La semaine dernière, un ressortissant syrien a attaqué l'ambassade des États-Unis au Liban; il portait des vêtements marqués du mot «Daech». L'homme était enregistré en tant que réfugié au Liban. Cet incident a exacerbé les discours de haine dans un pays déjà en proie à des tensions susceptibles de déboucher sur des conflits. Cela devrait alerter le gouvernement libanais et l’inciter enfin à élaborer une politique claire à ce sujet. Jusqu'à présent, la politique envers les réfugiés syriens au Liban semble être une absence délibérée de politique.
En effet, les gouvernements successifs ont délibérément choisi de ne pas élaborer de politique claire concernant les réfugiés. Au lieu de cela, cette question est abordée de manière opportuniste selon les besoins du moment. Les réfugiés sont désormais instrumentalisés à la fois à l’échelle nationale et internationale. À l'intérieur du pays, chaque fois que la fronde monte contre la corruption et l'incompétence de la classe politique, cette question est utilisée comme un moyen de diversion efficace. De plus, les politiciens exploitent la présence des réfugiés pour extorquer des fonds à la communauté internationale et exercer une pression afin que le monde ferme les yeux sur les agissements corrompus de cette classe politique.
Le problème réside dans l'absence d'une gestion systématique et professionnelle de la question des réfugiés. L'attaque contre l'ambassade des États-Unis n'est pas un cas isolé de violence qui implique des Syriens vivant au Liban. En avril, Pascal Sleiman, un membre des Forces libanaises, a été enlevé et assassiné. Bien que les autorités aient affirmé qu'il s'agissait d'un crime perpétré par un gang de voleurs de voitures, toutes les preuves indiquent l'implication de gangs affiliés à Bachar al-Assad, notamment la 4e division blindée dirigée par Maher al-Assad.
Diriger la colère de manière indiscriminée contre les Syriens en général, comme c'est le cas aujourd'hui, ne fera qu'attiser les tensions et pourrait entraîner des troubles. Les réfugiés syriens au Liban sont souvent perçus comme un groupe homogène, sans distinction aucune entre les individus. Toutefois, pour commencer à résoudre cette question, il est crucial d'adopter une approche de compartimentation plus appropriée.
Diriger la colère de manière indiscriminée contre les Syriens en général, comme c'est le cas aujourd'hui, ne fera qu'attiser les tensions et pourrait potentiellement entraîner des troubles.
Dr Dania Koleilat Khatib
D’une part, il y a les réfugiés qui ont fui la brutalité du régime d'Al-Assad, sans compter ceux qui se trouvent dans les zones frontalières du Liban désormais occupées par le Hezbollah. D’autre part, certains Syriens se déplacent librement entre le Liban et la Syrie. Ceux-là ne sont donc pas considérés comme des réfugiés, puisqu’un réfugié est par définition quelqu'un qui fuit un danger dans son pays d'origine.
À la suite de la crise économique en Syrie, il est de notoriété publique que Bachar al-Assad a commencé à expulser des Syriens de l'autre côté de la frontière libanaise. Ces individus ne peuvent être légitimement qualifiés de «réfugiés». Cependant, le régime les exploite à des fins politiques et financières en bénéficiant des aides internationales destinées aux réfugiés. De plus, il utilise ces individus pour semer le trouble sécuritaire dans le pays, comme en témoigne l'assassinat de Pascal Sleiman.
Par ailleurs, les travailleurs syriens constituent le pilier de l'économie libanaise. Par conséquent, aucune solution viable ne peut être envisagée sans une classification précise des différentes catégories. Chaque groupe devrait bénéficier d'une approche spécifique adaptée à ses besoins spécifiques. Il n’en demeure pas moins que la question des réfugiés reste profondément politisée.
Le gouvernement libanais actuel, largement dominé par le camp pro-Assad et pro-Hezbollah, utilise les réfugiés pour exercer une pression sur la communauté internationale, afin d'obtenir la reconnaissance d'Al-Assad et la levée des sanctions sur la Syrie. En effet, les réfugiés, ainsi que le commerce de narcotiques, constituent les principaux leviers de chantage d'Al-Assad vis-à-vis de la communauté internationale. Ainsi, ce dernier ne permettra pas le retour des réfugiés tant que la communauté internationale n'aura pas accepté ses conditions et fourni des fonds à la Syrie ‒ des fonds qui, dans le contexte actuel, serviraient à alimenter son régime corrompu et brutal. Cela ne ferait qu'aggraver le conflit en Syrie.
Les réfugiés, ainsi que le commerce de narcotiques, constituent les principaux leviers de chantage d'Al-Assad vis-à-vis de la communauté internationale.
Dr Dania Koleilat Khatib
Le gouvernement libanais a exprimé sa désapprobation concernant la conférence de l'Union européenne sur la Syrie qui s'est déroulée le mois dernier à Bruxelles. Cette conférence a conclu que les conditions n'étaient pas encore réunies pour garantir un retour sûr et volontaire des réfugiés. En revanche, il s'est vu offrir 1 milliard d'euros d'aide en guise de soutien à l'économie du pays et aux forces de sécurité. Cette aide a été critiquée par de nombreux Libanais, qui l’ont qualifiée de «pot-de-vin».
À présent, le gouvernement annonce qu’il dispose d'un plan pour faciliter le retour volontaire des réfugiés. Cependant, ce prétendu plan reste vague et n'a pas été rendu public, laissant les réfugiés syriens dans l’incertitude quant à la politique qui les concerne.
À la suite de la visite à Beyrouth, le mois dernier, du chef du renseignement syrien, Hossam Louka, pour rencontrer Hassan Nasrallah, des rumeurs ont circulé dans la capitale libanaise selon lesquelles le Hezbollah pourrait exercer une pression sur le régime de Damas pour qu'il accepte les réfugiés sans les soumettre à des arrestations arbitraires. Toutefois, le discours prononcé par Nasrallah à l’issue de la visite n'a pas changé la donne. Il a plutôt insisté sur la nécessité d'accepter Al-Assad comme solution pour gérer la question des réfugiés, tout en exhortant les États-Unis à lever les sanctions imposées en vertu de la loi César. Nasrallah a même suggéré aux Syriens de prendre la mer et de se diriger vers l'Europe. Ainsi, ces spéculations se sont révélées probablement infondées. Elles ont démontré que le Hezbollah et le gouvernement actuel continuaient d’utiliser les réfugiés comme boucs émissaires en interne et comme un moyen de négociation avec la communauté internationale, sans pour autant avoir l'intention sérieuse de mettre en place une politique efficace pour résoudre ce problème.
Pour véritablement résoudre le problème, il serait essentiel de procéder à un recensement des réfugiés et de distinguer ceux qui se déplacent librement entre la Syrie et le Liban et ne courent aucun danger, des réfugiés qui sont restés au Liban. La Direction générale de la sécurité dispose déjà des données sur les mouvements à travers la frontière, ce qui faciliterait ce processus.
La communauté internationale ne devrait pas tolérer cette ambiguïté. Elle doit exercer une pression sur le gouvernement libanais pour qu'il mène un recensement précis des Syriens au Liban afin de différencier les véritables réfugiés des autres. La prétendue politique de retour des réfugiés devrait être axée sur ceux qui ne risquent pas d'être arrêtés arbitrairement par le régime.
De plus, le gouvernement libanais devrait comprendre que l'adoption d'une politique claire et transparente est essentielle pour assurer la sécurité du pays. Il devrait également reconnaître que le discours de haine qui prévaut ne résoudra pas les problèmes. Bien qu'il puisse momentanément distraire l'attention, il pourrait avoir des conséquences graves sur la sécurité, et mener à des conflits, dont le pays peut bien se passer, notamment à l’aune du conflit en cours avec Israël dans le sud du pays.
La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est cofondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com