Il y a trente ans, la puissance américaine était à son apogée, militairement et diplomatiquement. Le 17 janvier 1991, les États-Unis déclenchaient la guerre du Golfe pour déloger les forces de Saddam Hussein du Koweït, et dissiper les doutes sur l’engagement de l’Amérique en faveur de la paix mondiale. Les États-Unis avaient alors réussi à constituer une coalition internationale de 35 pays, et présenté des arguments convaincants en faveur d'une action militaire. Les diplomates américains avaient obtenu pour cette guerre le soutien du Conseil de sécurité de l'ONU, et même l’aval de la Chine et de l'Union soviétique.
Dans ses mémoires The Back Channel: American Diplomacy in a Disordered World, le diplomate américain chevronné William J. Burns rappelle comment le président George H.W. Bush et son secrétaire d'État James Baker ont régné sur un nouvel ordre mondial, en rencontrant très peu de concurrence de la part des autres puissances. Les États-Unis ont gagné la Guerre froide, alors que l'Union soviétique vivait ses derniers jours, et que l'Allemagne et l'Europe étaient réunifiées. Pour Burns, «l’histoire semblait aller inexorablement dans le sens de l’Amérique».
Joe Biden a fait appel à William Burns pour devenir son directeur de la CIA. Il devra faire face à un ordre mondial beaucoup moins amical. En observant le déroulement des événements à Washington ces derniers jours, il est difficile de ne pas constater le contraste entre l'Amérique d'autrefois et celle d'aujourd'hui. Le jour de l’investiture du nouveau président, la capitale américaine a semblé être assiégée par des militants d’extrême-droite, et les forces de sécurité se sont démenées pour sécuriser l’événement. Pour le monde entier, l’assaut contre le Congrès américain le 6 janvier a représenté le nadir de la puissance américaine, lorsque le processus constitutionnel de ratification des résultats de l’élection présidentielle a été interrompu et retardé par des bandes armées apparemment déterminées à porter atteinte aux parlementaires.
L’enchaînement des événements à Washington depuis les élections a écorné l’image de l’Amérique dans le monde. Les rivaux et adversaires des États-Unis testent déjà la détermination de la nouvelle administration. L’Iran, par exemple, a repris son harcèlement maritime dans le Golfe en détournant un navire sud-coréen, et les groupes affiliés à Téhéran ont également intensifié leurs opérations déstabilisatrices dans la région. Les Houthis ont renouvelé au Yémen leurs attaques contre des cibles civiles saoudiennes, et ont lancé le 30 décembre une attaque contre l'aéroport d'Aden, visant le gouvernement yéménite nouvellement formé dès son arrivée dans le pays. Les ministres y ont échappé de justesse, mais des dizaines de personnes présentes sur place ont été tuées ou blessées.
Le test de l’Iran
L'Iran a également multiplié ses violations du Plan d'action global conjoint (PAGC), annonçant la semaine dernière qu'il produirait de l'uranium métal, en violation directe de l'accord nucléaire de 2015. Cette révélation est intervenue quelques jours après que l’Iran a annoncé la reprise des activités d’enrichissement à 20% de l’uranium dans l’usine souterraine de Fordo, une autre violation flagrante du PAGC, qui limite l'enrichissement d'uranium à 3,67% jusqu'en 2030. Les ministres des Affaires étrangères français, allemand et britannique ont condamné ces mesures, déclarant que «la production d'uranium métal a des implications militaires potentiellement graves». Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a même ajouté que «l'Iran est en passe d'acquérir une capacité militaire nucléaire».
En Irak, où des milliers de soldats américains et alliés sont morts et des centaines de milliards de dollars ont été dépensés pour stabiliser le pays, les milices alliées à l'Iran ont intensifié leurs tentatives de déstabilisation et tentent de renforcer l’emprise de l’Iran avant les élections législatives qui auront lieu cette année. Pire encore, la réhabilitation des zones libérées de Daech a été extrêmement lente, permettant au groupe terroriste de refaire surface. Les fonds engagés pour la reconstruction de l'Irak lors de la conférence internationale tenue au Koweït en février 2018 restent en grande partie non dépensés, en partie parce que les États-Unis, qui pilotaient cette action, ont relâché leurs efforts.
En Syrie, le régime d'Assad célèbre sa victoire sur son propre peuple, en partie grâce au soutien iranien et russe, alors que les États-Unis et leurs alliés restent coincés dans une petite poche au nord-est du pays. Le rêve de l’Iran d’établir un couloir terrestre avec le Liban semble plus proche que jamais de sa réalisation. Le Liban, partenaire américain de longue date, est devenu une ruine sur le plan économique, et est paralysé politiquement. Il est de fait dirigé par le Hezbollah, principal représentant régional du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et de ses partenaires.
La Méditerranée orientale a également sombré dans le chaos et l’impasse se prolonge entre les alliés de l'OTAN, la Grèce et la Turquie, blocage qui a entraîné d'autres partenaires régionaux américains. Autrefois, les alliés et partenaires des États-Unis auraient écouté leurs conseils, et se seraient assis à la table des négociations pour résoudre leurs différends.
Le conflit entre Palestiniens et Israéliens – source de tous les problèmes régionaux – est loin d'être résolu, notamment en raison de mesures unilatérales prises par Israël, tolérées, voire encouragées par les États-Unis, qui ont aggravé une situation déjà compliquée. Comme William Burns l'a souligné dans ses mémoires, au bon vieux temps, en 1991, Israéliens et Palestiniens «se sont assis ensemble à la même table, allant à l’encontre de leurs propres opinions, parce que nous le leur avons demandé, à une époque où les demandes américaines bien formulées n'étaient pas ignorées. Cela a marqué une époque de primauté américaine incontestée». Au cours des trente dernières années, beaucoup d’événements ont affaibli cette primauté, certains étant du fait même des États-Unis. Avec l’assaut du Congrès, elle a atteint le bord du gouffre.
Pour réparer les dégâts, la nouvelle administration devra motiver d'urgence les autres pays du monde, pour rassurer ses alliés et partenaires, et dissuader ses adversaires. En 1991, les États-Unis ont fait le choix d’une diplomatie musclée afin de sauvegarder la paix et la sécurité. Trente ans plus tard, il n'existe pas de substitut à cet outil pour restaurer la confiance dans un système international fondé sur des règles en matière de guerre et de paix, et pour redresser le monde qui souffre doublement de la pandémie du coronavirus et de la récession économique qu’elle a provoquée.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du CCG pour la négociation et les affaires politiques, et éditorialiste pour Arab News. Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et ne représentent pas nécessairement les vues du CCG. Twitter: @ abuhamad1
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com