L’Arabie saoudite communique de façon redoutablement efficace à propos de ce que le Royaume appelle les «giga-projets» de développement, au premier rang desquels Neom, la ville du futur, située au nord du pays.
Récemment, une interview du prince héritier, relayée par l’hebdomadaire français Le Point, a parlé de ce «projet à 500 milliards», et le dirigeant saoudien a bien entendu utilisé tous les superlatifs possibles devant des journalistes qui l’interrogeaient. Jusque-là, rien d’anormal: un dirigeant qui évoque et promeut les projets de développement de son pays, c’est presque banal.
Ce qui est nettement moins courant, c’est de retrouver le texte de cette interview dans un examen de préparation au brevet des collèges en France afin de commenter les formules superlatives et d’analyser la structure du texte! C’est la découverte surprenante qu’a faite une maman sur les réseaux sociaux; elle s’est justement interrogée sur ce qu’était le projet Neom après avoir lu l’exercice proposé à son enfant.
Cette anecdote est loin d’être anodine. Le professeur de français qui a choisi cet extrait est sans doute un enseignant tout à fait ordinaire qui a cherché un texte intéressant pour ses élèves. Mais combien de projets exposés par des dirigeants arabes sont ainsi présentés à des petits Français âgés de 13 à 14 ans? En dehors de toute considération politique, cet exercice montre d’abord à quel point le monde a changé pour qu’un projet de développement saoudien présenté par le prince héritier soit présent dans les classes d’un collège français. Combien de dirigeants arabes, ou même non occidentaux, ont eu cet honneur?
Le fait que Neom fasse rêver les professeurs et les collégiens français illustre un véritable tournant, un rééquilibrage des représentations de ce qu’est l’innovation et des endroits du monde où les choses bougent et changent.
Et si cela fait rêver les petits Français, on peut imaginer l’effet que ces projets peuvent avoir sur des jeunes et ambitieux Saoudiens.
À 28 ans, Abdelaziz AlMaa était étudiant à l’Arabian Gulf University (l’université du golfe Arabique) de Bahreïn en MBA, une formation créée en partenariat avec l’Essec. Sitôt son illustre diplôme obtenu, en juin dernier, il aurait pu trouver un poste dans l’une des prestigieuses entreprises de la province est, mais il a choisi de candidater pour suivre… un stage de la fondation Misk patronnée par Mohamed ben Salmane. Cette structure a pour objectif de former les jeunes Saoudiens et à les préparer aux plus hautes fonctions exécutives, notamment au sein de ces fameux «giga-projets». «Je ne l’ai pas dit à mes parents – ils n’auraient pas compris que je lâche mon boulot pour un stage à presque 30 ans –, mais quelque chose en moi voulait faire partie de ce projet… Il fallait que je sois un acteur de l’avenir de mon pays.»
Alors, pendant six mois, Abdelaziz a appris ce que signifiait le fait de gérer des projets à plusieurs milliards à Amaala (autre grande initiative d’envergure, dans le domaine du tourisme, située sur les bords de la mer Rouge) dans le cadre du Corporate Internship Program («programme de stages en entreprise»), qui prend en charge chaque année entre dix et trente Saoudiens sortant des universités les plus prestigieuses pendant six mois. «Les stagiaires avaient des profils de haut niveau, certains avaient plus de 35 ans. Il y avait des jeunes qui sortaient de Harvard, de Stanford, du Massachussetts Institute of Technology, ou MIT [institut de technologie du Massachussetts]… Et moi, avec mon éducation franco-arabe! Un mentor nous a été attribué, puis nous avons été envoyés dans l’un des départements de ce projet en fonction de nos aptitudes.»
Le stage s’est terminé à la fin du mois de décembre et, à l’issue de ce dernier, la totalité de la promotion a été recrutée pour intégrer l’un des grands projets du Royaume. Abdelaziz n’a pas fait exception: il travaille désormais à Riyad en tant que manager au service commercial, en charge, notamment, d'Amaala. «C’est une activité trépidante, je n’ai plus une minute à moi. Mais, franchement, je ne regrette rien, cela donne vraiment l’impression de travailler pour l’avenir.»
Cette organisation, qui a pour but de prendre en main des jeunes diplômés pour les insérer au cœur des projets les plus prestigieux du pays, est sans doute l’un des outils les plus efficaces de la saoudisation, jouant à la fois sur la formation d’une élite saoudienne et sur l’appropriation de ces giga-projets, dont on parle jusque dans les collèges français, par la jeunesse saoudienne. Cette dernière, à l’image d’Abdelaziz, souhaite en faire partie.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.