Il est toujours difficile voire périlleux de vouloir réconcilier des mémoires antagonistes.
Pourtant à dix-huit mois de la fin de son premier mandat, le président français Emmanuel Macron a décidé de s’atteler à un chantier extrêmement délicat : la guerre d’Algérie.
Le 24 Juillet dernier, le palais de l’Elysée annonçait dans un communiqué que Macron a décidé de charger l’historien Benjamin Stora, spécialiste de renom de l’Algérie, d’une mission « sur la mémoire de la colonisation et de la guerre ».
Cette mission dont les modalités restent à définir a pour but de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ».
La feuille de route de cette mission dont Stora, né à Constantine (en Algérie) devra s’acquitter d’ici la fin de l’année consiste toujours selon l’Elysée donner une nouvelle impulsion à des relations franco-algériennes constamment tendues, souvent houleuses.
De son côté le président algérien Abdelmajid Tebboune a chargé le directeur général du centre national des archives Abdelmajid Chikhi d’entamer un travail de « vérité » sur les questions mémorielles entre les deux pays.
Il s’agit donc d’une volonté commune de part et d’autre de la Méditerranée de tourner la page d’une guerre, certes douloureuses, mais vieille de plus d’un demi-siècle.
Cela n’enlève rien au fait que Stora aussi bien que Chikhi se retrouvent tous les deux chargés d’une tâche titanesque: épurer et réconcilier des mémoires blessées, mettre des mots sur les douleurs, gommer les divergences et fermer une plaie toujours béante…malgré le temps écoulé.
Conscient de la difficulté de la tache Stora a affirmé « qu’on ne peut jamais réconcilier définitivement les mémoires », soulignant la nécessité « d’avancer vers une relative paix des mémoires ».
Il s’agit donc d’une volonté commune de part et d’autre de la Méditerranée de tourner la page d’une guerre, certes douloureuses, mais vieille de plus d’un demi-siècle.
L’objectif étant, selon lui, d’affronter les défis de l’avenir et ne pas « rester prisonniers tout le temps du passé ».
L’historien est donc prêt à affronter ce défi mémoriel tant souhaité par Macron et à chercher à rapprocher deux mémoires conflictuelles ainsi que des lectures et des ressentis antagonistes de l’histoire et du présent.
Pour cela il faudra revenir sur 132 ans de colonisation de l’Algérie par la France et sur des stigmates accumulés au fil des ans pour culminer avec la guerre (1954 – 1962) qui a abouti à l’indépendance.
La guerre d’Algérie, ce choc frontal entre deux volontés et deux fiertés : l’Algérie française et l’Algérie aux algériens.
Après les accords d’Evian et l’arrivée au pouvoir du front de libération algérien le « FLN », un rideau de silence est tombé des deux côtés.
Les français comme les algériens se sont repliés chacun sur son traumatisme et son propre vécu de la guerre développant des mémoires divergentes et souvent violemment hostiles.
La mémoire des français pieds- noirs (les français vivants en Algérie au moment de la guerre) n’est pas celle des algériens ni celle des harkis (les algériens qui ont combattu avec les troupes françaises). Il en est de même de la mémoire des combattants du FLN et celle des soldats français qui ont participé à la guerre.
Le malentendu persistait à travers les générations et les vieilles blessures pouvaient être ravivées à tout moment.
Chacun ayant sa propre lecture de la même histoire, ils restaient à l’affût de chaque geste chaque démarche ou prise de décision de l’autre.
De part et d’autre on s’acharnait à décortiquer tout ce qui est fait ou dit à travers son propre prisme, engendrant ainsi tout au long des décennies de nombreux ressentiments et conflits.
Telle date considérée comme une occasion festive pour l’un constituait un événement douloureux pour l’autre. Tel acte de bravoure pour l’un était un acte odieux pour l’autre. Tel groupe constitué de combattants héroïques était un groupe criminel pour l’autre.
Pendant que les algériens s’acharnaient à vouloir gommer toutes les traces de la colonisation française de leur pays, les français étaient emmurés dans le mutisme concernant la guerre d’Algérie.
Chacun ayant sa propre lecture de la même histoire, ils restaient à l’affût de chaque geste chaque démarche ou prise de décision de l’autre.
La profondeur de cette divergence mémorielle a engendré une haine et un repli identitaire qui n’a pas épargné les jeunes nés en France de parents originaires d’Algérie et qui sont à leur tour pris pour cible par certaines catégories de français.
Avant d’accéder au pouvoir et alors qu’il était encore en campagne, Macron avait manifesté sa volonté de pacifier ce contentieux.
Lors d’une visite en Algérie en Février 2017 il a affirmait que la colonisation fut « un crime contre l’humanité » et même « une vraie barbarie » suscitant un tollé de réactions scandalisées, notamment dans les rangs de la droite française.
De retour à Alger après son élection il a affirmé sa volonté de « tourner la page du passé » et de construire une nouvelle relation avec l’Algérie.
Avant cela, plusieurs petits pas avaient été effectué dans cette même direction, côté français.
En 1999 l’Assemblée nationale décide de requalifier ce qu’on appelait jusque-là « opération de maintien de la paix » en « guerre d’Algérie ».
Cette nouvelle terminologie était le reflet d’un changement ou plutôt d’une maturité à l’égard des évènements douloureux qui ont jalonnés l’histoire des deux pays.
Ce fut l’amorce d’une levée partielle du tabou représenté par la guerre d’Algérie.
Il était désormais possible d’analyser certains aspects de cette guerre et d’aborder publiquement la question de la torture pratiquée par les militaires français.
Cette percée a été également nourrie par l’ouverture des archives de cette période en rendant possible aux historiens et chercheurs de procéder à des analyses même si les passions contradictoires et des polémiques en accompagnaient la publication.
A leur tour, des présidents français successifs ont tenté des approches de pacification.
En décembre 2012, l’ancien président François Hollande dénonce devant le parlement algérien la colonisation comme étant un « système brutal » et il a reconnu les souffrances infligées aux algériens.
Avant lui les deux anciens président Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient également fustigé les méfaits de la colonisation.
Mais la liquidation d’un aussi lourd contentieux nécessite beaucoup plus qu’une prise de position et implique une remise à plat complète de tous ses aspects.
C’est ce qui semble être le sens de la mission confiée à Stora et Chikhi afin d’apaiser les esprits et de reconstruire de nouvelles relations dépassionnées.
L’enjeu est d’une grande importance pour l’Algérie et pour la France ainsi que pour quatre millions de français d’origine algérienne tiraillés par leur double appartenance. Ce pari, bien que courageux, est loin d’être simple et le chemin semble rude et semé d’embûches.
Arlette Khouri vit et travaille à Paris depuis 1989.
Pendant 27 ans, elle a été journaliste au bureau parisien d’Al-Hayat.
TWITTER : @khouriarlette
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.