réalité que son successeur rêvera de prolonger.

Aucun autre chancelier, à part d'Helmut Kohl, le «chancelier de l'unité allemande», n'est resté aux commandes aussi longtemps que Merkel. Première femme à occuper ce poste, elle présente un bilan d’autant plus impressionnant. Si nombre de ses homologues européens visionnaires ont disparu peu après être apparus, Angela Merkel, avec son pragmatisme et sa retenue, a non seulement permis à l’Allemagne d’accroître progressivement son influence, mais de gérer une succession de crises potentiellement insurmontables.

En tant que produit d'une Allemagne divisée ayant grandi dans une RDA isolée et répressive, Merkel n'a jamais oublié les leçons de sa jeunesse. Elle a su éviter la rigidité idéologique qui a conduit l'Allemagne à la catastrophe, et c’est l’inclusion sociale qui guide sa politique. «Parfois, je suis libérale; parfois, je suis conservatrice; parfois, je suis social-chrétienne – et c'est ce qu'est la CDU», a-t-elle ainsi déclaré en 2009, faisant référence à son parti, l'Union chrétienne-démocrate.

C'est cette dextérité idéologique qui manquera le plus à la vie politique allemande et européenne. Ces dernières années ont montré les pièges des mouvements populistes et la montée de l’extrême droite; l’influence constante de Merkel sera vivement regrettée.

Cette transition en douceur du pouvoir, attendue depuis longtemps, sera d’autant plus intéressante à suivre que 2021 se trouve être en Allemagne une grande année électorale. En plus des élections au Bundestag au mois de septembre, des élections régionales, et locales dans certains cas, auront lieu.

La chancelière a senti l’usure de son administration, ayant à nouveau été contrainte de rejoindre une coalition après les élections de 2017. Cependant, cette année, aggravée par une réponse à la pandémie particulièrement lente, procure une réelle opportunité de reconfiguration à la politique allemande et européenne. En tant que nouveau chef de la CDU de Merkel, Armin Laschet est à même de proposer une continuité de l’ère Merkel susceptible de toucher des composantes de la société allemande qui se sentent exclues du processus politique.

Cependant, les Verts, l'extrême gauche et l'extrême droite – bien que sans soutien populaire politiquement significatif – progressent. Le prochain chancelier devra revoir radicalement l'éligibilité de la CDU, ou il risque de réveiller des voix radicales et extrémistes longtemps restées silencieuses.

En 2015, plus d'un million de réfugiés sont arrivés en Allemagne. À ce moment décisif de son mandat de chancelière, Merkel a répondu ainsi aux critiques: «Si nous devons maintenant commencer à nous excuser d'avoir montré un visage amical dans les situations d'urgence, alors ce n'est pas mon pays.»

L'altruisme de l'Allemagne pendant la crise des réfugiés a incité d'autres pays d’Europe à alléger son fardeau. Mais, pour de nombreux électeurs, une décision qui risquait d’avoir pour conséquence de changer le tissu de la société allemande et qui a conduit à plusieurs épisodes inquiétants aurait dû impliquer une plus grande consultation publique et une plus grande considération de son impact, sur le long terme, sur la cohésion future d'un État qui, il n’y a pas si longtemps, était encore divisé.

Les élections à venir, malgré le système de représentation proportionnelle qui encourage le compromis, constitueront pour les partis de tous les horizons politiques l’occasion ou jamais d’aborder des sujets controversés jusque-là dissimulés par l’autorité et la sympathie qu’inspire Merkel.

Hormis ces problèmes internes plutôt pertinents, la croissance économique qu’a générée la chancelière Merkel a poussé l'Allemagne à considérer certains impératifs de politique étrangère au sujet desquels les dirigeants successifs de l'après-guerre ne se sont pas engagés par manque de confiance. Seize ans au pouvoir ont poussé les décideurs politiques allemands à tenir compte de la précarité de leur position au centre de l’Europe.

La réponse de l’Union européenne (UE) à la crise de la zone euro et l’hostilité pour l’effondrement presque certain de l’économie de certains États membres ont été menées par l’Allemagne. L’annexion de la Crimée par la Russie a ramené au premier plan la menace soulevée par l’imposant voisin oriental de l’Allemagne. En outre, le départ spectaculaire du Royaume-Uni, deuxième économie de l’UE, associé à la réticence croissante des États-Unis à garantir la sécurité continentale, ont été des moments clés de la chancellerie de Merkel. En accélérant les discussions sur une intégration européenne accrue – de plusieurs décennies dans certains cas –, l’Allemagne dont le successeur de Merkel hérite constituera la charnière la plus importante, celle dont dépend la réalisation du projet européen.

La manière dont l'Allemagne est capable de renforcer l'unité européenne sans négliger ses propres problèmes constituera une préoccupation majeure du nouveau chancelier.

Zaid M. Belbagi

Il ne fait aucun doute que le modèle de leadership solide et stable de Merkel à l’œuvre pendant la pandémie, mais aussi à travers d’autres crises mondiales, a donné à l’Allemagne une place de premier plan dans le monde entier. Coïncidant avec la chute du leadership américain, l’approbation du leadership allemand, en particulier sur le continent, est sans précédent. Cependant, cette note positive pourrait être atténuée après le départ de Merkel. Tandis que l’une des ressources de la chancelière résidait dans le fait de se concentrer d'abord sur les défis nationaux, ses successeurs seront de plus en plus attirés par les questions internationales.

L’Allemagne a beaucoup trop investi dans le projet européen pour le voir échouer, et l’intégration macroniste que ses dirigeants ont boudée jusque-là devient de plus en plus une nécessité alors que diminue l’appétit de l’Amérique à contrôler le monde. La manière dont l'Allemagne est capable de renforcer l'unité européenne sans négliger ses propres problèmes constituera une préoccupation majeure du nouveau chancelier.

Cependant, la préoccupation la plus importante – et que Merkel a négligée – est la sécurité. La prochaine génération de dirigeants allemands n'aura pas le luxe d'oublier l'engagement de l'Otan consistant à consacrer 2% du produit intérieur brut à la défense, engagement auquel le soutien américain à long terme est conditionné. Dans un monde de plus en plus incertain et en tant que pays qui compte neuf États voisins, l'Allemagne devra choisir d'agir en tant que catalyseur de la puissance européenne, au risque de passer totalement à côté du moment présent.

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.