Le Koweït a connu deux changements de dirigeants en un peu plus de trois ans. Le cheikh Nawaf Al-Ahmad Al-Sabah, qui avait pris les rênes en 2020 après la mort de son demi-frère, le cheikh Sabah Al-Ahmad Al-Sabah, est décédé samedi dernier. Le nouvel émir du pays du Golfe, le cheikh Mishal Al-Ahmad Al-Sabah, a prêté serment mercredi.
La politique étrangère particulière du Koweït a été étroitement associée au cheikh Sabah, qui a dirigé le pays pendant de nombreuses années. Le cheikh Nawaf a repris cet héritage et, au cours de son bref règne, a apporté ses propres contributions à la politique intérieure et extérieure du pays. Les politiques des deux derniers émirs ont influencé de manière significative les relations étrangères du Koweït, fournissant une base solide à la vision des nouveaux dirigeants.
Avant d'aborder les perspectives d'avenir des relations entre le Koweït et la Turquie, il est essentiel de se pencher sur les relations turco-koweïtiennes durant les trois années de règne du cheikh Nawaf.
Historiquement, les liens entre la Turquie et le Koweït ont été les plus durables parmi les États du Conseil de coopération du Golfe. Les deux pays ont conservé leur stabilité sans fluctuations majeures. Bien qu'ils soient confrontés à des défis structurels régionaux, les deux pays sont entrés dans une nouvelle phase de leurs relations au cours de la dernière décennie, faisant preuve de résilience et de cohérence. Cette situation s'est manifestée par la signature de plusieurs accords entre les deux pays dans les domaines de l'énergie, de la défense et de la culture. Cette trajectoire positive s'est intensifiée au cours des cinq dernières années, le cheikh Sabah s'étant rendu en Turquie à plusieurs reprises, tandis que le président turc Recep Tayyip Erdogan a accordé la priorité au Koweït dans ses tournées dans le Golfe.
Les fondations posées sous la direction du cheikh Sabah ont porté leurs fruits sous l'ère de son successeur. Le cheikh Nawaf a pris les rênes à un moment où le climat régional était en train de changer. Après seulement quelques mois de mandat, la déclaration d'Al-Ula, qui mettait fin à un différend de plusieurs années dans le Golfe, a été signée. Cette situation a été un soulagement pour le Koweït, qui s'inquiétait des tensions croissantes dans la région et de l'avenir du CCG en tant que bloc sous-régional. C'était également un soulagement pour la Turquie, qui a ensuite ouvert une nouvelle page dans ses relations avec les États du CCG. Dans ce contexte, le climat de réconciliation a donné au Koweït l'espace nécessaire pour développer ses relations avec Ankara sans la pression exercée par les tensions entre la Turquie et le Golfe au cours de la dernière décennie.
En 2021, le cheikh Nawaf a envoyé une lettre au président turc pour réaffirmer le désir de son pays de renforcer les liens avec Ankara dans divers domaines et pour souligner les questions d'intérêt commun. Le cheikh Mishal, qui était prince héritier, s'est fait l'écho de cette volonté. Il a déclaré : « Nous parlons de la qualité des relations entre le Koweït et la Turquie et nous faisons référence à tous les aspects de la coopération politique, économique, commerciale et sécuritaire. » Comme il l'a souligné, les relations entre les deux pays ont commencé à se développer au-delà du domaine diplomatique.
Les deux pays sont entrés dans une nouvelle phase de leurs relations au cours de la dernière décennie, faisant preuve de résilience et de cohérence.
Sinem Cengiz
La même année, la deuxième réunion du comité mixte de coopération entre la Turquie et le Koweït s'est tenue après une interruption de près de huit ans. Cette réunion, au niveau des ministres des Affaires étrangères, a été considérée comme très importante. L'ambassadeur du Koweït en Turquie à l'époque, Ghassan Zawawi, a joué un rôle déterminant pour que la réunion ait lieu.
Ce succès diplomatique a été suivi d'un développement crucial dans le domaine de la défense en juin de cette année. Le Koweït a conclu un contrat d'une valeur de 367 millions de dollars avec la société de défense turque Baykar pour l'achat de ses drones Bayraktar TB2. Le Koweït est ainsi devenu le 28e pays à acheter ces drones. L'ambassadeur turc au Koweït, Tuba Nur Sonmez, a joué un rôle clé dans la promotion de ces liens en matière de défense.
Dans le domaine économique, le volume des échanges mutuels a atteint 680 millions de dollars. Par ailleurs les entreprises turques souhaitent obtenir leur part du plan directeur 2040 du Koweït.
En exclusivité pour Arab News, Sonmez a qualifié d’« exceptionnelles » les relations turco-koweïtiennes à l'époque du cheikh Nawaf. Il a ajouté que le cheikh Nawaf « était quelqu’un d’extraordinaire et bienveillant, estimé comme un véritable ami de la Turquie ». Tout au long du règne de son Altesse, le Koweït et la Turquie ont tissé des liens encore plus étroits, entretenant des relations positives dans de multiples domaines tels que le commerce, l'investissement et la diplomatie. L'émir Nawaf a notamment été reconnu pour avoir développé des liens diplomatiques avec la Turquie, une relation historiquement appréciée des deux nations ».
Le Koweït a été l'un des premiers pays à apporter une aide humanitaire aux victimes du tremblement de terre qui a frappé la Turquie en février. L'humanitaire est un domaine important de la coopération entre le Koweït et la Turquie. La Turquie accueille des millions de Syriens et fournit une aide humanitaire importante dans ses camps de réfugiés. Le Koweït est l'un des principaux donateurs pour les Syriens et a mené plusieurs campagnes d'aide à la frontière sud-est de la Turquie avec la Syrie.
Après l'évolution majeure des relations entre le Koweït et la Turquie au cours de la dernière décennie, les deux pays sont parvenus à un consensus sur les questions régionales et mondiales. Malgré les récents mouvements de désescalade régionale, plusieurs questions régionales et mondiales restent un facteur dans leur calcul de sécurité. Ainsi, les liens turco-koweïtiens sont motivés par cinq facteurs : historique/politique, économique, sécurité/défense, vision régionale et assistance humanitaire.
Zawawi, qui a été ambassadeur du Koweït à Ankara entre 2016 et 2022, a déclaré à Arab News que les relations entre les deux pays sont limitées par rapport au potentiel qu'elles recèlent. Il les a ainsi décrites : « Avec le tout nouveau règne du cheikh Mishal, je pense qu'elles ont un plus grand potentiel si elles sont gérées avec une approche stratégique plutôt qu'avec un modèle commercial banal. »
Les relations turco-koweïtiennes pourraient atteindre le niveau d'un partenariat stratégique si elles dépassaient leurs limites traditionnelles et réalisaient leur potentiel. Une approche stratégique, englobant le soutien social, culturel et de la société civile, pourrait avoir des avantages à long terme. Avec les nouveaux dirigeants du Koweït, il est permis d'espérer que les efforts visant à améliorer les relations bilatérales se poursuivront.
- Sinem Cengiz est un analyste politique turc spécialisé dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. X : @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com