Le jour de son entrée en fonction, le président américain Joe Biden a annulé les restrictions sur les visas qui avaient été imposées par son prédécesseur, Donald Trump, aux citoyens de plusieurs pays musulmans. En raison de ces restrictions, le nombre de citoyens issus des pays concernés qui se sont vu accorder un visa en 2019, est passé de 72 000 en 2016 à 16 000.
M. Biden a fait part d'une nouvelle approche américaine à l'égard du Moyen-Orient. Au cours des quatre années passées à la Maison Blanche, l'administration Trump a en effet reconnu les annexions militaires faites par Israël. Elle a ensuite proposé le « deal du siècle », qui risquait de rayer à jamais les aspirations palestiniennes de l'agenda mondial. Par ailleurs, M. Trump a réinstauré les sanctions contre l'Iran. Ces mesures ont porté préjudice à l'économie iranienne et ont plongé son peuple dans une misère inouïe. Néanmoins, ces sanctions ont été perçues comme un moyen de parvenir à un changement du régime, dans la mesure où elles ne s'inscrivaient pas dans un cadre politique cohérent.
Sous la présidence Trump, la politique américaine concernant les points chauds tels que l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie était pour le moins confuse. Le président avait souvent exprimé sa détermination à « ramener les garçons à la maison », ce qui a entraîné un retrait militaire des zones où les intérêts américains se trouvaient sérieusement menacés - tout en renforçant la présence des troupes américaines pour faire face à des menaces précises.
Au-delà des interventions de Trump, le Moyen-Orient a connu bien d'autres développements marquants: Les retombées de la pandémie, la récession économique et la baisse des prix du pétrole qui en a découlé, ainsi que la présence accrue de plusieurs acteurs - la Russie, la Chine et la Turquie - qui réclamaient un rôle plus poussé dans les affaires de la région.
Animée par son aspiration à raviver sa gloire ottomane, la Turquie s'est implantée militairement en Irak, en Syrie et en Libye, défiant les intérêts pétroliers des pays riverains de la Méditerranée orientale. Après avoir sauvé le régime d'Assad en Syrie, la Russie, quant à elle, a étendu son emprise dans la région - aussi bien politiquement qu'économiquement - et constitue désormais un arbitre crédible dans les scénarios relatifs à la sécurité régionale.
La Chine, qui reste discrète dans son approche des questions politiques de la région, a choisi de faire de l'initiative « Ceinture et route » son principal projet pour le Moyen-Orient - un projet qui cherche à couvrir l'ensemble du paysage régional.
Au fil du temps, cette initiative placera la Chine au premier rang des acteurs politiques de la région - par ses relations dans les secteurs de l'énergie, de l'économie et de la logistique, elle joue déjà un rôle important dans la stabilité régionale.
Cette évolution est allée de pair avec des changements importants qui se sont succédé au sein même des États régionaux. Aujourd'hui, bon nombre de pays témoignent d'une nouvelle confiance en soi, lorsqu'il s'agit d’élaborer de nouvelles idées qui défendent leurs intérêts politiques et économiques. Ceci se traduit, par exemple, par des modèles réussis de lutte contre la pandémie, par un engagement à façonner un avenir post-pétrolier axé sur la technologie et par une modération et une souplesse affirmées au niveau des interactions nationales et régionales.
Il convient donc pour M. Biden de redéfinir et de pérenniser le rôle des États-Unis, en tenant compte des paramètres imposés par ces nouvelles réalités. De ce fait, la politique américaine doit reposer sur une approche collégiale, établie sur la base d'une consultation et d'un partenariat avec les principaux acteurs de la région.
Ainsi, l'Iran figurera en tête des priorités de la nouvelle administration. Outre la relance de l'accord sur le nucléaire, M. Biden et ses partenaires devront s'attaquer aux racines de l'insécurité dans la région, qui ont généré un sentiment de « menace existentielle » dans plusieurs pays. De plus, comme la plupart des conflits qui sévissent actuellement dans la région - en Syrie, en Irak et au Yémen - sont interconnectés, une action diplomatique qui puisse satisfaire toutes les parties est requise.
Le Moyen-Orient est désormais prêt à accueillir une telle initiative. Les conflits survenus ces dernières années ont abouti à des carnages, des destructions et le déplacement de populations à travers toute la région. Pourtant, aucune partie n'a pu remporter la « victoire » - et aucun processus de paix efficace n'a été engagé.
Dans le même temps, la normalisation des liens entre quelques États arabes et Israël témoigne d'une réalité géopolitique que Tel-Aviv n'a pas encore pleinement appréhendée : Israël fait partie des nations du Moyen-Orient et c'est par l'engagement et le dialogue avec ses voisins que ses intérêts en matière de sécurité sont le mieux servis, et non par sa dépendance à l'égard d'un partenaire à l'autre bout du monde.
La politique américaine doit reposer sur une approche collégiale, établie sur la base d'une consultation et d'un partenariat avec les principaux acteurs de la région.
Talmiz Ahmad
La meilleure façon de sécuriser la région est de suivre une approche en trois étapes : premièrement, des initiatives visant à instaurer un climat de confiance ; deuxièmement, un engagement sur les questions de sécurité mené en coulisses entre les principaux États de la région, éventuellement soutenu par les États-Unis, la Russie et la Chine ; et troisièmement, une conférence sur la coopération régionale en matière de sécurité destinée à mettre au point des accords cautionnés par les grandes puissances.
Cela permettra à la région de dépasser les lignes de bataille bien tracées et d'évoluer vers un environnement propice à la coopération dans les domaines importants pour l'ensemble du Moyen-Orient : la santé, la conservation de l'eau, la sécurité alimentaire, l'utilisation étendue de la technologie numérique et la mise en place de nouvelles chaînes de valeur et d'approvisionnement qui rassembleront la région grâce à des liens avantageux pour tous.
Comme l'a bien dit la jeune poète Amanda Gorman lors de la cérémonie d'investiture de M. Biden : « La victoire ne passera pas par la lame, mais par tous les ponts que nous avons construits ».
Talmiz Ahmad est un auteur et ancien ambassadeur indien en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. Il est titulaire de la Ram Sathe Chair pour les études internationales, de la Symbiosis International University, à Pune, Inde.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com