Il est temps que le monde arrête de se prêter au jeu d’Israël

La chanteuse Eden Golan (au centre), représentant Israël, avec les membres de son équipe, réagit au décompte des votes lors de la finale de l’Eurovision. (AFP)
La chanteuse Eden Golan (au centre), représentant Israël, avec les membres de son équipe, réagit au décompte des votes lors de la finale de l’Eurovision. (AFP)
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Publié le Dimanche 19 mai 2024

Il est temps que le monde arrête de se prêter au jeu d’Israël

Il est temps que le monde arrête de se prêter au jeu d’Israël
  • Lorsque la résistance à l’occupation israélienne du territoire palestinien prend une forme militaire, il est facile d’envoyer des troupes pour les écraser
  • Mais vous ne pouvez pas déployer l’armée israélienne pour contrôler une exposition d’art, un festival littéraire – ou, par exemple, un concours européen de la chanson

On serait tenté de croire que, après plus de soixante-quinze ans passés dans des endroits où l’on ne veut pas de lui, Israël se serait habitué à l’opprobre qu’il attire inévitablement. Ce n’est évidemment pas le cas.

Le dernier exemple de l’absence de prise de conscience du pays est le concours de l’Eurovision, une combinaison unique d’orgueil nationaliste et de kitsch culturel, qui a eu lieu le week-end dernier dans la ville suédoise de Malmö.

De manière inexplicable, Israël a participé à cette mascarade: je dis «de manière inexplicable» parce qu’il suffit de jeter un simple coup d’œil à la carte pour confirmer qu’Israël est loin de l’Europe. Sans surprise, des manifestations ont eu lieu dans les rues de Malmö contre la présence israélienne.

En apparence, il semble y avoir peu de lien entre les horreurs de l’attaque vengeresse et meurtrière d’Israël contre le peuple palestinien à Gaza – des atrocités qui ont déclenché des manifestations non seulement en Suède, mais aussi dans le monde entier – et la question de savoir si une femme israélienne devrait être autorisée à chanter dans un concours de chansons stupide.

Il existe cependant indéniablement un lien.

La bande de cinglés, d’extrémistes religieux bizarres et de terroristes condamnés qui se fait actuellement passer pour le gouvernement élu d’Israël, dirigé par un Premier ministre qui devrait être en prison, est bien moins terrifiée par le Hamas et le Hezbollah que par la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) – le mouvement dirigé par la Palestine qui vise à isoler Israël économiquement, politiquement, socialement et culturellement. Lorsque la résistance à l’occupation israélienne du territoire palestinien prend une forme militaire, il est facile d’envoyer des troupes pour les écraser, tuant ainsi des dizaines de milliers de femmes et d’enfants palestiniens innocents. Mais vous ne pouvez pas déployer l’armée israélienne pour contrôler une exposition d’art, un festival littéraire – ou, par exemple, un concours européen de la chanson – pour faire respecter le point de vue d’Israël. C’est pourquoi ce dernier est en train de perdre la bataille morale contre la campagne BDS.

Vous ne pouvez pas déployer l’armée israélienne pour contrôler une exposition d’art, un festival littéraire – ou, d’ailleurs, un concours européen de la chanson.

Ross Anderson

C’est aussi la raison pour laquelle la première personne à défendre Eden Golan, la chanteuse de 20 ans qui a interprété la chanson israélienne lors du concours, a inévitablement été Benjamin Netanyahou – certes pas le plus drôle des hommes, à moins de compter la fois où il a brandi le dessin d’une bombe à l’ONU  à la manière de l’inspecteur Clouseau. Il défie les manifestants en lançant un «vous avez déjà gagné» à la chanteuse israélienne.

Ce n’était certainement pas le cas. Mais, pour Israël, cela aurait pu être un mal pour un bien. Le véritable gagnant était un Suisse non binaire vêtu d’une robe. Dans ce monde éveillé et diversifié, il est difficile de voir comment un Israël conservateur aurait pu se distinguer.

Le point le plus grave, cependant, est que le simple fait de pouvoir concourir signifie qu’Israël a obtenu un laissez-passer de la part des organisateurs de l’Eurovision, une politique qui s’applique également ailleurs. Par exemple, depuis 1991, les équipes internationales et locales d’Israël jouent dans des compétitions réglementées par l’UEFA, l’instance dirigeante du football européen, au lieu de la Confédération asiatique de football (AFC), siège de tous les autres pays du Moyen-Orient. Il y a des raisons pratiques à cela: si Israël devait rejoindre l’AFC, après en avoir été expulsé dans les années 1970, il jouerait très peu de matchs puisque aucune autre équipe du Moyen-Orient ne se retrouverait dans le même stade.

Néanmoins, on ne peut qu’imaginer la conversation qui a eu lieu dans l’ancien siège de l’UEFA à Berne, en Suisse, lorsqu’Israël a déposé sa demande d’adhésion.

«Tu as vu ça, Lennart? Israël a demandé à rejoindre l’UEFA. Apparemment, personne d’autre n’en veut.

– Oh, ne sois pas stupide. Israël est très loin de l’Europe. Dis-lui de tenter sa chance en Asie.

– Ses équipes sont plutôt nulles, donc elles ne vont rien gagner. Et ce n’est pas comme si un milliardaire arabe allait acheter le Maccabi Haïfa et en faire le Manchester City ou le Paris Saint-Germain du Moyen-Orient!

– Banco! Tant que tu peux me jurer qu’ils ne se qualifieront jamais pour la finale de la Coupe du monde. Tu peux imaginer le tollé que ça peut créer?»

Et voilà… un autre laissez-passer gratuit.

Le simple fait de pouvoir concourir signifie qu’Israël a obtenu un laissez-passer de la part des organisateurs de l’Eurovision, une politique qui s’applique également ailleurs.

Ross Anderson

Il y a plus: Fauda, la série télévisée israélienne qui glorifie les exploits d’une unité spéciale antiterroriste de l’armée israélienne et dont quatre saisons sont disponibles sur Netflix. J’ai laissé tomber après deux épisodes: c’est risible. Les personnages sont stéréotypés, les dialogues sont artificiels et maladroits et, même sur quatre saisons, il n’y a qu’une seule intrigue: les méchants Palestiniens font de mauvaises choses, les héros israéliens les tuent. Les téléspectateurs chercheront en vain la subtilité ou la nuance. Si ces déchets visuels avaient été créés par une société de production télévisée occidentale à peu près compétente, ils auraient été annulés après la première saison. Mais, en lisant les commentaires enthousiastes des critiques occidentaux, il n’en est rien. The New York Times considère Fauda comme l’une des meilleures émissions internationales de 2017.

Je refuse de croire que tous ces critiques ont perdu la raison et, en toute honnêteté, il y a eu des évaluations plus précises, même d’Israël. Le critique de Haaretz écrit ainsi: «Le Moyen-Orient regorge déjà de désinformation, d’insinuations et de propagande dangereuse: il n’est pas nécessaire d’en faire davantage.»

La seule explication de cet aveuglement occidental est l’idée bizarre selon laquelle, pour le petit Israël courageux entouré d’ennemis déterminés à le détruire, produire n’importe quelle sorte de série télévisée est un triomphe en soi. En d’autres termes, un laissez-passer gratuit. Le premier exemple de cette arrogance est l’avis du Dr Samuel Johnson, homme de lettres anglais du xviiie siècle, sur les femmes qui occupaient des postes d’autorité dans l’Église d’Angleterre. «Monsieur, la prédication d’une femme est semblable à un chien qui marche sur ses pattes arrière», a-t-il déclaré. «Ce n’est pas bien fait, mais vous êtes surpris de constater que ça se fait.»

 

Ross Anderson est le rédacteur en chef adjoint d’Arab News.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com