La Turquie cherche à mettre de l'ordre dans une région chaotique

Le président turc Tayyip Erdogan. (REUTERS)
Le président turc Tayyip Erdogan. (REUTERS)
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Publié le Samedi 31 août 2024

La Turquie cherche à mettre de l'ordre dans une région chaotique

La Turquie cherche à mettre de l'ordre dans une région chaotique
  • Le Moyen-Orient a toujours été un foyer d'instabilité, mais l'escalade des crises au cours des dernières années a mis en évidence la fragilité de l'ordre régional
  • À cet égard, la Turquie a dû adopter des mouvements réactifs et tactiques dans sa politique étrangère plutôt que des stratégies proactives. Son approche musclée antérieure a souvent placé Ankara en porte-à-faux avec les acteurs régionaux

La politique étrangère de chaque pays est façonnée par son environnement stratégique, son voisinage et sa perception de l'ordre régional. Cela n'est nulle part plus évident qu'au Moyen-Orient, une région marquée par les tensions politiques, les conflits armés et l'instabilité économique et sociale. Pour la Turquie, les défis régionaux en matière de sécurité sont particulièrement complexes, ce qui l'empêche de préserver ses intérêts.

Le Moyen-Orient a toujours été un foyer d'instabilité, mais l'escalade des crises au cours des dernières années a mis en évidence la fragilité de l'ordre régional. Cela a conduit la Turquie à envisager de nouvelles stratégies et de nouveaux outils pour faire face aux menaces émergentes au cas par cas et équilibrer ses aspirations avec les réalités d'une région turbulente.

À cet égard, la Turquie a dû adopter des mouvements réactifs et tactiques dans sa politique étrangère plutôt que des stratégies proactives. Son approche musclée antérieure a souvent placé Ankara en porte-à-faux avec les acteurs régionaux, créant des rivalités complexes de la Libye à la Syrie et à la Méditerranée orientale. Toutefois, à la suite de la désescalade dans la région, qui a également ouvert la voie à la normalisation des relations de la Turquie avec les acteurs régionaux, Ankara s'est détournée de l'engagement militaire pour s'appuyer sur la puissance douce afin de préserver ses relations et ses intérêts dans la région. Cette évolution a été influencée par des facteurs de politique intérieure, l'émergence d'un paysage régional multipolaire et l'intensification de la concurrence géopolitique.

La nouvelle politique de la Turquie a été clairement exposée par le président Recep Tayyip Erdogan : "Dans une période où notre région est constamment sur la brèche, établir de nouvelles équations en matière de politique étrangère n'est pas seulement un choix, mais une nécessité." Ankara semble travailler à l'élaboration d'un modèle régional dans lequel les alliances entre les États de la région devraient être construites contre les menaces, et non les unes contre les autres. Ce modèle régional n'exige d'aucun État qu'il soit "preneur de règles" ou "faiseur de règles", mais plutôt qu'il soit partenaire d'un nouvel ordre régional.

Son approche musclée passée a souvent placé Ankara en porte-à-faux avec les acteurs régionaux

- Sinem Cengiz

C'est dans cette optique que les responsables politiques turcs entreprennent une transformation significative de leur politique étrangère. Les défis à relever sont au nombre de cinq.

Premièrement, la Syrie. La politique étrangère turque au Moyen-Orient reste une arène profondément contestée dans laquelle la Turquie fait preuve à la fois de force et de vulnérabilité. La possibilité de normaliser les relations avec le régime syrien devrait constituer un changement majeur dans la politique étrangère de la Turquie. Toutefois, les progrès ont été lents et les récents commentaires du président syrien Bashar Assad suggèrent que les efforts pour rétablir les liens n'ont pas encore donné de résultats substantiels. Cette question reste une source de tension intérieure en Turquie.

Deuxièmement, la menace kurde. La principale préoccupation de la Turquie est que le désordre régional pourrait renforcer l'affirmation des Kurdes dans le nord de l'Irak et de la Syrie. Des groupes tels que le PKK et ses affiliés, y compris le YPG, représentent un défi important pour la sécurité nationale et les intérêts de la Turquie. L'escalade récente des affrontements entre ces groupes et les forces turques souligne l'inquiétude de la Turquie face à une augmentation potentielle des activités terroristes kurdes.

Troisièmement, la guerre de Gaza et les tensions israélo-iraniennes. L'implication indirecte de l'Iran dans l'instabilité régionale et le risque de conflit direct avec Israël ajoutent à la complexité de la situation. La guerre de Gaza pose des défis importants à tous les États de la région, et tous les efforts n'ont pas réussi à mettre fin à l'agression israélienne et à développer le concept de coopération régionale pour le sort du peuple palestinien.

Il faut admettre une réalité : l'avenir de la Turquie est inextricablement lié à celui du Moyen-Orient.

- Sinem Cengiz

Quatrièmement, les États fragiles et défaillants. Les problèmes de sécurité en Irak et la paralysie politique et économique du Liban contribuent à l'agitation régionale. En outre, l'instabilité en Syrie, au Yémen et au Soudan a non seulement infligé de graves souffrances humanitaires, mais a également contribué à une crise régionale plus large, affectant la sécurité alimentaire et hydrique de ceux qui vivent dans ces pays et au-delà. La Turquie aide ces pays à atteindre la stabilité, soit en tant que médiateur, soit en tant que fournisseur d'aide humanitaire.

Enfin, la menace pour les intérêts économiques. Pour la Turquie, l'un des moyens de contrer l'instabilité au Moyen-Orient est la collaboration régionale par le biais d'initiatives économiques. Par exemple, la participation de la Turquie à des projets ambitieux avec l'Irak, les Émirats arabes unis et le Qatar, comme l'initiative de plusieurs milliards de dollars visant à relier le port irakien de Bassorah à la Turquie, met en évidence ses tentatives d'améliorer la connectivité régionale et l'intégration économique. Cependant, le désordre régional continue de poser des obstacles importants à cette coopération et risque d'éclipser ces initiatives.

La Turquie se trouve dans une région difficile, affectée non seulement par les tensions géopolitiques mondiales, mais aussi par des niveaux accrus d'instabilité régionale. Le rôle et l'influence du pays sont limités par l'instabilité qui l'entoure, ce qui donne une image étrange de la politique étrangère actuelle d'Ankara. Nous ne pouvons pas prédire le type de Moyen-Orient auquel la Turquie sera confrontée dans les années à venir. Mais il faut admettre une réalité : l'avenir de la Turquie est inextricablement lié à celui du Moyen-Orient, même si sa capacité à façonner l'ordre régional reste limitée.

Sinem Cengiz est un analyste politique turc spécialisé dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient.

X : @SinemCngz

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com