L’année 2023, qui touche à sa fin, fait partie des plus meurtrières dans le cadre de ce long et sanglant conflit entre Israéliens et Palestiniens. Naturellement, les yeux du monde sont rivés sur la guerre à Gaza. Néanmoins, la situation en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est s’aggrave rapidement et menace d’entamer une nouvelle phase accélérée du plan du gouvernement visant à consolider davantage l’occupation en vue de l’annexion, alors que l’attention internationale est portée ailleurs. Cette situation couve depuis des années. Elle pourrait aboutir à des hostilités prolongées et plus intenses entre les groupes armés palestiniens et les forces de sécurité israéliennes si elle n’est pas maîtrisée. Par ailleurs, on assisterait à l’intensification des mesures d’oppression de l’occupation et de la violence des colons.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, l’escalade en Cisjordanie et à Jérusalem-Est précède la guerre à Gaza. Tout au long de l’année 2023, elle s’est caractérisée «par des tensions accrues, une augmentation considérable du nombre de victimes palestiniennes, une augmentation de la violence des colons et la démolition des constructions appartenant à des Palestiniens». Cette situation qui se détériore, avec un nombre croissant de victimes palestiniennes, le déplacement des communautés palestiniennes et, par conséquent, une perte considérable de moyens de subsistance, est principalement liée à la formation, au début de l’année, du gouvernement le plus à droite de l’Histoire d’Israël. Cette coalition comprend, à des postes clés, les représentants les plus extrémistes parmi les colons des territoires occupés.
Dans une certaine mesure, l’intensification des activités des forces de sécurité israéliennes au lendemain du 7 octobre peut s’expliquer par leurs efforts visant à dissuader les militants palestiniens de profiter de la guerre entre l’État hébreu et le Hamas à Gaza et, dans une moindre mesure, avec le Hezbollah à sa frontière nord. Cependant, cet argument peut difficilement expliquer le traitement sévère qu’Israël réserve à l’ensemble de la population, en particulier dans la zone C qui est entièrement sous contrôle israélien. Par ailleurs, les actes de violence criminelle des colons sont devenus incontrôlables avec, au moins, le soutien tacite de Tsahal et, dans certains cas, son implication réelle dans la protection des assaillants, mais pas de leurs victimes. La semaine dernière, des soldats ont été filmés chantant et priant à travers le haut-parleur d’une mosquée de Jénine – un manque total de respect. Dans ce cas en particulier, les soldats impliqués ont été réprimandés par les autorités de Tsahal, mais c’est malheureusement loin d’être un cas isolé de comportement inapproprié, insultant et parfois meurtrier de la part de soldats envers la population locale.
On répète que les relations entre Israéliens et Palestiniens ne reviendront jamais au niveau où elles étaient le 6 octobre et il est difficile de contester cette affirmation. Ce qui s’est passé depuis ce jour-là a changé la donne, non seulement vis-à-vis de Gaza et du Hamas, mais aussi au niveau des perspectives générales des relations entre Israéliens et Palestiniens.
Dans un monde idéal, ou du moins rationnel, ces terribles destructions et pertes de vies humaines auraient dû constituer un tournant décisif au cours duquel une grande partie des deux sociétés, dirigées par des leaders visionnaires, aurait reconnu qu’il ne pourrait y avoir de solution militaire, mais uniquement politique à ce conflit, sans quoi l’effusion de sang tragique et la misère actuelle deviendraient la norme. Au contraire, certains membres de l’extrême droite messianique et religieuse en Israël voient la situation actuelle comme l’occasion de harceler et d’opprimer la population palestinienne locale dans le cadre de leur grand plan d’annexion de la Cisjordanie et probablement aussi de Gaza, où ils fantasment déjà sur la reconstruction des colonies juives.
Cette situation qui se détériore, avec un nombre croissant de victimes palestiniennes, est principalement liée à la formation, au début de l’année, du gouvernement le plus à droite de l’Histoire d’Israël. - Yossi Mekelberg
Pour ceux qui soutiennent cette «vision» apocalyptique, il n’y a pas de place pour un État palestinien et il n’y a guère de place pour les Palestiniens dans leur mission menaçante de transformer Israël en une théocratie juive halakhique. Autrefois, ces opinions auraient pu être rejetées, car représentant un nombre insignifiant de personnages aberrants qui ne devraient pas être pris au sérieux. Néanmoins, et c’est terrifiant, les preuves vont désormais dans la direction opposée. D’une part, il y a cinquante ans, la perspective de voir plus de 700 000 colons juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en violation du droit international aurait été considérée comme totalement absurde, mais telle est la réalité actuelle. Cela rend très difficile la possibilité d’une solution à deux États.
De plus, il y a un an à peine, l’idée qu’une extrême droite, dirigée par les disciples de Meir Khanna dans sa version la plus répugnante et la plus militante, puisse être au cœur du gouvernement israélien, aurait été considérée comme alarmiste par les opposants de Benjamin Netanyahou. Mais ces gens sont désormais au cœur du gouvernement, tenant en otage un Premier ministre faible qui cherche désespérément à les garder dans sa coalition afin de faire dérailler son procès pour corruption, alors qu’ils dictent les politiques israéliennes les plus agressives envers les Palestiniens de Cisjordanie depuis la fin de la seconde intifada.
Dans ces circonstances, il n’est pas si surprenant, mais inquiétant, que l’une des opérations militaires israéliennes les plus étendues depuis plus de deux décennies soit menée cette année. Cette opération a déjà coûté, à la mi-décembre, la vie à 476 Palestiniens – 276 depuis le 7 octobre, dont 112 enfants. En outre, depuis le début du mois d’octobre, Israël a arrêté plus de 3 000 Palestiniens en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est. La grande majorité ne devrait faire l’objet d’aucune accusation, mais sera toujours détenue pendant de longues périodes sans procédure régulière, uniquement parce que les occupants ont le pouvoir de le faire.
Le plus inquiétant est le lien entre les forces de sécurité israéliennes et les colons qui font constamment la loi en toute impunité. Ce type de violence odieuse s’est intensifié depuis le 7 octobre, notamment des meurtres présumés de civils et des déplacements forcés de Palestiniens de leurs foyers. Par ailleurs, ce sont les communautés les plus vulnérables de Cisjordanie qui sont prises pour cible.
Contrairement à la plupart des gens, qui considèrent les événements survenus depuis le début du mois d’octobre comme une terrible tragédie infligeant des souffrances inimaginables, l’extrême droite en Israël, ainsi que certains membres du Likoud, voient cette calamité en cours comme une occasion pour réprimer brutalement toute résistance à l’occupation en Cisjordanie, ou pire encore, pour harceler des Palestiniens ordinaires.
Dans le même temps, les colons sont armés par le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, dans le but de créer ce qui pourrait devenir une milice à la disposition de ceux qui s’opposent à toute solution politique avec les Palestiniens et qui pourrait conduire à l’annexion de la Cisjordanie, perpétuant non seulement l’occupation, mais créant un État d’apartheid entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Ce scénario n’est plus invraisemblable. Le peuple israélien et la communauté internationale devraient se réveiller et empêcher que cela ne se produise.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com