Le journaliste de guerre de renom, Kareem Shaheen, a récemment admis sur X: «Je pensais être immunisé contre les images violentes après avoir couvert la guerre en Syrie. Apparemment, ce n'était pas le cas».
Avec plus d'un mois écoulé depuis le début de la guerre d'Israël contre Gaza, la circulation en ligne d’images et vidéos violentes, répandues et intenses dépasse ce que nous avons pu observer dans les conflits précédents, y compris en Syrie et en Ukraine.
Alors que la bande de Gaza subit un bombardement israélien incessant, les journalistes couvrant ces événements subissent également le poids de la guerre. L'assaut d'Israël sur Gaza a un lourd impact sur les journalistes. À ce jour, le Comité pour la protection des journalistes a indiqué qu'au moins 39 journalistes et travailleurs des médias figurent parmi les 11 000 personnes tuées depuis le début de la guerre le 7 octobre. Selon cette organisation, les premières semaines du conflit ont été les plus meurtrières pour les journalistes couvrant le conflit depuis 1992, date à laquelle elle a commencé à recueillir de telles données.
Pendant la guerre en Syrie, le Moyen-Orient a connu le plus grand nombre de journalistes tués, avec une moyenne d'environ 63 par an. En comparaison, la guerre en Irak enregistrait environ six décès par an et le conflit au Yémen cinq. Le nombre de journalistes tués à Gaza a déjà dépassé celui de la guerre en Ukraine-Russie, qui a débuté en février 2022.
Les journalistes qui couvrent le conflit depuis la ville de Gaza opèrent dans des conditions particulièrement périlleuses, confrontés aux frappes aériennes israéliennes, à l’invasion terrestre, et à la perspective de perdre des membres de leur famille. Le chef du bureau d'Al Jazeera à Gaza, Wael Dahdouh, illustre bien ces propos. Ce dernier diffusait en direct des images du territoire assiégé lorsqu'il a appris que sa femme, son fils, sa fille, son petit-fils et au moins huit autres proches avaient été tués lors d'une frappe aérienne israélienne. Peu de temps après, des images en direct montraient Dahdouh entrant à l'hôpital Al-Aqsa pour retrouver le corps de son fils dans la morgue de l'hôpital. Parmi les dernières victimes figuraient le journaliste palestinien Mohammed Abou Hasira, ainsi que 42 membres de sa famille, près de Gaza. Ces drames ne représentent qu'une poignée d'exemples parmi d’autres, mettant en lumière le lourd tribut que les raids israéliens sur Gaza ont fait peser sur les journalistes.
Les journalistes qui couvrent le conflit depuis la ville de Gaza opèrent dans des conditions particulièrement périlleuses
Sinem Cengiz
Malgré toutes les circonstances pénibles, il est important de noter que le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution historique en 2006 appelant à mettre fin à l'impunité entourant le meurtre de journalistes. En 2012, toutes les principales agences de l'ONU ont convenu d'un Plan d'action exhaustif sur la sécurité des journalistes. Les Conventions de Genève offrent également des protections spéciales aux journalistes et au personnel médiatique. Cependant, de telles résolutions et conventions ne pèsent pas lourd pour les pays engagés dans une guerre inhumaine contre les civils. Alors qu'Israël mène ses attaques meurtrières contre Gaza, ce dernier a averti les médias internationaux tels que Reuters et l'Agence France-Presse qu'il ne pouvait garantir la sécurité de leurs journalistes opérant sur place. En agissant ainsi, Israël empêche effectivement les journalistes de couvrir la guerre depuis l'intérieur de la bande de Gaza.
En outre, force est de reconnaître que la désinformation et la propagande sont également des armes de guerre efficacement utilisées par le côté israélien lors du conflit en cours. Depuis la guerre du Golfe, on observe un changement rapide du centre de gravité, passant du pouvoir des armes à celui de l'information. Comme l'a souligné George Orwell en 1946, «le grand ennemi du langage clair est le manque de sincérité». Malheureusement, cette guerre a montré que de nombreux journalistes occidentaux — que ce soit par choix personnel ou sous pression institutionnelle — optent pour le manque de sincérité dans leur couverture de la guerre d'Israël contre Gaza.
Par ailleurs, certains médias occidentaux répètent les erreurs désastreuses commises dans divers autres conflits de cette région. Par exemple, la journaliste de CNN Sara Sidner a dû présenter des excuses le mois dernier après avoir défendu les allégations d'Israël selon lesquelles le Hamas décapitait des bébés, reconnaissant que les rapports n'étaient pas confirmés. À l'ère des réseaux sociaux, chacun partage ce qu'il souhaite. Il existe même des sites web spécialisés dans la publication et la diffusion de fausses informations. On ne peut, peut-être, pas empêcher les individus de déformer les faits, mais il est préoccupant de voir des journalistes, dont la responsabilité est d'informer le public avec rigueur, diffuser de telles nouvelles sans même prendre la peine de s’assurer de leur véracité.
Un autre problème significatif avec la couverture occidentale de la guerre en cours est la narration qu'elle présente. Dans une grande partie de la couverture médiatique occidentale de cette guerre, l'oppression et l'occupation militaire israéliennes de longue date dirigées contre les Palestiniens ainsi que les colonies israéliennes qui ont dévasté la vie des Palestiniens, sont à peine évoquées. C’est à croire que l'attaque du 7 octobre est survenue de nulle part.
Les journalistes choisissent soigneusement leurs termes, les utilisant souvent pour façonner une narration bien spécifique.
Sinem Cengiz
Ainsi, alors que les bombes continuent de s'abattre sur les Palestiniens assiégés à Gaza, deux points cruciaux doivent être soulignés: la nécessité de protéger les journalistes qui risquent leur vie pour couvrir la guerre et le comportement journalistique problématique des médias occidentaux.
Bien que les journalistes façonnent délibérément leurs termes pour influencer la perception, ils portent une grande responsabilité en couvrant le conflit. Ils doivent posséder une connaissance fiable des contextes historiques et idéologiques. Certes, les journalistes ne sont pas des historiens, mais ils ont le devoir d'informer le public sur les événements en cours. Leurs choix des termes, leurs récits, leurs images et leurs vidéos contribuent à l'écriture de l'histoire, d'où l'importance d’être honnête et de raconter les faits dans leur intégralité.
• Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations entre la Turquie et le Moyen-Orient.
X : @SinemCngz
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com