LONDRES: Alors que les combats font rage à Gaza entre Israël et le Hamas, les autorités israéliennes mènent des raids en Cisjordanie occupée que la population palestinienne considère comme une «punition collective».
Au moins 278 Palestiniens, dont 70 enfants, ont été tués au cours de ces raids depuis le 7 octobre, selon les chiffres de l'ONU, et plus de 4 520 ont été arrêtés, selon les groupes locaux de défense des droits des prisonniers.
Loin d'éliminer la menace potentielle pour la sécurité émanant de la Cisjordanie, les experts estiment qu'Israël pourrait en fait susciter les hostilités et, par conséquent, renforcer la popularité du Hamas au sein de la population palestinienne.
Les actions d'Israël en Cisjordanie sont susceptibles «d'avoir un effet négatif sur Israël; il est très peu probable qu'elles améliorent la sécurité des Israéliens», a déclaré à Arab News, Tahani Mustafa, analyste principale de la Palestine à l'International Crisis Group.
«Je ne peux pas dire nécessairement si le gouvernement israélien réussit, étant donné les récents sondages d'opinion où nous avons vu, de toute évidence, une augmentation du soutien au Hamas et à la résistance armée», a-t-elle signalé.
Un sondage d'opinion réalisé par le Palestinian Center for Policy and Survey Research entre le 22 novembre et le 2 décembre a révélé que «le soutien au Hamas a plus que triplé en Cisjordanie par rapport à ce qu'il était il y a trois mois».
Bien que le sondage montre que la majorité des habitants de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ne soutiennent pas le Hamas, il révèle que l'escalade de la violence en Cisjordanie «se retournera contre Israël», a estimé Mustafa.
Et même si «seul le temps nous dira» quels seront les effets négatifs, cela pourrait «pousser les Palestiniens à vouloir poursuivre la résistance armée», car l'escalade d'Israël «a rendu les éléments plus radicaux comme le Hamas beaucoup plus populaires qu'ils ne l'étaient avant le 7 octobre», a-t-elle ajouté.
Les militants du Hamas, qui contrôlent la bande de Gaza depuis 2007, ont lancé une attaque sans précédent sur le sud d'Israël le 7 octobre, tuant jusqu'à 1 400 personnes et prenant en otage quelque 240 personnes, dont de nombreux ressortissants étrangers.
Israël a réagi à l'attaque en organisant un bombardement aérien massif et une offensive terrestre dans la bande de Gaza, dans le but déclaré de sauver les otages et d'éliminer la menace du Hamas.
Cependant, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont tué plus de 19 600 personnes, selon le ministère de la Santé de Gaza dirigé par le Hamas, causé d'immenses dégâts aux infrastructures civiles, déplacé près de 2 millions de personnes, et même abattu des otages par erreur.
Cette nouvelle flambée de violence dans le conflit qui oppose depuis des décennies Israéliens et Palestiniens ne s'est pas limitée à la seule bande de Gaza. La Cisjordanie, théoriquement contrôlée par l'Autorité palestinienne, a également connu une multiplication de la violence et du harcèlement.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) a publié le 15 décembre un rapport décrivant quelques-uns des actes de violence perpétrés par les troupes israéliennes et les colons juifs à l'encontre des Palestiniens depuis le 7 octobre.
«2023 est déjà l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie depuis que l'Ocha a commencé à enregistrer les victimes en 2005», a indiqué l'agence.
Lors d'un incident survenu le 8 décembre, des soldats israéliens ont été filmés en train d'abattre deux Palestiniens dans le camp de réfugiés d'Al Faraa, dans le nord de la Cisjordanie. L'association israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem a publié les images en ligne, accusant l'armée de procéder à des «exécutions illégales».
En réponse, les autorités israéliennes ont déclaré qu'elles ouvriraient une enquête de la police militaire sur les fusillades «parce qu'elles soupçonnent qu'au cours de l'incident, des coups de feu ont été tirés de manière non conforme à la loi».
Bien qu'Israël affirme que ses raids ne visent que le Hamas et ses partisans, les observateurs des droits de l'homme affirment que de nombreux innocents sont pris dans les arrestations massives ou sont tués ou blessés dans les tirs croisés.
La majorité des personnes visées par la violence israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est «ne sont ni le Hamas ni le Jihad islamique», a affirmé Mustafa. «La majorité des personnes visées sont des membres du Fatah.»
Le Fatah, anciennement Mouvement national de libération de la Palestine, est le parti dominant de l'Autorité palestinienne, l'organe directeur qui gouverne la Cisjordanie depuis sa création dans le cadre des accords d'Oslo des années 1990.
Malgré la position officielle d'Israël, qui affirme qu'il essaye simplement d'éliminer les menaces terroristes potentielles, Mustafa estime que la vague de violence en Cisjordanie et à Jérusalem-Est «va bien au-delà d'un objectif militaire».
Amnesty International a déclaré dans un communiqué en novembre qu'il y avait eu un pic dans l'utilisation de la détention dite administrative en Cisjordanie par Israël – une évolution qui avait déjà atteint son plus haut niveau depuis vingt ans avant le 7 octobre.
L'Observatoire des droits de l'homme définit cette mesure comme «une forme de détention dans laquelle des personnes sont détenues par les autorités de l'État pour des raisons de sécurité secrètes que l’accusé et son avocat ne peuvent pas examiner».
Les Palestiniens sont soumis à la détention administrative depuis 1945, d'abord sous le mandat britannique, puis sous l’occupation israélienne.
Les détenus administratifs sont entendus par un tribunal militaire, devant un juge militaire israélien, mais l'État n'est pas tenu de divulguer ses preuves aux détenus ou à leurs avocats.
Les détenus peuvent alors être condamnés à une peine de prison pouvant aller jusqu'à six mois. Mais ces six mois peuvent être prolongés indéfiniment par le tribunal militaire, ce qui signifie que les détenus administratifs n'ont à aucun moment une idée réelle de la durée de leur emprisonnement.
Le 15 décembre, Israël a arrêté 16 citoyens de Jéricho, Jérusalem, Hébron, Tulkarem, Bethléem et Ramallah. Trois jours plus tôt, 51 citoyens, dont d'anciens détenus, avaient été arrêtés lors de raids israéliens dans la ville de Jénine et le village de Silwad à Ramallah.
Dans un communiqué du 16 décembre, la Commission des affaires des détenus et le Club des prisonniers palestiniens ont déclaré que l'armée israélienne avait arrêté des personnes chez elles et aux points de contrôle, tandis que d'autres «s'étaient rendues sous la menace et étaient retenues en otage».
Mustafa a précisé que les récentes actions d'Israël sont «à bien des égards, destinées à être une frappe préventive de la part d'Israël, pour s'assurer que les Palestiniens sont bien conscients qu'ils ne peuvent, par aucun moyen, repousser ce qui s'est transformé en une occupation de plus en plus violente».
Selon elle, ce que font les Israéliens en Cisjordanie «est très psychologique; cela vise le psychisme des Palestiniens», dans le but «d'apprendre aux Palestiniens – pas seulement au Hamas, mais aux Palestiniens en général – une leçon très dure».
Elle a ajouté: «Les israéliens ne visent pas des segments spécifiques, des militants ou des cibles militaires ici (en Cisjordanie)... ils terrorisent littéralement les populations civiles palestiniennes.»
Dans ce qu'elles ont décrit dans un communiqué jeudi comme «une vaste opération de soixante heures dans le camp de réfugiés de Jénine et dans la ville de Jénine», les forces israéliennes auraient détruit une grande partie de l'infrastructure civile de la région, tué au moins 12 Palestiniens et blessé 34 autres, selon le ministère palestinien de la Santé.
Au cours de l'opération, qui a débuté le 15 décembre, plus de 100 civils ont été arrêtés, notamment des travailleurs médicaux, selon le Club des prisonniers palestiniens, un groupe local de défense des droits.
«Israël agit en toute impunité et le fait savoir très clairement», a déclaré Mustafa, soulignant qu'il s'agit d'un «message très clair qu'Israël envoie ici, à savoir que les Palestiniens ne sont en sécurité nulle part».
Elle a également souligné que «l'augmentation de la violence des colons» à l'encontre des Palestiniens en Cisjordanie, expliquant que cette violence a été «encouragée par les lois d'exception qui ont été mises en place».
Au début de l'année, le Parlement israélien a adopté un projet de loi visant à étendre ses «règlementations d’exception» à la Cisjordanie.
Le projet de loi garantit l'application de deux systèmes de lois dans le territoire palestinien occupé, accordant aux colons juifs illégaux les droits des citoyens israéliens tout en imposant un système de tribunaux militaires aux résidents non juifs.
EN CHIFFRES
- 4 520 Palestiniens arrêtés en Cisjordanie depuis le 7 octobre.
- 150 femmes arrêtées au total.
- 255 enfants détenus par Israël.
- 1 000 arrestations dans la seule ville d'Hébron.
- 278 personnes tuées en Cisjordanie depuis le 7 octobre.
Mustafa a mentionné que les actions d'Israël impliquent pour les Palestiniens «que les colons israéliens peuvent leur faire tout ce qu'ils veulent, et que la communauté internationale ne fera rien pour les en empêcher. Il est très clair qu'en fin de compte, ils sont soumis aux caprices de leurs chefs suprêmes, soit Israël».
Les organismes internationaux de défense des droits de l'homme, dont Amnesty International, s'accordent à dire que l'établissement de colonies civiles israéliennes dans le territoire palestinien occupé et le déplacement des populations locales violent les principes fondamentaux du droit humanitaire international.
L'article 49 de la quatrième convention de Genève interdit la déportation ou le transfert de la population civile d'un pays occupant dans le territoire qu'il occupe.
Le même article interdit également les «transferts forcés individuels ou massifs, ainsi que les déportations de personnes protégées hors des territoires occupés».
Les Palestiniens sont «profondément traumatisés» et ne disposent d'aucune voie de recours ou de représentation, même par l'intermédiaire de l'Administration palestinienne, a clarifié Mustafa.
«En fin de compte, ce sont les Palestiniens qui vont payer le prix. Nous les avons vus payer le prix. Ils ont des moyens très limités pour riposter pour l'instant, mais, comme je l'ai dit, cette riposte se fera progressivement au fil du temps», a-t-elle prévenu.
Interrogée sur les attaques de colons, l'armée israélienne répond généralement qu'elle cherche à désamorcer le conflit et que les troupes «sont tenues d'agir» si des citoyens israéliens enfreignent la loi. Elle répond rarement aux demandes de commentaires sur des incidents spécifiques.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com