Le gouvernement israélien menace le Liban de guerre. Les Américains ne veulent pas de frappes qui pourraient transformer le conflit de Gaza en une guerre régionale. Le Hezbollah ne veut pas de guerre. L’Iran non plus, d’ailleurs. Mais la diplomatie américaine peut-elle apprivoiser le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou? D’autant plus que la plupart des Américains redoutent que les États-Unis ne soient entraînés dans un nouveau conflit au Moyen-Orient.
Il est évident que l’Iran ne veut pas gaspiller un atout précieux, le Hezbollah, uniquement pour soutenir le Hamas et les Palestiniens. Il préfère conserver le groupe comme ligne de front au cas où il serait attaqué par Israël. C’est pourquoi le Hezbollah maintient le combat dans le cadre des règles d’engagement.
Les États-Unis font pression sur le Liban pour qu’il se conforme à la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette résolution a été mise en place pour mettre fin à la guerre de 2006. Elle stipule que l’État libanais doit étendre sa souveraineté à tous les territoires libanais, comme le dictent les résolutions 1559 (de 2004) et 1680 (de 2006); en outre, il est chargé de mettre en place les dispositions de sécurité nécessaires. Il s’agit notamment de la création d’une zone tampon entre la Ligne bleue et le fleuve Litani, exempte de tout agent armé – à l’exception de la Force intérimaire des nations unies au Liban (Finul) et de l’armée libanaise – ainsi que de l’augmentation du nombre de soldats de la Finul à 15 000. Cette dernière devrait soutenir les forces armées libanaises et coordonner ses activités avec les gouvernements libanais et israélien.
Selon la résolution, le Hezbollah devra se retirer au nord du Litani. En 2006, le groupe s’y est conformé. Cependant, son redéploiement a commencé lentement par la suite. Deux facteurs l’ont aidé à étendre sa présence dans le Sud: d’abord, la guerre en Syrie et l’émergence de Daech. Ces deux événements ont incité l’armée à déplacer ses troupes vers les frontières est et nord du Liban. Le deuxième facteur est lié à la crise financière de 2019. La présence de l’armée s’est encore diluée, le budget ne permettant pas de nouveaux recrutements dans tous les départements de l’État, y compris dans l’armée. Moins les forces armées libanaises étaient présentes, plus le Hezbollah étendait sa présence.
«Compte tenu du comportement d’Israël, nous comprenons qu’il repousse les limites. Cependant, une erreur de calcul pourrait se produire.»
Dr Dania Koleilat Khatib
La Finul opère en vertu du chapitre 6 de la charte des Nations unies, qui porte sur le règlement pacifique des différends. Son recours à la force est donc limité. Ces développements ont conduit à une application souple de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui a renforcé le sentiment d’insécurité d’Israël.
Aujourd’hui, les États-Unis ont fait appel à Amos Hochstein, l’envoyé américain chargé du succès des négociations de démarcation maritime entre Israël et le Liban, pour résoudre le problème de manière diplomatique et empêcher une offensive contre le Liban.
Dans un discours prononcé après l’assassinat, par Israël, du membre du bureau politique du Hamas, Saleh al-Arouri, à Beyrouth, la semaine dernière, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a indirectement ouvert la porte à des négociations en affirmant que cela pourrait être l’occasion de résoudre le problème une fois pour toutes. Israël a assassiné Al-Arouri dans la banlieue sud de Beyrouth, un bastion du Hezbollah. Nasrallah a déjà déclaré que tout assassinat au Liban constituait une ligne rouge. Israël l’a franchie et n’a pour l’instant pas fait l’objet de représailles massives.
Après l’assassinat d’Al-Arouri, Israël a ciblé cette semaine Wissam Tawil, un officier de haut rang de la force Al-Radwan, l’unité d’élite du Hezbollah, qui était aussi le beau-frère de Nasrallah.
Compte tenu du comportement d’Israël, nous comprenons que, face à ce qu’il perçoit comme un manque de dissuasion de la part du Hezbollah, il repousse les limites. Cependant, une erreur de calcul pourrait survenir. Le groupe pourrait réagir tout d’un coup. Israël joue avec le feu.
Israël veut néanmoins montrer sa puissance et son aptitude à écraser ses ennemis. Cela va au-delà de la sécurité. Il veut restaurer la confiance perdue le 7 octobre. Les Israéliens n’ont plus confiance dans leur armée. Ils ne pensent pas qu’elle soit capable de les protéger.
La principale raison pour laquelle Netanyahou veut prolonger la guerre est peut-être qu’il devra affronter la justice une fois qu’elle sera terminée.
Dr Dania Koleilat Khatib
Il y a aussi une autre raison – sans doute la plus importante – pour laquelle Netanyahou veut prolonger la guerre: une fois qu’elle sera terminée, il devra affronter la justice et probablement aller en prison. Une source m’a révélé que Netanyahou souhaitait poursuivre la guerre jusqu’à l’année prochaine dans l’espoir que Donald Trump revienne à la Maison-Blanche. Netanyahou compte sur Trump pour le maintenir au pouvoir. Est-ce vrai? Personne ne le sait vraiment, mais c’est une possibilité – particulièrement dangereuse d’ailleurs. Elle signifierait que Netanyahou souhaite étendre la guerre au Liban pour garantir sa survie politique.
Les États-Unis peuvent-ils empêcher un scénario aussi désastreux? Peuvent-ils convaincre Israël de respecter certains arrangements de sécurité? Peut-être, mais pas avec la position laxiste qu’ils adoptent actuellement à l’égard d’Israël. Ils n’ont pas réussi à empêcher Israël de cibler les écoles, les hôpitaux et les lieux de culte. Ils n’ont pas pu empêcher Israël de s’en prendre aux journalistes, aux médecins et au personnel de l’ONU. Pourront-ils interdire à Netanyahou de mener une offensive contre le Liban?
Le risque lié à une telle frappe empêchera-t-il Israël de prendre le Liban pour cible? Ce dernier n’est pas Gaza, le Hezbollah n’est pas le Hamas et les missiles à guidage de précision dont dispose le groupe sont différents des roquettes des brigades Al-Qassam. Pourtant, le risque et la pression américaine pourraient ne pas suffire à dissuader Netanyahou.
Le plus dangereux, c’est l’opinion publique israélienne. Le quotidien The Times of Israel a publié au cours de ce mois une enquête qui montre qu’une légère majorité d’Israéliens – 50,9% – est favorable à l’ouverture d’un front dans le Nord. Cela pourrait être l’excuse parfaite dont le Premier ministre, très peu populaire, a besoin pour entrer en guerre contre le Liban.
C’est précisément dans ce contexte que la diplomatie américaine devrait adopter une position ferme contre Netanyahou. Elle devrait contrôler ses mouvements avant qu’il ne prenne une mesure mal calculée susceptible de déclencher une guerre totale qui détruirait le Liban, porterait gravement atteinte à Israël, aurait de graves répercussions sur la région et, ce qui est capital pour la Maison-Blanche, réduirait les chances de Joe Biden d’être réélu.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com