Plusieurs mois se sont écoulés depuis la reprise des relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran – un accord négocié par la Chine – et les développements qui ont suivi, notamment la réouverture des missions diplomatiques, les échanges de visites et les réunions entre les responsables des deux pays. La dernière visite en date est celle du président iranien, Ebrahim Raïssi, qui a participé, ce mois-ci, au sommet arabo-islamique conjoint extraordinaire à Riyad et a rencontré le prince héritier, Mohammed ben Salmane.
Sur le plan diplomatique, une atmosphère positive a d’abord prévalu. Cependant, même si l’Arabie saoudite a tenu ses promesses dans le cadre de l’accord, il n’en demeure pas moins que l’Iran reste à la traîne en termes de respect de ses engagements, alors que les campagnes médiatiques trompeuses se poursuivent sans relâche. Les voix rationnelles et modérées en Iran demeurent presque inaudibles.
Seyed Hadi Borhani, professeur spécialisé en études palestiniennes à l’université de Téhéran, fait partie des rares voix rationnelles et pondérées en Iran. Malgré l’opposition potentielle de certains milieux à ses opinions, sa profonde compréhension de l’Histoire du conflit israélo-arabe et du contexte régional plus large lui permet de présenter des perspectives rarement mises en avant dans la sphère politique iranienne.
Dans ses articles les plus récents, M. Borhani soutient que les mesures prises par le gouvernement de son pays pour l’amélioration des relations avec les pays arabes, notamment l’Arabie saoudite, sont bonnes, mais insuffisantes. Il affirme que l’amélioration des relations s’accompagne d’exigences qui pourraient entraver le progrès souhaité si elles sont négligées. Les relations pourraient même s’effondrer à nouveau. Parmi ces exigences figure la nécessité de se concentrer sur les causes fondamentales des problèmes entre l’Iran et les pays arabes.
M. Borhani appelle l’Arabie saoudite et l’Iran à entamer un dialogue authentique, sérieux, transparent et responsable - Dr Mohammed al-Sulami
Seyed Hadi Borhani fait également valoir que la manière dont la question palestinienne est abordée est source de discorde entre les deux parties, reconnaissant que l’image dressée des relations entre les Arabes et Israël est déformée. Les gouvernements arabes, en général, sont décrits comme des marionnettes aux mains des puissances étrangères, traîtres, sionistes ou d’origine juive; au mieux, ils sont qualifiés d’«inefficaces» et manquant de la ferveur requise pour défendre la communauté. Il estime que ce tableau a été brossé en Iran en raison de plusieurs facteurs, parmi lesquels figurent, en tête de liste, l’inimitié envers les Arabes, l’ultranationalisme et la propagande israélienne.
J’admets que cette vision pessimiste des nations arabes ne tient pas compte du conflit israélo-arabe et des faits historiques qui y sont associés, ou découle du moins de récits établis tronqués. Le fait est que les parties qui ont tenu tête à Israël et en ont payé le prix dès le début – et continuent de le faire d’ailleurs – sont les nations arabes.
Dans un article, M. Borhani montre que les idéologies nationalistes constituent un frein à l’amélioration des relations. Il déclare qu’il existe une sorte d’ultranationalisme en Iran, qui nourrit une profonde animosité envers les Arabes et s’oppose particulièrement à l’Arabie saoudite. Selon cette vision nationaliste, les ethnies arabes et iraniennes sont diamétralement et substantiellement différentes. De ce point de vue, l’Histoire des deux nations représente un affrontement entre le bien et le mal. Par conséquent, les Iraniens ont raison dans tous les différends entre les deux parties.
Dans le cadre de sa spécialisation dans les études palestiniennes, Seyed Hadi Borhani a rédigé un long article énumérant les positions louables prises par feu le roi Faisal envers la cause palestinienne. Il écrit: «Sur la base des documents que j’ai consultés, je ne pense pas qu’il y ait eu, à travers l’Histoire, un autre responsable qui, dans ses entretiens avec les partenaires étrangers, se soit concentré sur la cause palestinienne, comme le roi Faisal.» Il évoque la popularité du défunt roi et l’amour que lui vouaient la plupart des nations musulmanes – à l’exclusion de l’Iran. Il reconnaît également que le rôle et la position du roi Faisal sont délibérément ignorés et dissimulés, ainsi que ses contributions, aux Iraniens.
Le professeur iranien estime également que le plus grand obstacle à la reconnaissance de l’ampleur du rôle du roi Faisal dans la lutte contre Israël réside dans les idées préconçues et les stéréotypes liés à l’Arabie saoudite et à sa famille royale. Dans l’esprit de nombreux Iraniens, un roi saoudien, appartenant à la dynastie des Saoud, est forcément un ami des États-Unis et ne peut donc se positionner en tant que défenseur de la cause palestinienne.
La dernière agression israélienne contre Gaza a mis en lumière ce que dissimulaient les médias iraniens - Dr Mohammed al-Sulami
M. Borhani est l’une des personnalités qui ont appelé, avant même l’accord négocié par Pékin, à ce que l’Iran et l’Arabie saoudite respectent chacun les intérêts de l’autre dans la région. Il les a par ailleurs incités à rechercher une situation bénéfique pour les deux pays. Seyed Hadi Borhani réitère que l’Arabie saoudite ne peut pas expulser l’Iran de la région. De même, Téhéran ne peut pas imposer ses diktats à Riyad. Il appelle donc les deux pays à entamer un dialogue authentique, sérieux, transparent et responsable pour résoudre les crises de la région, notamment la guerre au Yémen.
Concernant les récentes discussions sur l’éventuelle normalisation des relations entre le Royaume et Israël, il estime que l’engagement de l’Arabie saoudite en faveur de cette option découle de l’incertitude de Riyad quant au respect des accords par Téhéran. M. Borhani soutient que la coopération de l’Arabie saoudite avec l’Iran lui prouverait que les accords seront respectés et renforcerait ainsi sa confiance dans l’avenir des relations saoudo-iraniennes, encourageant l’Arabie saoudite à s’éloigner d’Israël. Il affirme que l’Iran doit établir les bases nécessaires pour y parvenir grâce à un dialogue constructif avec les responsables saoudiens. L’universitaire note également que Téhéran devrait tenir compte des facteurs à l’origine des problèmes dans les relations entre les deux parties et modifier son approche à l’égard de l’Arabie saoudite.
Lorsque les observateurs des médias iraniens verront ces positions justes et rationnelles, rarement mises en avant dans le paysage politique national, ils oseront espérer un avenir meilleur pour les relations entre Riyad et Téhéran. Cependant, la réalité sur le terrain est bien différente de cette vision.
La dernière agression israélienne contre Gaza a mis en lumière ce que les médias iraniens dissimulaient ces derniers mois. Ces événements ont servi de prétexte aux médias affiliés au Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), comme Vatan-e Emrooz, pour reprendre leurs attaques contre les pays arabes et islamiques, notamment l’Arabie saoudite, en multipliant les accusations.
En outre, des responsables ont attaqué l’Arabie saoudite. Mahmoud Abbaszadeh Meshkini, membre de la Commission de la politique étrangère et de la sécurité nationale du Parlement iranien et directeur des affaires politiques du ministère des Affaires étrangères sous l’ancien président, Mahmoud Ahmadinejad, a soumis une demande à l’organe présidentiel du Parlement pour interroger le ministre des Affaires étrangères. Le prétexte était que le ministère avait fait preuve de complaisance dans ses relations avec l’Arabie saoudite et dans la satisfaction de ses exigences. Même s’il est peu probable que cette demande soit approuvée pour le moment, à plusieurs titres, elle indique que la bataille des voix de la raison en Iran n’est pas gagnée d’avance.
Pour garantir le succès de l’accord saoudo-iranien, malgré tous les doutes qui l’entourent, il est nécessaire d’y adhérer, notamment au niveau médiatique, et de mettre un terme au discours révolutionnaire dirigé contre le Royaume, comme ce fut le cas au cours des trois premiers mois qui ont suivi la signature de l'accord.
Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com