Même pour le Moyen-Orient, habitué aux turbulences, l'année 2024 a été particulièrement bouleversante à Gaza, en Syrie, au Liban et en Cisjordanie. Le bilan est lourd: des dizaines de milliers de morts à Gaza, des millions de sans-abri. Dans un climat d'impunité grandissante, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité se sont multipliés, franchissant chaque jour de nouveaux seuils dans l'horreur.
La Syrie a basculé avec la chute brutale de Bachar al-Assad, forcé à l'exil après 24 ans de pouvoir absolu et 13 années d'une guerre civile dévastatrice. Au Liban, la campagne militaire israélienne a décapité la hiérarchie du Hezbollah, bouleversant l'équilibre des forces dans le pays. Fidèle à sa doctrine militaire indiscriminée, l'État hébreu a provoqué d'importantes pertes civiles.
La tragédie de Gaza demeure l'événement le plus dramatique de 2024, une situation qui risque de perdurer en 2025. Depuis octobre 2023, plus de 45,000 Palestiniens ont péri, majoritairement des femmes et des enfants.
Le nombre de blessés avoisine les 100,000, certains mutilés à vie. D'innombrables autres sont portés disparus ou gisent sous les décombres de leurs habitations. En octobre, l'Organisation mondiale de la Santé estimait que plus de 6 % des 2,3 millions d'habitants de Gaza avaient été tués ou blessés.
Le système vital d'approvisionnement en eau de Gaza s'effondre sous les bombardements. Selon les Nations unies, 70% des infrastructures hydrauliques sont désormais hors service ou gravement endommagées. Un à un, les piliers du réseau ont cédé: les cinq stations d'épuration paralysées, les usines de dessalement réduites au silence, les stations de pompage pulvérisées, les puits et réservoirs anéantis. Dans ce paysage dévasté, la population survit dans un exode perpétuel, contrainte à des déplacements forcés successifs.
Maître absolu des points d'accès à Gaza, Israël étrangle méthodiquement l'aide humanitaire. Les chiffres de l'ONU sont accablants : du 6 octobre au 25 novembre, sur 91 convois humanitaires destinés au nord assiégé, 82 se sont vu opposer un refus catégorique, les 9 autres ont été entravés dans leur mission. Pour les 65,000 à 75,000 âmes prisonnières du nord de l'enclave, la situation devient critique.L'ombre de la famine, déjà meurtrière dans plusieurs quartiers, plane désormais sur l'ensemble du territoire.
Le plus catastrophique événement de 2024 a été les champs de tueries de Gaza, et cela devrait se poursuivre en 2025. Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
Au-delà de l'affamement délibéré et du déplacement forcé massif des Palestiniens - des crimes de guerre selon les Conventions de Genève - Israël s'est rendu coupable d'autres violations graves du droit humanitaire international: bombardements aveugles, ciblage de civils désarmés, d'hôpitaux, d'écoles, de camps de réfugiés et d'abris. Ces actes ont conduit la Cour pénale internationale à émettre en novembre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant.
Fort d'un soutien américain sans faille, le cabinet Netanyahu, marqué par la présence de figures ultranationalistes sans précédent dans l'histoire d'Israël et de la région, poursuit sa campagne dévastatrice en toute impunité. Malgré ses désaccords publics avec certaines tactiques extrêmes de Netanyahu, l'administration Biden a maintenu son soutien matériel et sa protection diplomatique à l'ONU.
Joe Biden, vétéran de la politique américaine avec plus de 50 ans d'expérience, n'a pas su exploiter son influence considérable pour modérer les excès israéliens à Gaza, encore moins pour mettre fin au conflit. Son administration a échoué à convaincre Israël d'autoriser l'aide humanitaire aux Palestiniens affamés.
La campagne électorale avait servi de prétexte à la passivité de Biden face à Israël. Une fois les urnes refermées, rien n'a changé : Washington maintient sa politique complaisante, permettant à Tel-Aviv de saboter méthodiquement chaque initiative onusienne visant à soulager Gaza.
Nombreux sont ceux qui estiment que Biden dispose encore du temps et du pouvoir nécessaires pour agir avant son départ le 20 janvier. Jonah Blank, ancien conseiller de Biden pendant dix ans, aujourd'hui à la RAND Corporation, préconise trois mesures cruciales : "Pour atténuer les souffrances palestiniennes et préserver la possibilité d'une solution à deux États - meilleure garantie de la sécurité d'Israël à long terme."Premièrement, reconnaître l'État palestinien. Deuxièmement, proposer une résolution sur la solution à deux États au Conseil de sécurité de l'ONU.
Troisièmement, appliquer la législation américaine existante sur les transferts d'armes. Ces actions, relevant de l'autorité exécutive de Biden, pourraient infléchir la trajectoire de la crise au Moyen-Orient qui, selon Blank, "file vers la catastrophe".Ces mesures représentent l'ultime chance pour Biden de redorer son héritage présidentiel, doublement assombri par le fiasco de sa politique au Moyen-Orient et par l'effondrement historique du Parti démocrate lors des élections de 2024.
Le verdict des analystes politiques américains est sans appel: la chute des démocrates prend sa source dans l'entêtement de Biden à maintenir sa candidature pour un second mandat, bravant les mises en garde répétées de son propre camp. Le débat présidentiel face à Trump s'est transformé en débâcle personnelle, poussant son parti à réclamer son retrait. Mais le mal était fait: son désistement tardif n'a fait qu'accélérer la désintégration de la campagne démocrate.
Les démocrates lui imputent leur défaite écrasante face aux républicains menés par Trump, qui ont réalisé ce qu'on pourrait qualifier, en termes hippiques, de triplé, voire de quadruplé. Les républicains ont conquis la Maison Blanche, le Sénat et conservé leur majorité à la Chambre des représentants. Disposant déjà d'une majorité solide à la Cour suprême, ils contrôlent désormais les branches exécutive, législative et judiciaire.
Dès le 20 janvier, ils pourront remodeler durablement le gouvernement fédéral.Pour au moins quatre ans, alliés, partenaires et adversaires des États-Unis devront composer avec cette nouvelle configuration à Washington. D'ici là, Biden reste aux commandes et peut encore marquer l'histoire. Un cessez-le-feu permanent s'impose à Gaza pour amorcer la reconstruction et la réunification avec la Cisjordanie sous l'égide de l'Autorité palestinienne, plutôt que de factions dissidentes.
Outre Gaza, la Maison Blanche doit gérer d'autres foyers de crise avant l'investiture de Trump, pour assurer la continuité de la politique régionale américaine durant la transition. La Cisjordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen sont concernés. Heureusement, ces crises bénéficient d'un consensus international et de résolutions du Conseil de sécurité.
La Cisjordanie constitue l'urgence première, où gouvernement israélien et colons multiplient les agressions contre les Palestiniens pour les chasser de leurs terres. Des centaines de Palestiniens ont péri, leurs maisons et exploitations détruites ou incendiées.La résolution de la crise cisjordanienne passe manifestement par la fin de l'occupation et la création d'un État palestinien.
Environ 150 pays reconnaissent déjà la Palestine, et les paramètres d'une solution font l'objet d'un consensus dans les résolutions onusiennes et l'Initiative de paix arabe.En septembre, l'Arabie saoudite, la Norvège, la Ligue arabe et l'UE ont lancé l'Alliance mondiale pour la mise en œuvre de la solution à deux États.
La première réunion à Riyad le 30 octobre a rassemblé 90 États et organisations, suivie d'une deuxième à Bruxelles le 28 novembre, une troisième étant prévue en janvier à Oslo. Les États-Unis, participants et soutiens de l'Alliance, doivent intensifier leurs efforts pour y rallier Israël.
Au Liban, le cessez-le-feu temporaire de 60 jours constitue une avancée, mais nécessite d'être consolidé par l'application de la résolution 1701 (2006) du Conseil de sécurité. Celle-ci exige le retrait de toutes les forces au sud du Litani, à l'exception de la FINUL et des forces de sécurité libanaises.
En Syrie, l'offensive surprise fin novembre des groupes pro-turcs sur Alep et sa région a abouti au renversement d'Assad et à l'installation d'un nouveau gouvernement islamiste à Damas. Cette action résulte largement de l'impasse du processus politique sous égide onusienne et arabe.En décembre 2015, la résolution 2254 du Conseil de sécurité définissait unanimement une feuille de route pour résoudre la crise syrienne.
Les négociations ont achoppé sur le refus du régime Assad de coopérer avec l'envoyé spécial de l'ONU, Geir Pedersen. La guerre civile a ainsi perduré, faisant des centaines de milliers de morts et laissant la moitié de la population sans abri.
En mai 2023, la Ligue arabe avait obtenu à Amman l'engagement d'Assad de reprendre le processus politique, mais celui-ci a ensuite ignoré ses appels au respect de l'accord.L'affaiblissement des alliés proches d'Assad - Iran et Hezbollah - et les préoccupations de la Russie, son troisième soutien, ont favorisé le succès de l'offensive éclair des insurgés.
En octobre, les bombardements du régime sur la province rebelle d'Idlib ont probablement précipité leur décision de contre-attaquer.La situation en Syrie reste fluide, mais les nouveaux dirigeants semblent soucieux de rassurer Syriens et communauté internationale sur leur volonté d'établir un gouvernement inclusif, prioritairement axé sur la reconstruction économique.
Au Yémen, le processus de paix onusien est également dans l'impasse, les Houthis cherchant à renforcer leur position en perturbant le commerce maritime international et en attaquant des navires. Là encore, une résolution claire du Conseil de sécurité (2216 de 2015, adoptée sous chapitre VII) fixe le cadre d'un règlement pacifique.
L'administration Biden s'est certes investie sur tous ces dossiers. Mais l'urgence commande. Elle doit mettre à profit ses derniers jours pour aboutir sur certains au moins, afin de transmettre une stratégie cohérente à la nouvelle administration.
* Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas nécessairement le CCG.
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com