La suggestion du président turc Recep Tayyip Erdoğan, la semaine dernière, selon laquelle "la prochaine cible d'Israël est la Turquie", marque un changement crucial dans la rhétorique à l'approche du premier anniversaire du début de la guerre à Gaza. Alors que la Turquie a toujours considéré que l'agression israélienne mettait en péril la paix régionale, le fait de la présenter comme une menace directe pour la Turquie elle-même constitue une évolution notable.
La position géopolitique de la Turquie la lie inévitablement au conflit de Gaza, en particulier à la lumière des réponses militaires de l'Iran aux actions israéliennes. Les déclarations turques reflètent non seulement des préoccupations pour la stabilité régionale, mais aussi pour les implications plus larges de la guerre, et les autorités turques ont arrêté et inculpé des dizaines de personnes soupçonnées d'avoir des liens avec le Mossad.
Le président du Parlement, Numan Kurtulmus, a exprimé des sentiments similaires à ceux d'Erdogan, et certains journalistes et décideurs politiques ont également souligné la menace israélienne qui pèse sur la Turquie. Le Grand Israël ou "terre promise" mentionné dans la Torah englobe tout ou partie du Liban, de la Syrie, de l'Irak, de l'Égypte, de la Jordanie, de l'Iran, du Koweït et de la Turquie. Cette menace perçue a été alimentée par un article controversé du Jerusalem Post faisant spécifiquement référence au Liban. L'article a été supprimé à la suite d'une vive réaction, mais il a déclenché des discussions animées sur les médias sociaux, les critiques accusant la publication de soutenir des idéologies expansionnistes sous des prétextes religieux. L'incident a amplifié les inquiétudes de la Turquie.
Néanmoins, il semble que les responsables politiques turcs envoient un message moins à Israël qu'aux États-Unis. En tant que membre de l'OTAN, il est peu probable que la Turquie soit une cible militaire directe pour Israël, mais le soutien inébranlable des États-Unis à Israël est une réelle préoccupation pour Ankara. Si la Turquie est restée prudente après l'attaque de missiles iraniens contre Israël la semaine dernière, elle s'est montrée particulièrement inquiète après la promesse du président Joe Biden selon laquelle les États-Unis aideraient Israël à se défendre contre d'autres attaques. Et bien que l'offensive israélienne au Liban n'ait pas été une surprise, son intensité a commencé à inquiéter Ankara.
En tant que membre de l'OTAN, il est peu probable que la Turquie soit une cible militaire directe pour Israël, mais le soutien inébranlable des États-Unis à Israël est une réelle préoccupation pour Ankara.
- Sinem Cengiz
L'engagement de la Turquie au Liban reflète une stratégie plus large au Moyen-Orient. Si l'on pense généralement que les actions de la Turquie au Liban visent à contrer l'influence iranienne, une autre motivation semble être de s'opposer directement à Israël. Depuis des décennies, la Turquie poursuit activement une politique étrangère multidimensionnelle au Liban, cherchant à renforcer son influence par le biais d'une aide humanitaire et d'une aide au développement, tout en soutenant l'intégrité territoriale du pays. Dans le cadre de la politique humanitaire de la Turquie, des centaines de citoyens libanais sont arrivés à Istanbul après avoir fui les frappes aériennes israéliennes.
Erdoğan a prévenu que les conséquences d'une opération terrestre au Liban seraient très différentes des précédentes occupations israéliennes, et a déclaré que la Turquie se tiendrait aux côtés du Liban et le soutiendrait par tous les moyens disponibles. Cette déclaration a fait naître l'espoir que la Turquie pourrait envisager d'envoyer des troupes, mais cela est peu probable.
Des soldats turcs sont déjà déployés au Liban dans le cadre de la force intérimaire des Nations unies, créée en 1978 lors du retrait d'Israël du Liban. Cette force de maintien de la paix est destinée à assurer la sécurité et à aider le gouvernement libanais à reconstruire son autorité. La force était censée créer un tampon, mais il est aujourd'hui prouvé qu'elle n'est pas suffisante. De plus, Israël n'a pas hésité à prendre pour cible le personnel de l'ONU, au mépris du droit international.
Toutefois, la présence de la Turquie au sein de la force de l'ONU pourrait dissuader les Israéliens d'entreprendre une action militaire à leur encontre. Si Israël intensifie ses opérations militaires au Liban, cela pourrait modifier considérablement l'équilibre des forces dans la région et compliquer davantage la dynamique du conflit. Il pourrait également attirer la Syrie et l'Iran. Bien que la Turquie ne soit pas un acteur clé et que ses investissements directs au Liban soient faibles, les responsables d'Ankara craignent qu'une guerre entre Israël et le Hezbollah ne déclenche une crise généralisée, affectant négativement les intérêts de la Turquie dans différents pays.
Si Israël intensifie ses opérations militaires au Liban, l'équilibre des forces dans la région pourrait s'en trouver considérablement modifié.
- Sinem Cengiz
La crainte que de nouvelles incursions israéliennes au Liban puissent avoir des ramifications étendues influence la stratégie géopolitique d'Ankara. Les responsables politiques s'inquiètent non seulement des conséquences immédiates pour le Liban, mais aussi de la possibilité d'un conflit plus large qui pourrait affecter les intérêts de la Turquie dans toute la région. Dans ce contexte, en se positionnant comme un défenseur de la souveraineté et de la stabilité du Liban, la Turquie vise à renforcer sa position régionale et à envoyer un message important aux États-Unis et aux autres alliés d'Israël afin d'empêcher une nouvelle escalade du conflit.
En fin de compte, bien qu'Ankara ait maintenu un ton diplomatique jusqu'à présent, une escalade significative de l'offensive israélienne au Liban pourrait changer la situation. La Turquie, compte tenu de ses responsabilités historiques, peut-elle contribuer à prévenir un nouveau conflit dans la région en maintenant simplement une présence, tout en assurant la sécurité de ses troupes et en évitant de s'impliquer directement dans la guerre ?
Sinem Cengiz est un analyste politique turc spécialisé dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient.
X : @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com