Une annus horribilis pour Israël et la Palestine

Illustration pour Arab News par Alex Green (Photo, Fournie).
Illustration pour Arab News par Alex Green (Photo, Fournie).
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Publié le Mardi 02 janvier 2024

Une annus horribilis pour Israël et la Palestine

Une annus horribilis pour Israël et la Palestine
  • Il serait insensé de ne pas lier la formation du sixième gouvernement de Netanyahou à la guerre qu’Israël mène actuellement contre le Hamas à Gaza
  • Le Premier ministre est prêt à sacrifier la démocratie libérale d’Israël, l’unité du pays et sa préparation militaire, dans le but de faire dérailler son procès pour corruption

En Israël ou en Palestine, tous attendent impatiemment la fin de 2023 ou espèrent que la nouvelle année augurera d’un avenir bien meilleur. Peut-on leur en vouloir? Tout le monde aimerait oublier cette année et, même si personne n’y est encore parvenu, elle devrait constituer un tournant décisif pour mettre définitivement fin à ce qui a provoqué les crises intérieures actuelles dans les deux sociétés et l’horrible guerre à Gaza. 

Cette année, qui a commencé avec la formation du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, se termine par la pire effusion de sang et de destruction jamais vue entre Israéliens et Palestiniens. Le monde se demande si l’un des conflits les plus prolongés de l’après-Seconde Guerre mondiale perdurera, continuera à infliger mort et misère et restera une source d’instabilité régionale et internationale, voire de violence.

À la fin de cette annus horribilis, il sera impossible de dissocier la situation au sein des deux systèmes politiques de la manière dont cela a pratiquement détruit les relations entre eux. Un facteur notable est la présence de dirigeants qui non seulement ont dépassé le délai qui leur était imparti mais qui, en s’accrochant au pouvoir, sont également devenus les principaux instigateurs de la situation affligeante d’aujourd’hui.

Lorsque les résultats des élections générales de novembre dernier en Israël sont annoncés, la sinistre sentence tombe: Israël est sur le point d’être dirigé par le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays. La situation aurait pu être différente sans l’approche peu scrupuleuse adoptée par Benjamin Netanyahou. Il a travaillé sans relâche pendant la période précédant les élections, non seulement pour s’assurer que son propre parti, le Likoud, réussisse, mais il a aussi cyniquement légitimé et encouragé le soutien au parti messianique d’extrême droite, le sionisme religieux.

Il voulait être sûr d’être en mesure de former une coalition au pouvoir, puisque tous les autres partis, sionistes et palestiniens, avaient refusé par avance de rejoindre un gouvernement dirigé par une personne inculpée dans trois affaires de corruption – pour fraude, pots-de-vin et abus de confiance – qui sont toujours débattues devant le tribunal. Le résultat des élections générales a laissé la voie libre à la formation du gouvernement le plus à l’extrême droite et le plus corrompu de l’histoire du pays mais aussi le plus incompétent.

Dès le début, la formation d’un gouvernement comprenant des membres antidémocratiques et racistes, sans parler des criminels condamnés, n’a laissé aux Israéliens les plus modérés qu’un seul espoir: que cela ne dure pas longtemps. Il est en réalité stupéfiant de constater que, malgré les faibles attentes, ce gouvernement a quand même réussi à surpasser les pires craintes de la population, depuis son attaque contre le système libéral démocratique israélien jusqu’à l’accroissement des frictions avec les Palestiniens en Cisjordanie. Ensuite, il y a eu son incapacité désastreuse à prévoir ou à empêcher l’attaque terroriste meurtrière du Hamas du 7 octobre dernier et son comportement dans la guerre qui a suivi, notamment en se fixant des objectifs qui seront probablement impossibles à atteindre et qui ont déjà terni la réputation du pays.

Il serait insensé de ne pas lier la formation du sixième gouvernement de Netanyahou à la guerre qu’Israël mène actuellement contre le Hamas à Gaza. Le Premier ministre est prêt à sacrifier non seulement la démocratie libérale d’Israël mais aussi l’unité du pays et sa préparation militaire, tout cela dans le but de faire dérailler son procès pour corruption, qui est devenu sa priorité absolue, sinon la seule. Pour lui, rester au pouvoir est le seul salut contre une éventuelle condamnation et une peine de prison et, pour y parvenir, il estime nécessaire de soumettre le pouvoir judiciaire à la volonté des politiciens, et non à la loi, tout en détruisant l’indépendance de la Cour suprême.

«La stratégie de “diviser pour mieux régner” de Netanyahou à l’égard du Hamas et de l’Autorité palestinienne s’est retournée contre lui de la manière la plus épouvantable possible.» Yossi Mekelberg 

Si l’un des aspects de son administration controversée est la compromission du système démocratique, l’autre consiste à confier des ministères clés à des agitateurs bien connus des partis Sionisme religieux et Otzma Yehudit. La nomination la plus célèbre est sans doute celle d’Itamar Ben-Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale. Il s’agit d’un homme condamné à plusieurs reprises pour incitation au racisme, entrave à un policier dans l’exercice de ses fonctions et soutien à une organisation terroriste. Ben-Gvir ne dispose pas non plus des compétences nécessaires pour diriger un ministère, sans parler d’un ministère aussi complexe que celui de la Sécurité nationale.

Il s’agit d’un gouvernement dysfonctionnel par sa conception, qui donne la priorité à l’allocation des ressources pour assurer la santé de la coalition et non celle du pays. Pire encore, cela a détourné l’attention du danger croissant du Hamas à Gaza. Netanyahou a alimenté le Hamas avec de l’argent tout en affaiblissant l’Autorité palestinienne dans sa volonté de faire dérailler toute chance de mise en place d’une solution à deux États. Le Hamas préparait son attaque terroriste tandis que le gouvernement de Netanyahou faisait voler en éclats sa propre société.

Il est trop tôt pour évaluer l’incidence totale des attaques inexcusables du Hamas contre les villes et les kibboutzim frontaliers de Gaza, qui ont tué environ 1 200 personnes et entraîné la prise d’environ 240 otages. La riposte militaire israélienne était totalement disproportionnée et d’une violence sans précédent. Elle a non seulement coûté la vie à de nombreux militants du Hamas mais aussi à plusieurs milliers de civils innocents – hommes, femmes et enfants – semant d’immenses destructions et un désastre humanitaire jamais vu dans ce petit territoire.

L’explosion du conflit israélo-palestinien dans son ensemble n’était guère surprenante et, en Cisjordanie, les violents affrontements entre les forces de sécurité israéliennes et les groupes armés nouvellement apparus surviennent désormais sur une base quotidienne et ont déjà coûté la vie à des centaines de Palestiniens. Les attaques contre les Israéliens se multiplient et la violence des colons a augmenté de façon considérable, tandis que les colonies s’étendent et que les tensions autour des lieux saints d’Al-Haram al-Charif sont devenues une source constante de conflit avant même le 7 octobre. La réponse s’avère l’occasion de prolonger et d’aggraver le conflit au lieu de le désamorcer et de le régler.

Cependant, c’est l’attaque du 7 octobre et la guerre qui a suivi qui dicteront une grande partie des relations entre Israéliens et Palestiniens – ainsi qu’avec la région – dans un avenir proche. Si, à la veille de cette dernière guerre à Gaza, la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël était une perspective réelle, elle est pour l’instant mise de côté, alors que les tensions dans les relations de Tel-Aviv avec l’Égypte et la Jordanie se font sentir à mesure que la guerre s’éternise et que le nombre de morts dans les rangs des Palestiniens continue de croître.

Une grande partie du monde a été manifestement choquée par les atrocités commises par le Hamas en octobre. Les États-Unis et l’Europe ont très vite fait part de leur soutien à Israël de toutes les manières possibles, mais cela a été mal interprété par le gouvernement israélien qui a considéré qu’il pouvait utiliser la force militaire sans discernement contre les militants et les civils à Gaza. Ainsi, les critiques se multiplient à l’égard des méthodes auxquelles Israël a recours.

Alors que l’année touche à sa fin, les Israéliens et les Palestiniens, ainsi que tous ceux qui aspirent à un règlement du conflit et/ou sont affectés par ce dernier, doivent comprendre que le laisser s’envenimer davantage entraînera des effusions de sang et des atrocités plus graves encore, menaçant la stabilité régionale. Le conflit est également dangereusement entré dans le discours politique national de pays au-delà de la région. La stratégie de «diviser pour mieux régner» de Netanyahou à l’égard du Hamas et de l’Autorité palestinienne s’est retournée contre lui de la manière la plus épouvantable possible. Faire barrage à une solution à deux États en affaiblissant l’Autorité palestinienne et en renforçant le Hamas est l’une des erreurs stratégiques les plus colossales qu’un dirigeant ait pu commettre et a par ailleurs entraîné des conséquences désastreuses. 

Le Premier ministre israélien devrait indéniablement renoncer à faire de la politique – et le plus tôt serait le mieux. Il devra ensuite faire face à son procès pour corruption en tant que citoyen ordinaire, tandis que son parti serait renvoyé sur les bancs de l’opposition. Cependant, il appartient également aux Palestiniens de rechercher d’autres dirigeants que ceux, actuels, qui les ont laissés tomber pendant si longtemps, et d’en voir émerger de nouveaux qui seront finalement capables d’unir la Cisjordanie et Gaza en un seul organe directeur. Idéalement, ils pourront alors tenir des pourparlers avec un nouveau gouvernement israélien qui a pour vision de mettre fin à l’occupation et d’entretenir des relations pacifiques avec les Palestiniens sur un pied d’égalité dans tous les sens du terme.

Les Israéliens et les Palestiniens méritent un avenir bien meilleur que ce qu’ils ont enduré au cours de cette horrible année.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne. 

X: @YMekelberg      

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com