Des avions, des avions, des avions

Un avion de combat F-16 de l'armée de l'air israélienne survole la ville de Yokneam Illit dans le nord d'Israël, le 24 mars 2025. (AFP)
Un avion de combat F-16 de l'armée de l'air israélienne survole la ville de Yokneam Illit dans le nord d'Israël, le 24 mars 2025. (AFP)
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Publié le Mardi 25 mars 2025

Des avions, des avions, des avions

Des avions, des avions, des avions
  • Le tueur errant survole les champs de bataille de Gaza et de Cisjordanie
  • Il viole le Liban et n'oublie pas de tirer profit des malheurs de la Syrie

La nuit à Beyrouth était particulièrement agréable. Les cafés en bord de mer étaient pleins jusqu'aux petites heures. La ville a l'art de dissimuler ses souffrances et ses désillusions, de défier la mort et les ruines, et de faire croire au visiteur que de meilleurs jours l'attendent malgré les obstacles. Nous avions pris l'habitude de comptabiliser les pertes et les gains, tout en tentant d'échapper au désespoir. Toutefois, le bruit incessant au-dessus de nos têtes rendait difficile la possibilité d'occulter la souffrance.

Un tueur errant parcourt les cieux. Il ne se fatigue jamais et ne dort jamais. Il compte les respirations et prend des photos. Il cherche sa proie et la tue. Le tueur errant survole les champs de bataille de Gaza et de Cisjordanie. Il viole le Liban et n'oublie pas de tirer profit des malheurs de la Syrie. Il vise un camp en Cisjordanie et une voiture dans le sud du Liban. Ni Gaza, ni Beyrouth, ni Damas ne peuvent lui résister.

Lorsque l'occasion d'une tuerie de masse se présente, le drone se transforme en avion de chasse perfectionné. Des funérailles s'ensuivent. L'intelligence artificielle est redoutable. Elle renforce la capacité des avions à tuer et à ensanglanter les cartes. Les avions sont comme des milices: ils ne respectent ni le droit international ni les frontières.

Je me suis arrêté sur deux articles d'Asharq Al-Awsat. Le premier disait que le commandant de la Force Al-Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique avait transmis un message clair des dirigeants iraniens aux factions irakiennes, leur demandant d'«éviter toute forme de provocation à l'encontre des Américains et des Israéliens» pour ne pas en subir les conséquences. Le second article rapporte les propos du ministre irakien des Affaires étrangères, Fouad Hussein: «L'Irak ne fait pas partie de l'axe de la résistance et n'accepte pas l'unité des arènes. Nous croyons en la seule arène irakienne.»

J'ai également pris note de l'annonce du ministère palestinien de la Santé selon laquelle 50 000 personnes ont été tuées à Gaza depuis le lancement de l'opération Déluge d'Al-Aqsa.

Un général à la retraite a déclaré qu'il craignait que les avions israéliens n'aient rompu «l'équilibre» dans la région de manière plus importante et plus dangereuse que lors de la guerre de 1967. Il a noté que les avions de Benjamin Netanyahou ont complètement éliminé ce qui restait de l'arsenal de l'armée de Bachar el-Assad. Israël a détruit toutes les armes et les installations comme pour s'assurer qu'aucune puissance qui lui serait hostile ne pourrait émerger dans les années à venir. Les autorités syriennes actuelles n'ont eu d'autre choix que de regarder les avions frapper les aéroports, les installations et les casernes.

Les autorités syriennes actuelles n'ont eu d'autre choix que de regarder les avions israéliens frapper les aéroports, les installations et les casernes

                                                       Ghassan Charbel

Les avions ont peut-être voulu faire passer le message qu'il n'y aura pas de stabilité sous le régime du président Ahmad al-Charaa en Syrie s'il n'abandonne pas complètement l'idée d'une confrontation avec Israël. Il doit accepter de retirer la Syrie du conflit israélo-arabe, même si les hauteurs du Golan continuent d'être occupées par Israël. Israël est allé plus loin en exigeant la création d'une «zone de sécurité» à l'intérieur du territoire syrien, menaçant même de jouer la carte de la minorité en sa faveur.

Les mêmes avions ont changé la donne en Syrie. Personne n'avait imaginé à l'époque que, lorsque les jets israéliens frappaient les positions ou les caches des généraux du CGRI en Syrie, le CGRI s'empresserait de fuir la Syrie des années plus tard. Personne n'avait imaginé que les jets provoqueraient la fuite d'Assad et l'apparition d'Al-Charaa depuis le palais où Hafez Assad et son fils avaient l'habitude de s'asseoir.

Les avions ont réalisé un véritable coup d'État en Syrie. Le soi-disant axe de résistance a perdu le maillon syrien de la chaîne qui menait les rêves de Qassem Soleimani jusqu'à la Méditerranée.

Les avions ont excessivement puni le Hezbollah au Liban après que le parti a lancé son «front de soutien» en solidarité avec Gaza à la suite de l'opération Déluge d'Al-Aqsa de Yahya Sinwar. Le Hezbollah a perdu des milliers de combattants et le chef le plus charismatique de son histoire, Hassan Nasrallah. Il s'agit d'un coup d'État évident. L'équation «armée, peuple et résistance» a disparu de la déclaration gouvernementale de Nawaf Salam et le président Joseph Aoun a été clair lors de son discours d'investiture lorsqu'il a parlé du monopole de l'État sur les armes.

Malgré le cessez-le-feu au Liban, Israël poursuit ses tueries. Son hégémonie aérienne n'est pas menacée. Le Hezbollah ne peut manifestement pas reprendre la guerre, compte tenu du nouvel équilibre des forces dans la région.

Les avions ont changé les calculs et les plans. Certaines factions irakiennes étaient tentées d'embêter Israël à distance, comme le font les Houthis. Israël a donc menacé de tourner ses avions vers Bagdad. Téhéran ne peut pas empêcher les avions israéliens de viser ses alliés en Irak. L'Iran lui-même ne peut plus continuer à échanger des coups avec Israël, alors que le dossier de ses installations nucléaires est ouvert à aux négociations américano-israéliennes. L'envoyé de Donald Trump au Moyen-Orient a déclaré cette semaine que l'Iran ne pouvait pas être autorisé à acquérir une bombe nucléaire. «Cela ne peut pas arriver et cela n'arrivera pas», a-t-il déclaré.

Les avions israéliens violent plusieurs cartes. Ils tuent, détruisent et imposent des conditions. Il faut se tourner vers le médiateur américain pour obtenir une protection. Un lourd tribut sera exigé, à commencer par l'abandon de l'axe de la résistance. C'est une réalité dure mais claire. Il n'y aura pas de stabilité en Syrie si elle ne sort pas du conflit. Il n'y aura pas de reconstruction au Liban si le Hezbollah n'abandonne pas ses armes. Les frappes sur le Yémen cesseront lorsque les Houthis cesseront d'attaquer les navires de la mer Rouge et Israël. Il n'y aura pas d'indulgence à l'égard de l'Iran s'il n'abandonne pas son rêve de bombe nucléaire et sa politique de mandataires.

Israël est hostile. Cependant, avions-nous réellement le droit de nous engager dans des conflits violents, tout en ignorant l'immense écart technologique qui nous sépare de ce pays et le soutien sans faille qu'il reçoit des États-Unis?

Les avions m'ont rappelé le poète palestinien intemporel Mahmoud Darwich, qui avait l'habitude d'observer depuis son balcon les avions israéliens qui pilonnaient la capitale libanaise, Beyrouth, alors assiégée par les forces d'Ariel Sharon. Je me suis souvenu de son poème «Telle est son image et voici le suicide de l'amant», dans lequel il dit à plusieurs reprises «des avions, des avions, des avions»  – un terme on ne peut plus approprié pour le titre de cet article.

Ghassan Charbel est rédacteur en chef du journal Asharq Al-Awsat. 

X: @GhasanCharbel

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com