Depuis plusieurs semaines, les milices houthies du Yémen, soutenues par l'Iran, attaquent la navigation commerciale et les navires de guerre internationaux en mer Rouge.
Selon le commandement central américain, près de 30 attaques ont été menées à l'aide de missiles de croisière antinavires, de drones armés et de détournements de navires. Les cibles de la plupart de ces attaques sont des navires civils de pays qui n'ont rien à voir avec la guerre israélienne contre Gaza, qui est le prétendu prétexte des Houthis.
Les attaques des Houthis contre la navigation dans la région ne sont pas nouvelles. Au plus fort du conflit au Yémen en 2016, la milice a tiré des missiles sur un navire de guerre de la marine américaine près du Bab El-Mandeb, le détroit qui relie la mer Rouge au golfe d'Aden. Les forces houthies ont également déployé des mines le long de la côte du Yémen et utilisé un bateau télécommandé rempli d'explosifs lors d'une attaque contre le port yéménite de Mokha en 2017 qui s’est soldée par un échec. Les Houthis ont également lancé plusieurs attaques navales contre des navires en mer Rouge, notamment des canonnières qui ont endommagé un pétrolier saoudien près du port de Hodeidah en 2018.
Toutefois, ces dernières semaines, les Houthis ont intensifié leurs attaques pour atteindre des niveaux sans précédent. Si ces attaques se poursuivent sans relâche, l'impact se fera sentir à l'échelle régionale et mondiale.
La mer Rouge est l'une des voies maritimes les plus importantes au monde. Selon certaines estimations, 15 % du commerce maritime mondial y transite, dont près d'un tiers du trafic mondial de conteneurs. À une époque où les marchés de l'énergie sont déjà en pleine mutation, le trafic maritime de la mer Rouge représente 8 % du commerce mondial de gaz naturel liquéfié et 12 % du pétrole brut échangé par voie maritime. En moyenne, environ 2,7 milliards de dollars d'échanges commerciaux transitent chaque jour par la mer Rouge, soit l'équivalent du produit intérieur brut annuel de la République centrafricaine.
Comme les compagnies maritimes internationales se détournent de la mer Rouge en contournant le cap de Bonne-Espérance, l'allongement des délais d'expédition se traduira par une hausse des prix pour les consommateurs du monde entier. Par ailleurs, les faibles niveaux d'eau provoqués par une sécheresse régionale entraînent des retards de transport dans le canal de Panama. La route maritime du Nord, qui longe la côte arctique de la Russie et relie l'Europe aux marchés asiatiques, n'est pas en passe de devenir l'alternative viable au canal de Suez que certains avaient imaginée. Les routes commerciales terrestres, telles que le « couloir du milieu » qui traverse le Caucase du Sud, seront de plus en plus utilisées, mais elles sont loin d'avoir la même capacité que le commerce maritime.
Les pays riverains de la mer Rouge sont également concernés. Une grande majorité des importations alimentaires de la Jordanie proviennent de navires transitant par la mer Rouge jusqu'au port d'Aqaba. On constate déjà une baisse des importations via Aqaba. De son côté, l'Égypte dépend des droits de transit qu'elle perçoit pour l'utilisation du canal de Suez. L'année dernière, ces droits représentaient 2 % du PIB de l'Égypte. Ces dernières semaines, les transits par le canal ont diminué de 20 %.
En moyenne, des échanges commerciaux d'une valeur de 2,7 milliards de dollars transitent chaque jour par la mer Rouge, soit l'équivalent du produit intérieur brut annuel de la République centrafricaine.
Luke Coffey
Lentement, la communauté internationale commence à se mobiliser pour répondre aux attaques des Houthis. Le mois dernier, les États-Unis, l'Australie, Bahreïn, la Belgique, le Canada, le Danemark, l'Allemagne, l'Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont mis sur pied l'opération « Prosperity Guardian », une force navale déployée en mer Rouge pour protéger la navigation commerciale.
Ce n'est pas la première fois, ces dernières années, que la communauté internationale met en place une coalition navale pour la région. Entre 2009 et 2012, les pirates somaliens opérant au large de la Corne de l'Afrique, à quelques centaines de kilomètres seulement au sud de l'endroit où les Houthis menacent aujourd'hui le trafic maritime, ont bouleversé le transport maritime mondial. En réaction, une coalition internationale de lutte contre la piraterie s'est déployée pour combattre les pirates somaliens. Alors que la communauté internationale cherche à établir la sécurité maritime en mer Rouge, il convient de tirer les leçons des opérations de lutte contre la piraterie menées il y a plus de dix ans.
La première leçon à tirer est qu'il faut une chaîne de commandement simple et rationalisée. Lors des opérations de lutte contre la piraterie au large de la Corne de l'Afrique, il y avait plusieurs missions internationales (par exemple, la Combined Task Force 151, une mission dirigée par l'OTAN, et une mission distincte dirigée par l'UE), ce qui a souvent été source de confusion et d'inefficacité. Il n'y avait pas de commandant unique et les règles d'engagement différaient d'une mission à l'autre.
Deuxièmement, les opérations de sécurité maritime ne peuvent être menées uniquement en mer. Il est compréhensible que les pays ne veuillent pas qu'une guerre majeure éclate dans toute la région. Toutefois, pour rétablir la sécurité en mer Rouge, il faut éliminer les noyaux de commandement et l'infrastructure logistique qui, au Yémen, facilitent les attaques contre le transport maritime international. Cela a également été le cas lorsque des sites pirates ont été frappés en Somalie. Toute idée selon laquelle une opération de sécurité maritime réussie se limiterait à la mer est désespérément naïve. Tant que ces frappes sont effectuées de manière chirurgicale et délibérée, le risque de propagation de la guerre restera limité et la dissuasion sera rétablie.
Troisièmement, les pays de la région devraient être impliqués. Bien que l'opération Prosperity Guardian soit menée par les États-Unis, ce sont les pays de la région qui ont le plus à perdre si la sécurité en mer Rouge se détériore. Heureusement, au cours des 20 dernières années, la marine américaine a investi massivement dans l'amélioration des capacités maritimes de certains pays de la région. Bahreïn, l'Égypte, le Koweït, le Qatar et les Émirats arabes unis ont participé à différentes opérations de sécurité maritime dans le Golfe, la mer Rouge et la Corne de l'Afrique, et en ont parfois assuré le commandement. La sécurité en mer Rouge ne peut devenir une question dominée par les États-Unis ou l'Europe.
La libre circulation des navires dans la mer Rouge devrait être une priorité pour la communauté internationale. Les conséquences économiques d'une interruption majeure des approvisionnements se répercuteraient dans le monde entier. Les navires commerciaux et civils ne sont jamais une cible légitime pour les missiles de croisière antinavires et les drones armés. La prise en otage des équipages de ces navires relève de la piraterie moderne. C'est inacceptable. Il faut le dire clairement, par des actes et pas seulement par des mots, aux Houthis et à ceux qui les soutiennent dans la région.
Luke Coffey est chercheur principal à l'Institut Hudson. X : @LukeDCoffey.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com