Tous les regards sont rivés sur le Hezbollah... mais il faudrait regarder ailleurs

Benjamin Netanyahou rend visite à des soldats israéliens à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 18 juillet 2024. (Reuters)
Benjamin Netanyahou rend visite à des soldats israéliens à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 18 juillet 2024. (Reuters)
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Publié le Vendredi 27 septembre 2024

Tous les regards sont rivés sur le Hezbollah... mais il faudrait regarder ailleurs

Tous les regards sont rivés sur le Hezbollah... mais il faudrait regarder ailleurs
  • Le fait que Netanyahou exerce un tel pouvoir témoigne d'un manque de leadership aux niveaux mondial et régional
  • Lorsque la décision de guerre ou de paix est entre les mains d'un seul homme politique vénal et égoïste, le Moyen-Orient est vraiment dans une situation désastreuse

Le Hezbollah a passé la majeure partie de l'année dernière à lancer des roquettes rudimentaires et largement inefficaces en direction du nord d'Israël, que la majeure partie de la population civile a déserté depuis longtemps.

En réponse aux derniers ravages causés par Israël au Liban – de l'explosion mortelle des bipeurs au pilonnage par les avions de guerre qui a tué plus de 500 personnes – et au carnage infligé à Gaza qui a coûté la vie à plus de 41 000 civils, pour la plupart innocents, il est difficile de ne pas dire que la réponse du Hezbollah était presque dérisoire. Dans son bureau de Premier ministre, Benjamin Netanyahou doit bien rire en se se demandant: «C'est tout? Ils n’ont rien d’autre?»

Mais ce n'est pas le cas. Le Hezbollah est, selon toutes les estimations indépendantes, la force militaire non étatique la mieux armée au monde. Oubliez le terme «non étatique»: les combattants du Hezbollah sont mieux équipés que les forces armées de la plupart des pays, y compris le Liban lui-même. En 2006, face à une force israélienne approvisionnée et armée par la puissance militaire suprême du monde et bénéficiant d'un contrôle aérien incontesté, le Hezbollah a combattu son ennemi jusqu'au point mort.

Et depuis, il n'a pas vraiment fait du surplace. L'époque où les combattants du Hezbollah ne pouvaient brandir que des AK-47 rouillés et déglingués fournis par la Russie est révolue. Depuis 18 ans, l'arsenal du Hezbollah est alimenté par un flux d'armes de plus en plus sophistiquées en provenance d'Iran, qui n'est interrompu qu'occasionnellement par des attaques israéliennes sur les voies d'approvisionnement passant par la Syrie. Il s'agit notamment de missiles de croisière dotés de systèmes de guidage, qui remplacent les roquettes vétustes.

Il ne fait donc guère de doute que, disposant d'un armement de qualité et en quantité suffisante, le Hezbollah est capable de submerger le système de défense antiaérienne Dôme de fer d'Israël et de causer des dommages considérables aux infrastructures militaires et civiles, sans parler des pertes humaines. La question est donc de savoir pourquoi il ne l'a pas fait.

Plusieurs réponses sont possibles. La première est qu'Israël a, comme il le souhaitait, déjà éliminé la structure de commandement et de contrôle du Hezbollah et détruit ses principaux sites de lancement de missiles. Toutefois, étant donné que le Hamas est toujours bien vivant après près d'un an de carnage ininterrompu à Gaza, l'idée que le Hezbollah, bien mieux organisé et équipé, ait été neutralisé par quelques jours de frappes aériennes au Liban semble peu probable.

Une autre raison possible est l'appréhension des conséquences – militaires, politiques et personnelles. Dans la véritable guerre régionale qui éclaterait si le Hezbollah frappait le cœur d'Israël avec toute la force dont il dispose, il n'y aurait aucun gagnant, y compris le Hezbollah lui-même. Sur le plan politique, les civils libanais, dont beaucoup sont des partisans naturels du Hezbollah, accusent déjà le groupe d'être à l'origine des tirs israéliens qui détruisent leurs vies. Si Israël devait réduire le Liban aux décombres et aux débris qu'il a créés à Gaza, ce qu'il ferait, ces reproches se multiplieraient de manière exponentielle.

Enfin, il y a le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui est pris pour cible.

Il n'est pas nécessaire d'être un admirateur de l'État d'Israël (ce que je ne suis certainement pas) pour apprécier l'audace et l'efficacité d'une opération de renseignement capable de placer de petites bombes dans les bipeurs de plusieurs centaines d'agents du Hezbollah et de les faire exploser simplement en appuyant sur un bouton. Personne n'est censé savoir où se trouve Nasrallah. Mais à l'époque, personne ne savait où se trouvait le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, jusqu'à ce qu'Israël le fasse sauter avec une bombe placée dans l'appartement où il séjournait, à Téhéran.

Vous pouvez donc être sûrs qu'Israël sait exactement où se trouve Nasrallah, ainsi que ce qu'il a mangé au petit-déjeuner ce matin. Il est probablement en sécurité pour l'instant, car ses fanfaronnades de plus en plus vides de sens sur le «prix qu'Israël paiera» chaque fois que le Hezbollah subit une nouvelle humiliation témoignent de la force d'Israël: mais ce n'est que pour l'instant.

Une troisième raison, intrigante, avancée par des sources de renseignement, est que les Gardiens de la révolution islamique ont ordonné au Hezbollah de dissimuler ses armes les plus avancées et de ne les déployer qu'en cas d'attaque directe et destructrice des installations de développement nucléaire de Téhéran. Si je sais cela, il est évident qu'Israël le sait aussi, ce qui place Netanyahou dans une position extraordinairement puissante: il sait exactement jusqu'où il peut aller en attaquant le Hezbollah sans déclencher une conflagration régionale.

Netanyahou se joue des présidents américains – depuis Bill Clinton jusqu'à l'actuelle administration Biden.                                                             Ross Anderson

Le fait que Netanyahou soit à nouveau aux commandes n'a rien de surprenant. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste (et la plupart des gens sensés sont dans ce dernier camp), il est sans conteste l'homme politique le plus efficace de sa génération. Les États-Unis sont censés jouir d'une influence inégalée sur la politique israélienne en raison de leur énorme soutien financier et militaire, mais Netanyahou s'est joué des présidents américains depuis Bill Clinton jusqu'à l'actuelle administration Biden. Il suffit de voir la mine déconfite du secrétaire d'État Antony Blinken à chaque nouvelle atrocité israélienne à Gaza – l'équivalent des futiles «pensées et prières» chaque fois qu'un cinglé armé d'un fusil assassine une classe remplie d'écoliers américains.

La sagesse populaire veut que Netanyahou ait besoin d'un conflit permanent pour sauver sa carrière politique, mais est-ce bien le cas? Cela a certainement été vrai pendant les six mois qui ont suivi l'attaque du 7 octobre de l'année dernière par le Hamas contre Israël, mais son parti, le Likoud, est maintenant en train de remonter dans les sondages d'opinion: pas suffisamment pour sauver la peau de M. Netanyahou pour l'instant, mais les prochaines élections à la Knesset n'auront lieu qu'en octobre 2026. D'ici là, il pourrait être confiant dans sa capacité à former un autre gouvernement.

Le fait que Netanyahou exerce un tel pouvoir témoigne d'un manque de leadership aux niveaux mondial et régional. Tous les regards sont actuellement tournés vers le Hezbollah et l'Iran, mais ils ne regardent pas au bon endroit. Lorsque la décision de guerre ou de paix est entre les mains d'un seul homme politique vénal et égoïste, le Moyen-Orient est vraiment dans une situation désastreuse.

Ross Anderson est le rédacteur en chef adjoint d'Arab News.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com