En fin d’année 2023, le système politique français s’est emballé. Élisabeth Borne a démissionné. Gabriel Attal, 34 ans, est le nouveau Premier ministre, le plus jeune de la cinquième république. Il a été ministre de l’Éducation nationale durant quatre mois, en remplacement de Pap N’Diaye resté en poste du 20 mai 2022 au 20 juillet 2023.
La rue de Grenelle se souviendra peu de ce dernier. D’origine sénégalaise, spécialiste universitaire des minorités ethniques, progressiste, dénonçant les violences policières en France… Sa nomination avait créé la surprise du second quinquennat de Macron, mais faute d’expérience politique, il n’avait jamais réussi à sortir de l’ombre.
Et pour cause! Qui souhaitait qu’il en sorte? Les haines teintées de racisme l’ont assiégé dès le début, pour s’opposer à la «diversité» que certains théoriciens du Grand Remplacement abhorrent. Le Pen, Zemmour, Ciotti fustigeaient pêle-mêle un homme qui, selon eux, défendait «l'indigénisme, le racialisme, le wokisme» et qui voulait «déconstruire l'histoire de France».
Il avait même osé taxer CNews de chaîne «très clairement d'extrême droite», égratignant Vincent Bolloré qu’il qualifiait de «personnage manifestement très proche de l'extrême droite la plus radicale», et soutenant les personnels du Journal du Dimanche, ou JDD, en grève contre la nomination à la direction de Geoffroy Lejeune. Ses détracteurs étaient vent debout: Pap Ndiaye insultait cent vingt journalistes de CNews!
Le 20 juillet 2023, lors de la passation de pouvoir avec Gabriel Attal, il a déclaré que son départ était un trophée de chasse pour l’extrême droite et la droite. On s’en était bien rendu compte! Quatre jours après sa nomination. En France, défendre les minorités ne fait pas gagner les élections. Gabriel Attal, lui, affichait sa détermination, très politique, cette fois, de défendre la laïcité avec l’interdiction de l’abaya à l’école. Son credo: respect de la loi et des règles! Pour cela, il décidait, tranchait, appelait à «faire bloc» contre les atteintes à l'école laïque républicaine «testée» par les séparatistes.
On se souvient que, lors de la rentrée 2023, seules 298 filles s’étaient présentées à l’école avec l’abaya, et que 67 avaient refusé de l’enlever. «Elles sont rentrées chez elles», avait annoncé le jeune ministre... alors que lui signait sa sortie à la lumière, au grand jour, sous la bannière de l’autorité. Quand Pap Ndiaye dénonçait CNews et l’extrême-droite, Gabriel Attal cognait sur un tissu musulman, avec quoi il propulsait sa notoriété vers les sommets du pouvoir.
Aujourd’hui, Pap Ndiaye est ambassadeur à Strasbourg, Gabriel Attal chef à Matignon. Deux ministres de l’Éducation, deux visions du destin français. Deux enseignements: l’un voué à l’échec, l’autre à la gloire. Tous deux symboliques. Le 27 août, Attal était le premier membre du gouvernement à accepter de poser en une du JDD de Geoffroy Lejeune. Il recherchait des relations cordiales avec la nouvelle équipe.
Il faudra que la nouvelle équipe gouvernementale soit «révolutionnaire», a souhaité Emmanuel Macron pour relever le défi. Croisons les doigts pour que cette révolution ne se fasse pas, une nouvelle fois, sur le dos des musulmans.
- Azouz Begag
À l’extrême droite, de cyniques commentaires politiques se lâchaient: Pap Ndiaye pouvait prêter à rire, pas Attal. Le nouveau Premier ministre suscite de l’estime, de la sympathie. On ne le trouve ni sectaire ni arrogant. Les députés RN auraient même eu pitié de lui avant les vacances de fin d’année en le voyant épuisé sur les bancs de l’Assemblée: «Miskine Attal» (Le Monde du 9 janvier). En arabe, avec accent RN! C’était son surnom chez les lepénistes qui l’accusaient de plagiat avec l’interdiction de l’abaya, le retour de l’uniforme, le redoublement, la réforme du brevet, la fin du collège unique, le retour des fondamentaux…
On le considère comme un homme déjà rompu à la politique, qui chasse sur les terres du RN beaucoup plus subtilement que les autres, notamment Darmanin. «Il est très malin, reste toujours calme, garde le sourire, parle comme nous, sans jamais nous insulter… ce qui rend le combat plus compliqué.» À peine nommé Premier ministre, il faisait une sortie dans un commissariat pour baliser sa politique à venir sur le thème de la sécurité: «Je ne conçois pas une société sans ordre ni règles.»
Clairement, l’extrême-droite dicte désormais le tempo de la politique française. Puisqu’il fait la course en tête, la droite et les macronistes s’adaptent à vue, après le choc de la loi «immigration» qui a entériné la lepénisation des esprits dans le pays. Le RN est en ordre de bataille pour les Européennes. En 2024, il faudra suivre de près le printemps de Jordan Bardella, son président, à qui ses 28 ans ouvrent un boulevard pour sa carrière.
Avec Attal rue de Varennes, Macron démontre aux électeurs que la jeunesse n’est plus un handicap pour gouverner le pays. Le dernier sondage Ifop/Fiducial (pour Sud Radio et Paris Match) publié le 12 décembre, plaçait Bardella à la sixième place des personnalités politiques préférées des Français (44% d'opinions favorables). En un mois, il a gagné quinze rangs et pour la première fois, dépassait Marine Le Pen, classée en huitième position. Le projet de loi «immigration» a dopé son ambition. Une semaine avant le vote de la motion de rejet de l’Assemblée, le 11 décembre, il s’était dit prêt à devenir Premier ministre en cas de dissolution.
Dans le baromètre Ifop/JDD des personnalités préférées des Français, il était la seule personnalité politique à faire partie de ce top 50 (30e). Loin devant Attal (57e). Le RN est grand favori des Européennes. Le 13 janvier, Marine Le Pen, dans le JDD, tirait des plans sur la comète en présentant son projet pour Bardella: «J’ai pris la décision, comme potentielle candidate à la présidentielle, de présenter aux Français celui qui serait le Premier ministre si j’étais élue. Ce ticket est absolument nécessaire parce que les Français doivent savoir qui sera le chef du gouvernement s’ils nous font confiance.»
Pour elle, «la question n’est plus de savoir» si le RN va arriver au pouvoir, mais quand. Il reste donc quatre mois au gouvernement Attal pour déjouer une constante lepéniste historique: les Français ont toujours préféré l’original à la copie. Il faudra que la nouvelle équipe gouvernementale soit «révolutionnaire», a souhaité Emmanuel Macron pour relever le défi. Croisons les doigts pour que cette révolution ne se fasse pas, une nouvelle fois, sur le dos des musulmans.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
X: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.