Pendant la campagne électorale, le nouveau président américain, Joe Biden, a annoncé son intention que, sous sa présidence, les États-Unis reviennent dans l’accord conclu à Vienne le 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien, connu sous le nom de «Joint comprehensive plane of action» (JCPOA) , dont ils se sont retirés par décision de Donald Trump, le 8 mai 2018. C’est donc désormais l’un des dossiers brûlants de la diplomatie américaine et ce n’est pas un hasard si le nouveau directeur de l’agence américaine de renseignement, la CIA, n’est autre que William Burns, un vétéran de l’administration démocrate qui a conduit les contacts secrets menés avec l’Iran à Oman en prélude à la négociation officielle qui a abouti à l’accord de 2015.
Il n’est pas douteux que le retrait américain de l’accord de Vienne et la politique de sanctions incroyablement brutale qui l’a accompagné n’ont nullement fait céder l’Iran, contrairement aux prédictions de Trump. En revanche les effets négatifs sont patents: les souffrances du peuple iranien, l’accroissement des tensions dans le Golfe, les violences en Irak, la déstabilisation générale du Moyen-Orient, montrent combien cette politique a été contre-productive. Le président Biden a donc raison d’y renoncer, mais ce ne sera pas simple.
Ce n’est pas un hasard si le nouveau directeur de l’agence américaine de renseignement, la CIA, n’est autre que William Burns, un vétéran de l’administration démocrate qui a conduit les contacts secrets menés avec l’Iran à Oman en prélude à la négociation officielle qui a abouti à l’accord de 2015
Iraniens et Américains se sont d’ores et déjà préparés en faisant monter les enchères. À Téhéran, en décembre dernier, le Parlement a voté une loi prescrivant de porter à 20% le taux d’enrichissement du combustible nucléaire à stocker, et a recommandé de mettre un terme aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique. À Washington, le candidat Biden a déclaré qu’il voulait parler avec l’Iran non seulement du retour des États-Unis dans l’accord de Vienne, mais aussi des missiles susceptibles de porter une arme nucléaire ou d’autres armes (point sur lequel les iraniens ont toujours refusé d’entrer en négociation) ainsi que des menées iraniennes en Irak, en Syrie et au Liban avec le concours du Hezbollah financé et armé par les pasdarans. L’écart entre les positions de départ des États-Unis et celles de l’Iran semble donc grand.
Pour le moment, Téhéran se tait. Mais on devine que les Iraniens vont réclamer le retour pur et simple dans l’accord, le respect de leurs engagements et le retrait de toutes les sanctions, ce que Biden ne pourrait évidemment pas accepter tel quel sans s’exposer à un déluge de critiques de ses opposants républicains et du puissant lobby israélien. Il faudra bien que l’Iran fasse un geste pour faciliter le retour des États-Unis. Un geste de bienvenue en somme. Dès lors, les deux parties devront bien accepter d’entrer dans une négociation dont les enjeux sont triples.
Premier enjeu: quel rôle pour les Européens? L’accord de Vienne a été conclu entre huit partenaires : les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Iran, l’Union européenne, et trois pays européens, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Si négociation il y a, ces derniers sont concernés. Il est de l’intérêt des États-Unis de se mettre d’accord avec eux dès le départ sur la ligne de conduite envers l’Iran. Même s’ils ont été très déçus que les Européens se soient alignés sur les positions américaines sous la pression de Trump, les Iraniens seront attentifs à ce qu’on dira à Bruxelles et dans les trois capitales européennes. S’ils peuvent diviser leurs interlocuteurs, ils le feront. L’Europe serait donc bien avisée de poser à Washington une condition: le renoncement au caractère extraterritorial des lois américaines, ce qui serait la seule garantie pour ne pas se retrouver dans la position humiliante dans laquelle les entreprises du vieux continent ont dû plier bagage et quitter l’Iran. Dans le cas contraire, il faut le dire clairement, la négociation américano-iranienne ne présenterait aucun intérêt pour l’Europe. C’est aussi pour les Iraniens la seule garantie contre un éventuel retour des sanctions unilatérales américaines.
On devine que les Iraniens vont réclamer le retour pur et simple dans l’accord, le respect de leurs engagements et le retrait de toutes les sanctions, ce que Biden ne pourrait évidemment pas accepter tel quel sans s’exposer à un déluge de critiques de ses opposants républicains et du puissant lobby israélien.
Deuxième enjeu: Washington va-t-il respecter ses engagements ? C’est la question de fond. Il en va de la crédibilité internationale des États-Unis. Il faut donc revenir dans l’accord et en respecter toutes les clauses. Côté américain, il s’agit de lever les sanctions, en totalité et non partiellement comme ce fut le cas sous Obama. Côté iranien, cela concerne le nombre des centrifugeuses, le niveau de l’enrichissement du combustible nucléaire et le niveau des stocks de matière fissile. Tout le monde comprendra que ce dispositif n’aurait pas grand sens s’il ne devait valoir que pour les trois seules années qui restent de validité de l’accord de Vienne qui, rappelons-le, a été conclu pour dix ans à compter de 2015. Le point clé, c’est donc la prolongation de l’accord pour au moins dix ans. C’est le prix à payer pour donner du sens à la décision américaine et justifier la levée des sanctions devant l’opinion publique d’outre atlantique.
Reste enfin le troisième enjeu… Il ne s’agit pas de l’accord de Vienne mais des deux questions complémentaires soulevées non sans raison par Joe Biden et dont les Iraniens devraient, me semble-t-il, accepter de débattre, au moins dans un second temps, après la levée effective des sanctions américaines et selon des modalités à définir.
La première question, c’est celle des missiles à moyenne portée, c'est-à-dire susceptibles d’atteindre Israël, ou à longue portée susceptibles d’atteindre l’Europe ou le territoire américain. Il semble bien que les Iraniens aient atteint un niveau élevé de compétence en ce domaine, ce qui justifierait une négociation appropriée relevant des questions du désarmement régional.
Il est tout à fait possible que les États-Unis, changeant une nouvelle fois de politique, veuillent revenir sur la scène moyen-orientale après avoir déclaré s’en retirer.
L’autre question soulevée par les Américains concerne les engagements de l’Iran auprès des milices chiites irakiennes, son soutien politique et militaire à la Syrie de Bachar al-Assad et les liens de toute nature qu’il entretient avec le Hezbollah libanais. Mais ce qui est en cause, c’est l’équilibre global du Moyen-Orient, le conflit latent entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les rivalités entre sunnites plus ou moins inféodées aux pays du Golfe et chiites en lien avec Téhéran, sans compter les ambitions turques et la politique ultrasécuritaire d’Israël. L’Iran est un acteur important dans la région, mais on ne saurait le tenir pour seul responsable de la situation.
Il est tout à fait possible que les États-Unis, changeant une nouvelle fois de politique, veuillent revenir sur la scène moyen-orientale après avoir déclaré s’en retirer. Mais disons-le franchement, c’est une autre histoire qui ne relève pas de l’accord de Vienne.
Il serait irréaliste d’espérer obtenir du gouvernement iranien des concessions sur ces deux sujets dans le cadre d’une négociation dont la nature est de porter sur la non-prolifération des armes nucléaires. Le mieux que l’on puisse espérer, c’est que Téhéran accepte d’en parler dans un cadre et selon des modalités qui seront à définir. Le règlement de la crise provoquée par Trump à propos de l’accord de Vienne est un préalable dont le règlement ouvrira des perspectives positives pour l’ensemble de la situation au Moyen-Orient.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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