L’année 2020 marquera dans les annales la fin du «processus de paix» parrainé par les États-Unis. 2021 ne risque pas d’inverser pas cette tendance, qui reflète un changement monumental dans l’attitude et les objectifs des États-Unis en Palestine, en Israël et au Moyen-Orient, cette nouvelle année offrira la possibilité aux Palestiniens de s’éloigner des sentiers battus Américains.
L’année dernière a débuté avec une indéniable volonté américaine de traduire son nouveau discours politique en action. Le 28 janvier, le soi-disant plan de paix de Donald Trump est déclaré comme une véritable doctrine politique. Un nouveau lexique politique a rapidement intégré le discours politique. Le terme «processus de paix», qui a dominé le dialogue américain pendant des décennies, est à présent un lointain souvenir. Et comme l’Autorité palestinienne (AP) a toujours basé sa propre stratégie sur les demandes et les attentes américaines, le changement à Washington ne lui laisse que très peu d’options.
Du tac au tac, le président de l’AP, Mahmoud Abbas, rétorque donc avec une rupture des liens diplomatiques avec Tel Aviv et Washington. En mai, les dirigeants palestiniens annulent tous les accords entre la Palestine et Israël, y compris les ententes relatives à la sécurité. Bien que cette décision ait permis de calmer temporairement la colère dans la rue, elle ne servait aucun objectif pratique, et n’a finalement pas duré longtemps.
En novembre, l’AP a rétabli tous les liens civils et sécuritaires avec Israël, faisant ainsi échouer les nouveaux pourparlers d’unité entre le Hamas et le Fatah, deux groupes rivaux. Les pourparlers ont commencé en juillet et, à la différence des réunions précédentes, les deux factions palestiniennes principales semblaient d’accord sur une série d’idées politiques, dont la plus importante était le rejet du plan de Trump, et de l’intention d’Israël d’annexer de grandes parties des territoires occupés.
«Les priorités des États-Unis au Moyen-Orient ont évidemment changé, et même les alliés européens de l’AP ne considèrent pas Abbas et son organisation comme une priorité»
Ramzy Baroud
Au final, l’AP, qui a toujours eu du mal à se faire respecter par les Palestiniens, a perdu la confiance dont elle jouissait encore parmi ses rivaux. Abbas semblait utiliser les pourparlers d’unité comme un outil pour avertir Washington et Tel Aviv qu’il détenait encore quelques cartes politiques.
Cependant, bien que les dirigeants palestiniens aient déjà réussi à jouer le jeu de patience, et qui amène le flux d’argent depuis la création de l’AP en 1994, cette stratégie touche maintenant à sa fin. Les priorités des États-Unis au Moyen-Orient ont évidemment changé, et même les alliés européens de l’AP ne considèrent pas Abbas et son organisation comme une priorité. L’UE, affaiblie par le départ sans cérémonie du Royaume-Uni et par l’impact économique dévastateur de la pandémie du coronavirus, relègue la Palestine au bas de sa liste de priorités.
Si 2021 doit apporter un changement positif à la trajectoire de la lutte palestinienne pour la liberté, de nouvelles stratégies devront venir remplacer les anciennes. La réflexion doit évoluer vers un tout nouveau paysage politique.
Premièrement, l’unité palestinienne doit être redéfinie afin de ne pas être limitée à un simple règlement politique entre le Hamas et le Fatah, chacun étant motivé par son propre programme et son instinct d’auto-préservation. L’unité devrait inclure un dialogue national entre tous les Palestiniens, de sorte que le peuple, qu’il soit chez lui ou en «chatat» (diaspora), fasse partie du processus de formation d’une nouvelle vision palestinienne non factionnelle.
Deuxièmement, une nouvelle vision devrait être développée et articulée pour remplacer les clichés, les dogmes et les vœux pieux inefficaces. Une solution à deux États est tout simplement irréalisable, non seulement parce qu’Israël et les États-Unis ont fait tout leur possible pour l’enterrer, mais parce qu’elle ne peut satisfaire les attentes minimales en termes de droits des Palestiniens. Dans ce scénario à deux États, les Palestiniens restent géographiquement et politiquement fragmentés, et aucune mise en œuvre réaliste ou équitable du droit au retour ne pourrait être réalisée. «Un seul État démocratique» en Palestine et en Israël ne peut pas résoudre toutes les injustices du passé, mais c’est l’objectif le plus atteignable vers un avenir possible, et certainement meilleur, pour toutes les parties.
Troisièmement, la dépendance obsessionnelle envers Washington en tant que seule partie capable de servir de médiateur entre Israël et la Palestine doit cesser. Non seulement les États-Unis ont démontré leur manque de confiance à travers leur soutien militaire et politique généreux et continu à Israël, mais ils se sont également positionnés comme un obstacle majeur sur la voie de la liberté et de la libération des Palestiniens.
Les dirigeants palestiniens doivent comprendre que l’équilibre du pouvoir mondial change fondamentalement. Il est temps pour eux d’examiner de nouvelles options, de renforcer leurs liens avec les puissances asiatiques qui gagnent en puissance, et de tendre la main aux pays sud-américains et africains afin d’inverser leur dépendance politique et économique entière envers les États-Unis et leurs alliés.
Quatrièmement, bien que la résistance populaire en Palestine se soit constamment exprimée sous de nombreuses formes, elle doit encore être exploitée comme une plate-forme durable pouvant être traduite en capital politique. L’année dernière a commencé par la suspension de la Grande marche du retour de Gaza, qui avait rassemblé des dizaines de milliers de Palestiniens dans une manifestation historique d’unité. Toutefois, les palestiniens en Cisjordanie tentent désespérément de naviguer dans deux matrices de contrôle qui se chevauchent : l’occupation israélienne et l’AP. Cela s’est avéré préjudiciable, car cela empêche le peuple palestinien de jouer un rôle fondamental dans l’élaboration de sa propre lutte. La résistance populaire doit servir de base à toute vision palestinienne authentique de libération.
Cinquièmement, afin que le nouveau discours politique palestinien soit entendu internationalement, il doit être soutenu par un mouvement de solidarité mondial qui se rallie à une vision palestinienne unifiée, tout en défendant les droits palestiniens aux niveaux de la ville, de l’État et du pays. L’attaque américano-israélienne contre le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) témoigne du succès de cette tactique pour changer le discours sur la Palestine et Israël. S’il existe déjà une base solide de solidarité palestinienne dans le monde, ce mouvement ne devrait pas se concentrer uniquement sur les centres universitaires et les cercles intellectuels, mais devrait également essayer d’atteindre les gens ordinaires.
2020 a sans-doute été dévastatrice pour la Palestine, mais une analyse approfondie nous permet de voir dans l’année 2021 une occasion de tenir un tout nouveau discours politique national.
C’est l’occasion rêvée pour la Palestine de riposter.
Ramzy Baroud est journaliste et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l’auteur de cinq livres, le dernier étant : « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons » (Clarity Press, Atlanta). Twitter: @RamzyBaroud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com