La situation qui prévaudra après la fin de la guerre contre Gaza est plus importante que l’opération «déluge d’Al-Aqsa». Quelle sera la situation concernant le présent et l’avenir de Gaza, de la Cisjordanie, d’Israël et de la région?
La riposte au déluge d’Al-Aqsa par une nouvelle Nakba ne fera qu’alimenter l’instabilité. En revanche, la solution à deux États rendra le dossier palestinien à son peuple et permettra au Moyen-Orient malade de reprendre son souffle.
Il est rapidement devenu évident que l’opération déluge d’Al-Aqsa du Hamas, menée le 7 octobre, était une déclaration de guerre, et pas seulement une opération militaire de grande envergure. Cela a été confirmé par les premières informations provenant de la scène du crime et par le nombre de victimes et d’otages.
ll était certain que l’attaque était plus vaste et plus dangereuse que toutes les confrontations qui ont eu lieu entre Israël et le Hamas au cours des deux dernières décennies. On s’attendait à ce qu’Israël réplique à la guerre par une guerre, d’autant plus que le premier coup avait révélé les lacunes du pays en matière de sécurité et la lenteur de la réaction de son armée.
Quelques heures après le lancement de l’attaque, je me suis souvenu des propos tenus il y a des années par un homme qui opérait le long de la route Beyrouth-Téhéran, qui passe par Damas. Nous avions l’habitude de parler de la nécessité de rétablir la stabilité au Liban et dans la région. Il prédisait que le Moyen-Orient allait connaître de plus grands conflits.
Lorsque je lui ai demandé plus d’informations, il m’a répondu qu’un journaliste devait toujours garder à l’esprit qu’une confrontation avec Israël serait toujours possible et qu’Israël se réveillerait un jour pour subir un coup dur. Je lui ai demandé quel serait ce coup dur et il m’a répondu qu’il pourrait s’agir de salves de missiles tirés sur Israël depuis le Liban et Gaza, voire depuis la Syrie, l’Irak et le Yémen.
L’objectif de cette attaque serait de réduire l’importance stratégique d’Israël et de forcer certains de ses habitants à envisager de retourner dans leur pays d’origine. Il a révélé que les amis et les étudiants de Qassem Soleimani partageaient la ferme conviction que cette bataille majeure était imminente et qu’elle obligerait Israël, les États-Unis et l’Occident à faire face à une nouvelle réalité.
«Le Hamas n’aurait pas pu lancer l’opération déluge d’Al-Aqsa sans l’aide d’autres parties»
Ghassan Charbel
Au cours de cette même période, l’ancien chef du Djihad islamique palestinien, le Dr Ramadan Abdallah Shallah, a déclaré que les politiques de colonisation d’Israël et son mépris pour les Palestiniens ne feraient qu’accélérer l’éclatement des confrontations. Il a ajouté que ces affrontements seraient inévitablement plus féroces que les précédents, les résistants ayant reçu de meilleures armes, tout comme leurs alliés.
J’ai pensé à ce «coup dur» lorsque le Hezbollah a commencé à combattre les forces israéliennes depuis le sud du Liban, lorsqu’une poignée de roquettes ont été tirées depuis la Syrie et lorsque les Houthis ont envoyé des roquettes et des drones depuis le Yémen. J’ai également repensé aux attaques lancées par des groupes irakiens contre des bases américaines en Irak et en Syrie.
Plus de quarante jours après l’attaque du Hamas et malgré les pertes massives causées par la guerre barbare d’Israël contre Gaza, le conflit ne s’est pas encore étendu à d’autres fronts et ne s’est pas encore transformé en guerre régionale. Il ne fait aucun doute que la priorité absolue de la communauté internationale devrait être de parvenir à un cessez-le-feu immédiat et à l’acheminement de l’aide à l’enclave assiégée.
Cette demande sera transmise aux capitales influentes par le comité ministériel qui a été formé lors du sommet arabo-islamique qui s’est tenu en novembre à Riyad. Le comité tentera de convaincre les principaux pays que laisser le conflit persister et s’aggraver entraînera des dangers massifs pour le peuple palestinien et nuira gravement aux pays de la région et aux intérêts des grandes puissances qui s’y trouvent. Il insistera sur la nécessité de résoudre le conflit en adoptant fermement et sérieusement la solution à deux États.
Face à la nouvelle Nakba qui se profile à Gaza et qui fait des victimes parmi les civils et entraîne la destruction d’hôpitaux, d’écoles et de maisons, cet observateur se trouve confronté à des questions difficiles. Qui a planifié l’opération déluge d’Al-Aqsa, qui a nécessité des années d’entraînement, de collecte d’informations et de développement technologique, tout en induisant en erreur les services de renseignement israéliens et les drones survolant la bande de Gaza? Le Hamas aurait-il pu prendre tout seul la décision de mener une guerre d’une telle ampleur? Les alliés du Hamas ont-ils été réellement surpris par l’opération ou seulement par son timing? Le Hamas croyait-il vraiment que l’opération allait permettre de porter le «coup de grâce» et que les roquettes allaient pleuvoir sur Israël tout l’hiver?
Yahya Sinwar et Mohammed Deïf pensaient-ils que la réponse d’Israël serait moins barbare? S’attendaient-ils à ce que les tensions s’exacerbent en Cisjordanie ou à ce qu’une guerre régionale éclate? Le Hamas pourrait-il accepter un cessez-le-feu si l’une des conditions était le refus israélien et occidental de le voir revenir au pouvoir à Gaza? Que se passerait-il si la reconstruction de Gaza était liée à l’élimination totale du Hamas de l’équation? Le Hamas serait-il prêt à sacrifier sa présence militaire à Gaza pour que l’option de la solution à deux États revienne sur la liste des priorités des principaux pays et de la communauté internationale?
Le Hamas n’aurait pas pu lancer l’opération déluge d’Al-Aqsa sans l’aide d’autres parties. Un examen rapide des négociations menées par Yasser Arafat avec les différents Premiers ministres israéliens révèle l’ampleur de la cécité politique d’Israël.
Aucun de ces gouvernements n’a tenté de parvenir à un accord avec Arafat. Au contraire, ils se sont employés à essayer de le vaincre et à libérer les colonies et les colons, en repoussant brutalement la main qui leur était tendue.
Israël estimait que les attentats du 11-Septembre, l’invasion de l’Irak et l’émergence de Daech constituaient des occasions pour éliminer les droits des Palestiniens et les Palestiniens en tant que partenaires. On peut même dire qu’il s’est réjoui de la division entre Gaza et la Cisjordanie.
L’affaiblissement de l’autorité du président palestinien, Mahmoud Abbas, représente pour elle un objectif stratégique, même s’il conduit au renforcement des factions à Gaza. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou et les décisions suicidaires de son gouvernement idiot sont probablement les éléments les plus importants ayant ouvert la voie au lancement du déluge d’Al-Aqsa. De même, il ne faut pas oublier le rôle des attentats-suicides des factions palestiniennes qui ont sapé les accords d’Oslo.
D’autres partenaires ont involontairement contribué à ouvrir la voie à l’opération. Les États-Unis ont mis fin à leur rôle de médiateur honnête et n’ont pas essayé de rétablir sérieusement le processus de paix afin qu’il puisse reprendre ultérieurement. Les incursions israéliennes en Cisjordanie ont continué à ronger l’autorité d’Abbas et à affaiblir les institutions palestiniennes. La faiblesse de l’Autorité palestinienne constitue aujourd’hui le principal obstacle à la recherche d’une solution palestinienne pour Gaza après l’instauration d’un cessez-le-feu.
Le Hamas a commis une erreur majeure en pensant qu’il n’aurait pas besoin de la couverture d’Abbas et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Aujourd’hui, la région paie le prix de la réponse barbare au déluge d’Al-Aqsa lancé par le Hamas, que d’autres parties ont contribué à faciliter après avoir rejeté la paix et l’Initiative de paix arabe de 2002.
Ghassan Charbel est le rédacteur en chef du journal Asharq Al-Awsat.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com