Turquie: Ses voisins comme nouveaux alliés dans sa politique régionale

Le président turc Erdogan (à droite) rencontre le président syrien Ahmed al-Charaa, au palais présidentiel d'Ankara. (AFP)
Le président turc Erdogan (à droite) rencontre le président syrien Ahmed al-Charaa, au palais présidentiel d'Ankara. (AFP)
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Publié le Lundi 10 février 2025

Turquie: Ses voisins comme nouveaux alliés dans sa politique régionale

Turquie: Ses voisins comme nouveaux alliés dans sa politique régionale
  • Les intérêts stratégiques de la Turquie, de l'Irak et de la Syrie sont étroitement liés dans la région qu'ils partagent
  • De nouveaux pactes de défense ou leur équivalent, assortis d'un meilleur partage des technologies et des renseignements, pourraient permettre de mettre en place un cadre de sécurité plus intégré

Lors de la visite du président de la République arabe syrienne Ahmad al-Charaa à Ankara la semaine dernière, des informations selon lesquelles la Turquie et la Syrie envisageaient un pacte de défense commun, comprenant l'établissement de bases aériennes turques dans le centre de la Syrie et l'entraînement de la nouvelle armée syrienne, ont circulé. Toutefois, les responsables turcs ont déclaré aux médias qu'il était trop tôt pour parler d'un pacte sur les bases militaires. Dans le même temps, ils n'ont pas démenti les informations concernant le soutien de la Turquie à l'amélioration des capacités de l'armée syrienne. C'est la première fois que des éléments d'un accord de défense stratégique avec Damas sont révélés.

Pendant de nombreuses années, la Turquie a apporté un soutien politique et militaire aux forces syriennes qui luttent contre le régime et d'autres éléments dans ce pays ravagé par la guerre. Toutefois, la signature d'un pacte visant à former la nouvelle armée syrienne constituerait un pas en avant. Un pacte similaire, sous la forme d'un protocole d'accord, a été signé l'année dernière entre la Turquie et un autre de ses voisins, l'Irak.

En avril dernier, Ankara et Bagdad se sont mis d'accord sur un large éventail de domaines de coopération, tels que la formation militaire. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que l'accord visait à renforcer les capacités des forces de sécurité irakiennes, à maintenir le dialogue dans la lutte contre les menaces communes et à contribuer à la sécurité régionale. Cet accord est le fruit des efforts diplomatiques déployés par la Turquie en Irak après de nombreuses années de tension dans leurs relations.

Ces efforts ont porté leurs fruits, puisque le Conseil national de sécurité irakien a pris des mesures importantes en interdisant les activités du PKK, que la Turquie désigne comme une organisation terroriste et considère comme une menace pour la sécurité de l'Irak. Al-Charaa a également promis que son gouvernement empêcherait le PKK et le YPG d'utiliser la Syrie comme base d'opérations contre la Turquie.

Le PKK et ses ramifications en Irak et en Syrie sont depuis longtemps un sujet de discorde dans les relations de la Turquie avec ses voisins. Pour des raisons à la fois nationales et bilatérales, cette question a rarement fait l'objet d'une coopération. Au contraire, elle a souvent été utilisée comme un outil par les gouvernements qui cherchaient à défier Ankara, comme le régime déchu d'Assad.

Dans le passé, les relations turco-irakiennes étaient particulièrement tendues en raison des opérations militaires menées par les troupes turques dans le nord de l'Irak contre le PKK. La présence de troupes turques dans le camp de Bashiqa, établi en 2015 près de la ville de Mossoul, dans le nord de l'Irak, a été un facteur important. Toutefois, le nouvel accord prévoit la création d'un centre conjoint de formation et de coopération à Bashiqa, dont la responsabilité incombera aux forces armées irakiennes.

En réalité, Ankara s'attache à conclure des pactes de défense avec la Syrie et l'Irak, principalement en raison des inquiétudes suscitées par le terrorisme lié au PKK et à ses ramifications. Le fait de s'aligner sur Damas et Bagdad sur cette question procure à la Turquie un sentiment de soulagement, tout en suscitant des attentes quant au démantèlement du groupe terroriste.

Les accords de défense débouchent souvent sur une coopération économique, car les pays signataires de tels pactes ont tendance à collaborer à des initiatives de partage des ressources.

-Sinem Cengiz

La Turquie ne peut pas changer ses voisins, mais elle a la capacité de façonner ses relations avec eux. L'histoire montre que le premier rapprochement d'Ankara avec le Moyen-Orient était davantage motivé par les besoins de la realpolitik (la sécurisation des frontières turques) que par un intérêt plus profond à s'allier avec les États de la région. Le pacte de Saadabad, un accord de défense signé en 1937 entre la Turquie, l'Irak, l'Iran et l'Afghanistan, en est un exemple. Il s'agit de l'une des premières tentatives de création d'un cadre de sécurité régionale au Moyen-Orient, reflétant le désir de ces pays de coopérer à une époque de grande instabilité. Bien qu'il n'ait pas duré longtemps en raison des événements de la Seconde Guerre mondiale, le pacte a marqué un moment important dans la diplomatie régionale, en particulier pour la Turquie et ses voisins.

Le pacte de Bagdad, signé en 1955, est un autre accord de défense important auquel la Turquie a participé et qui visait à contrer l'influence soviétique pendant la guerre froide. Après le retrait de l'Irak en 1958, le pacte a été rebaptisé Organisation du traité central et son siège a été transféré à Ankara. Cependant, cette alliance s'est également progressivement dissoute. Ces exemples montrent que les pactes régionaux ont toujours rassemblé des pays voisins en réponse à des menaces communes.

Si le protocole d'accord signé avec l'Irak et le protocole potentiel avec la Syrie ne sont pas du même niveau que ces pactes historiques, ils reflètent les efforts en cours pour rassembler les pays de la région dans un cadre de sécurité. C'est également ce qui ressort des projets d'Ankara de collaborer avec la Syrie, l'Irak et la Jordanie pour combattre les vestiges de Daech. Une telle démarche pourrait permettre aux États-Unis de se distancier des éléments du YPG qu'ils soutiennent actuellement en Syrie. Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a déclaré: «La Turquie, l'Irak, la Syrie et la Jordanie doivent s'unir pour combattre Daech. Nous sommes capables de le faire et, si Dieu le veut, c'est l'étape que nos quatre pays entreprendront dans un avenir proche. Nous avons déjà tenu des pourparlers préliminaires à cette fin.»

Un dernier point à souligner est que les accords de défense conduisent souvent à une coopération économique, car les pays signataires de ces pactes ont tendance à collaborer à des initiatives de partage des ressources. La Turquie, l'Irak et la Syrie partagent d'importants bassins fluviaux transfrontaliers, ce qui fait de l'eau un sujet de préoccupation majeur entre eux. Toutefois, l'accord de défense signé avec l'Irak a également ouvert la voie à un accord stratégique sur l'eau avec la Turquie, d'une valeur de plusieurs milliards de dollars. Un accord similaire pourrait être adopté avec la Syrie, transformant l'eau d'un point de discorde en un domaine de coopération, en particulier dans une situation où les trois pays travaillent ensemble pour faire face aux menaces à la sécurité.

Les intérêts stratégiques de la Turquie, de l'Irak et de la Syrie sont étroitement liés dans la région qu'ils partagent. De nouveaux pactes de défense ou leur équivalent, assortis d'un meilleur partage des technologies et des renseignements, pourraient permettre de mettre en place un cadre de sécurité plus intégré et plus résistant pour la région.

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. 

X: @SinemCngz

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
 
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com