La rivalité de l'Union européenne avec la Belt and Road marque un changement d’étape pour l’UE

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Publié le Vendredi 27 octobre 2023

La rivalité de l'Union européenne avec la Belt and Road marque un changement d’étape pour l’UE

La rivalité de l'Union européenne avec la Belt and Road marque un changement d’étape pour l’UE
  • Alors que l’initiative chinoise Belt and Road a fait l'objet d'une couverture médiatique massive au cours de la dernière décennie, le projet Global Gateway a fonctionné beaucoup plus discrètement
  • La programmation de la stratégie Global Gateway est le dernier signal d'une nouvelle Union européenne géopolitique

Ces derniers jours ont marqué une sorte de semaine mondiale officieuse de la gestion des infrastructures, avec le 10e anniversaire de l'initiative chinoise Belt and Road (BRI) à Pékin et l’inauguration officielle par l'Union européenne (UE) de son nouveau projet Global Gateway à Bruxelles mercredi.

Inévitablement, de nombreux reportages se sont intéressés aux ramifications géopolitiques de ces deux événements. Aussi importants soient-ils, des organismes allant de McKinsey à la Banque asiatique de développement ont toutefois souligné que ces projets de grande envergure ne sont pas – forcément – en compétition.

La Banque asiatique de développement, à titre d’exemple, prévoit un déficit d'investissement dans les infrastructures de quelque 26 000 milliards de dollars (1 dollar = 0,95 euro) dans cette seule région du globe d'ici à 2030. Pour mettre les choses en perspective, même si la Chine doublait le total des investissements de la BRI au cours de cette période, cela laisserait encore une marge de manœuvre financière pour plusieurs projets du programme Global Gateway de l'UE, qui vise à mobiliser jusqu'à 300 milliards d'euros d'investissements publics et privés dans le monde entier au cours de la période allant de 2021 à 2027.

Pourtant, en dépit de ces faits essentiels, le principal prisme à travers lequel la BRI et le Global Gateway sont souvent perçus est géopolitique. Alors que la BRI a fait l'objet d'une couverture médiatique massive au cours de la dernière décennie, le projet Global Gateway a fonctionné beaucoup plus discrètement, bien qu'il soit largement considéré comme la réponse la plus importante de l'Europe à la BRI à ce jour.

Le principal prisme à travers lequel la BRI et le Global Gateway sont souvent perçus est celui de la géopolitique.

 - Andrew Hammond

Alors que le Global Gateway est dirigé politiquement à Bruxelles, il vise à mobiliser des fonds pour financer des projets d'infrastructure de l'UE à l'étranger. L'objectif de 300 milliards d'euros est basé sur des ressources nationales et européennes provenant d'institutions financières et de banques de développement, avec l'espoir que les dépenses institutionnelles débloqueront également d'importants capitaux privés. Le rôle du secteur privé est renforcé dans le projet de l'UE par le conseil consultatif des entreprises, qui comprend un large éventail d'entreprises, notamment dans les secteurs de l'énergie, des transports et du numérique.

Sur le plan géographique, le projet se concentre sur l'Amérique latine et les Caraïbes, le Moyen-Orient, l'Asie-Pacifique et l'Afrique. Ces régions cibles correspondent largement à l'objectif de l'UE de diversifier ses chaînes d'approvisionnement, compte tenu de sa forte dépendance à l'égard de plusieurs pays phares, dont la Chine. Des dirigeants politiques de plus d'une douzaine de pays en développement ont assisté à l’inauguration de mercredi à Bruxelles, notamment l'Arménie, les Comores, la Namibie, la Mauritanie, le Sénégal, la Somalie, l'Albanie, le Bangladesh, la République démocratique du Congo, l'Égypte, la Géorgie, la Moldavie, le Maroc, le Rwanda et la Serbie.

Si les projets en Afrique et en Amérique latine ont déjà fait l'objet d'une attention médiatique importante, ceux du Moyen-Orient et de l'Asie-Pacifique sont peut-être moins connus. Compte tenu de l'intensification de la concurrence géopolitique dans ces régions, l'UE y renforce son engagement stratégique. Le poids économique, démographique et politique croissant de ces régions en fait des collaborateurs essentiels pour façonner l'ordre international fondé sur des règles et relever les grands défis mondiaux tels que le changement climatique.

Parmi les projets potentiels au Moyen-Orient figure un projet de dessalement de l'eau en Jordanie, qui renforcera la sécurité de l’approvisionnement en eau dans un pays de plus en plus touché par l'impact du réchauffement climatique. Il existe également un projet numérique pour les entreprises et les universités en Égypte et dans plusieurs pays voisins, qui augmenterait la vitesse de l'Internet par le biais d'un câble sous-marin.

Au-delà de ces exemples, les domaines d'intervention du Global Gateway comprennent le climat et l'énergie, avec des investissements dans la lutte contre le changement climatique et la résilience face à ce changement, ainsi que dans les énergies propres, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Les objectifs essentiels de cette initiative sont notamment de contribuer à la sécurité énergétique, d'atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies et de respecter les objectifs du traité de Paris sur le climat.

Ses domaines d'intervention sont le climat et l'énergie, avec des investissements dans les secteurs de la réduction des émissions et de la résilience face au changement climatique.

- Andrew Hammond

Un autre domaine d'intervention est la santé, avec pour objectif de renforcer les capacités dans le monde entier. La priorité sera donnée à la sécurité des chaînes d'approvisionnement pharmaceutique et au développement de la fabrication locale. La pandémie de Covid-19 a révélé les faiblesses des systèmes de santé et la fragilité des chaînes d'approvisionnement en produits pharmaceutiques. Elle a également mis en évidence les écarts importants dans les capacités de production médicale dans le monde.

Un autre exemple est celui des transports, le Global Gateway ayant pour objectif de créer des réseaux de transport durables, intelligents, résilients, inclusifs et sûrs. En Afrique, l'objectif est d'exploiter le potentiel économique d'une zone commerciale régionale.

La création de ces corridors de transport stratégiques, durables et sûrs et le soutien des chaînes de valeur, des services et des emplois profiteront aux industries tant en Afrique qu'en Europe. Les corridors stratégiques proposés utiliseront des réseaux et des services fiables pour assurer une connectivité UE-Afrique meilleure et plus écologique. Ces corridors faciliteront le commerce et la mobilité en Afrique ainsi qu'entre l'Afrique et l'Europe.

L'un des réseaux de transport que l'UE et les États-Unis souhaitent développer est le «corridor de Lobito», qui vise à relier la côte angolaise à la Zambie et à la République démocratique du Congo, où se trouvent d'importants gisements de cobalt, de lithium et de cuivre. En juillet, ces trois pays africains se sont engagés dans le projet, qui reliera la province congolaise du Katanga, riche en minerais, au port atlantique de Lobito, en Angola, en passant par la ceinture de cuivre de la Zambie.

La programmation de la stratégie Global Gateway est le dernier signal d'une nouvelle UE géopolitique. Bien que le projet dispose actuellement d'un financement bien inférieur à celui de la BRI chinoise, il marque néanmoins un changement radical dans l'approche de Bruxelles, qui tente de protéger ses intérêts politiques, économiques et sécuritaires, tout en projetant un bloc fort et compétitif à l'extérieur.

Andrew Hammond est associé à LSE IDEAS à la London School of Economics.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com