Quelle est la position de l’UE face à la guerre à Gaza? Quelle est la position de l’UE face aux affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan? Quelle est la position de l’UE face à la situation en Libye? La même question pourrait se poser aujourd’hui à propos de la guerre en Ukraine.
La triste réalité est qu’il n’y a pas une réponse unique, mais plusieurs. Il pourrait y en avoir deux au sein des institutions européennes, puis trois ou quatre autres venant d’États membres ayant leurs propres intérêts. Cette situation donne à l’UE et à ses États membres un aspect vulnérable et indécis.
Il faut remédier à cette situation. Si l’on analyse les différentes tendances, on constate que les mêmes débats se poursuivent depuis vingt ans. Il y a trois points de vue différents. Le premier soutient que l’UE doit évoluer vers le modèle d’une confédération ou d’une fédération. Le deuxième dit que tout va bien. Et le troisième favorise le retour à des États-nations individuels forts.
Si nous n’adoptons pas la première solution, il serait préférable que chaque État membre reprenne le processus décisionnel en main. Il s’agit d’une question profonde qui mérite une introspection allant au-delà de la stratégie.
Elle soulève la question suivante: la souveraineté de l’UE peut-elle exister tout en préservant les intérêts et la souveraineté de chaque pays? Cela suppose également de savoir à qui l’UE doit rendre des comptes: aux États membres ou à leurs citoyens?
Je crois fermement que l’Europe doit atteindre une autonomie en matière de politique étrangère et militaire. Dans le cas contraire, elle cesserait d’avoir un véritable objectif et ferait mieux de redevenir une simple zone économique, commerciale et de coopération.
Dans un contexte d’instabilité géopolitique croissante, il ne peut y avoir une autre couche de confusion en raison de la structure de l’UE. L’absence d’une forte autonomie et souveraineté européennes suggère que les pays feraient mieux de se débrouiller seuls et de veiller à leurs propres intérêts.
«Je crois fermement que l’Europe doit atteindre une autonomie en matière de politique étrangère et militaire.»
Khaled Abou Zahr
Un organisme uni et autonome des affaires étrangères de l’UE signifierait que la voix de l’Europe supplanterait tous les ministères des Affaires étrangères des États membres. En réalité, cela signifierait que tous les bureaux étrangers fusionneraient en un seul bureau européen et que les bureaux nationaux cesseraient d’exister. Ce serait une transition difficile, voire impossible.
Cela s’applique également à l’armée et à la défense. Le manque de coopération industrielle dans le domaine de la défense coûte cher à l’UE. La défense européenne regroupe 27 petites armées nationales dont la disparité nuit à l’efficacité et ne favorise pas l’industrie européenne de défense.
Cela entraîne un gaspillage qui s’explique par l’impossibilité de réaliser des économies d’échelle dans cette industrie, compte tenu de l’absence de concurrence entre les acteurs nationaux qui approvisionnent chacun l’armée de leur propre pays.
Cela est devenu évident il y a quelques années, lorsque six États européens avaient leurs propres programmes de développement de frégates, même si chacun souhaitait en acheter quelques-unes seulement. Si cela était unifié, la chaîne d’approvisionnement militaire européenne aurait été beaucoup plus solide.
Elle aurait par ailleurs soutenu le développement de nouvelles technologies. Près de 80 pour cent des contrats publics de défense sont alloués à des programmes nationaux, malgré la présence de l’Agence européenne de défense, une agence intergouvernementale censée œuvrer pour une réponse commune aux besoins de défense.
Compte tenu des risques géopolitiques actuels et de la guerre à ses frontières, il est urgent pour l’UE d’augmenter sa capacité industrielle et de maintenir le contrôle sur ses chaînes d’approvisionnement.
Le même mal affecte à la fois la politique étrangère de l’UE et son unité de défense. De nombreuses questions se posent lors de l’analyse de la situation en Libye, sur laquelle les pays européens ont des opinions divergentes. Cette situation affaiblit l’alliance transatlantique, qui doit être au cœur de toute stratégie politique et militaire. Il ne fait aucun doute qu’une voix unifiée de l’UE renforcerait la protection et le bien-être de tous ses citoyens.
Khaled Abou Zahr
«Il ne fait aucun doute qu’une voix unifiée de l’UE renforcerait la protection et le bien-être de tous ses citoyens.»
Un autre point important est que la situation actuelle encourage le développement de couches de gestion administrative inutile, gaspillant l’argent des contribuables. Il est important que l’UE rationalise ses opérations et se concentre sur l’efficacité plutôt que des quotas pour chaque pays membre. Un petit gouvernement est toujours un bon gouvernement et il devrait donc s’agir d’une petite structure – à l’opposé de ce qui se passe aujourd’hui.
Le sort et la stabilité de l’Europe et de ses citoyens sont laissés entre les mains de cadres intermédiaires qui n’ont pas le pouvoir de décision nécessaire pour faire la différence. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les dangers de stagnation économique que cela fait peser sur les pays du bloc.
Ici, je ne citerai pas Jean Monnet ou Robert Schuman. Au lieu de cela, malgré le Brexit, je ferai référence à un célèbre discours prononcé par Winston Churchill en 1946 à l’université de Zurich, dans lequel il appelle à la création des «États-Unis d’Europe» et exhorte les peuples du continent à faire fi des tragédies passées de l’Europe et de se concentrer sur l’avenir. Il soutient que «la constitution d’une sorte d’États-Unis d’Europe» était la première étape vers la recréation de la «famille européenne» de justice, de bonté et de liberté. Il ajoute que l’Europe ne peut pas se permettre de perpétuer la haine et les représailles résultant des blessures du passé.
Ce n’est qu’ainsi que les centaines de millions de travailleurs pourront retrouver les aspirations et les plaisirs fondamentaux qui donnent un sens à la vie. Ma crainte est qu’une telle transformation ne puisse se produire qu’après des destructions dévastatrices, comme lors des guerres mondiales. Mais qui va gagner cette fois?
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme de financement axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d’Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com