On conseillera toujours à l’étranger, occidental ou asiatique, qui vit dans le monde arabe et s’y intéresse de bien observer «la culture arabe» et de la respecter. Sauf que, souvent, il est compliqué de comprendre cette culture, non pas qu’elle soit plus complexe qu’une autre, mais simplement parce que nous ne l’étudions pas de la bonne façon. C’est en tout cas ce qu’ont découvert mon ami et collègue de l’Essec, Marwan Sinaceur, et plusieurs autres chercheurs de renommée mondiale, comme le relate un article paru dans Nature.
Pour cela, ils n’ont pas cherché à effectuer un travail anthropologique où se mêlent symboles, traditions, influence religieuse, comme on le fait souvent… ils ont commencé par faire de la psychologie.
Ils ont ainsi défini deux axes que l’on va essayer de traduire simplement: le premier porte sur l’attitude de l’individu dans la société. Est-il une personnalité affirmée, qui essaie de se faire remarquer, ou est-il plus effacé, quelqu’un qui se fond dans la masse? Le second axe est lié à la perception de la société: est-on dans une société où l’individu est indépendant et se développe seul, ou dans une société plus communautaire et interdépendante?
Ils ont testé ces caractères sur des Occidentaux, Européens et Américains, et ils ont conclu que, s’ils étaient des personnalités qui s’affirmaient, ils avaient en même temps une conception très indépendante de leur société.
Pour résumer, les Arabes auraient tendance, d’un point de vue culturel, à développer des personnalités qui valorisent l’affirmation et le charisme, tout en faisant preuve d’une conception de la société interdépendante.
Ainsi, cette indépendance, qui est un caractère de l’individualisme occidental, est toujours surprenante lorsqu’on l’évoque avec des Arabes. Sherifa, cadre supérieure saoudienne, m’indiquait dans un entretien: «Si vous dites qu’un fils n’a pas parlé à sa mère depuis deux semaines, ce sera choquant ici, alors que dans le monde occidental, c’est normal. Ici, nous prenons soin les uns des autres.»
C’est surtout cette dernière phrase qui est intéressante. Dans le monde arabe, on a l’impression que l’on prend davantage soin les uns des autres; en tout cas, c’est une valeur fondamentale.
Les auteurs de l’article considèrent cette interdépendance comme un trait propre aux sociétés asiatiques, sauf que lorsqu’ils enquêtent sur les sociétés extrême-orientales, ils trouvent des sociétés qui sont, en effet, interdépendantes, mais des individus plus effacés, moins affirmés, qui travaillent sur eux-mêmes, mais sans se faire remarquer.
Posant leurs questions notamment aux Saoudiens, ils ont constaté que les Arabes avaient, au contraire, plutôt tendance à développer des personnalités affirmées et charismatiques, tout en cultivant cette vision très interdépendante de la société.
Pour résumer, les Arabes auraient tendance, d’un point de vue culturel, à développer des personnalités qui valorisent l’affirmation et le charisme, tout en faisant preuve d’une conception de la société interdépendante. Un observateur occidental aura donc tendance, et c’est très souvent le cas, à observer les Arabes avec ses propres valeurs et à se demander pourquoi, alors qu’il valorise l’expression de soi, il persiste à vivre dans une société ou le groupe, le cercle familial est très important.
Les Arabes ont tendance à avoir des personnalités affirmées tout en ayant une vision communautaire de la société.
Forcément, cela donnera des analyses faussées ou incomplètes. Car culturellement, on verra un lien qui n’est que très partiel entre Occidentaux et Arabes, oubliant cette différence essentielle entre indépendance et interdépendance. Les Asiatiques recourront au même biais en se disant que les Arabes, qui considèrent la société comme un ensemble interdépendant, auront également tendance à faire passer l’individu avant le groupe et se tromperont également dans leur approche.
Ce papier prouve donc que les Arabes ont tendance à avoir des personnalités affirmées tout en ayant une vision communautaire de la société. Pour appréhender la culture arabe, et donc mieux comprendre les civilisations qui en sont issues, il est important d’un point de vue culturel que nous, Occidentaux, nous montrions capables de comprendre qu’ils sont à la fois proches de nous par leur tendance à privilégier les personnalités affirmées, et éloignés de nos conceptions de la société.
Cette approche, basée notamment sur la psychologie sociale, doit également permettre aux Arabes de construire un modèle de développement, une approche de la modernité qui leur soit propre et pas forcément dictée par des modèles qui n’ont pas été conçus en tenant compte de leur culture.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.