Tout le monde attend l’invasion terrestre. Après tant de frappes et de victimes civiles, Israël se prépare à effectuer une incursion terrestre pour rétablir son prestige. Cependant, avec déjà plus de cinq mille Palestiniens tués, le désir de vengeance du public israélien a-t-il déjà été assouvi? Il est important de délibérer avant de mener une invasion qui pourrait entraîner une guerre régionale, d’autant plus qu’Israël ne pourra probablement pas effacer le Hamas. L’organisation basée à Gaza est différente de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Beyrouth. Une attaque terrestre serait aujourd’hui totalement différente de l’invasion du Liban de 1982.
Il existe une différence majeure entre le Hamas à Gaza et l’OLP à Beyrouth: le premier est autochtone alors que le second ne l’était pas. Quand Israël a resserré son blocus à Beyrouth, les Libanais se sont retournés contre leur invité, Yasser Arafat, et lui ont demandé de partir. Il n’était plus le bienvenu ni ses combattants. Ils sont partis pour la Tunisie. Ce n’est pas le cas avec le Hamas.
Les combattants des brigades Izz ad-Din al-Qassam sont les fils, les frères et les maris du peuple de Gaza. Ils sont dans leur propre espace. Ils en connaissent tous les coins et recoins. On ne leur demandera pas de partir. Le Hamas à Gaza est comme le Hezbollah au Liban. L’attaque de 2006 contre le Liban a-t-elle affaibli le Hezbollah? Pas vraiment. Le groupe a-t-il fait face au même sort que l’OLP en 1982? Non plus.
Toutefois, Israël est aujourd’hui confronté à un dilemme. L’attaque du 7 octobre, au cours de laquelle quelque mille quatre cents personnes ont été tuées, est la plus grande à laquelle Israël a dû faire face depuis sa création en 1948. Certains l’ont comparée au 11-Septembre. Le peuple israélien est en état de choc et il a perdu confiance dans son État et son armée. D’où la riposte violente visant à rétablir le prestige de l’État et à retrouver la confiance du peuple. Comment l’Israélien moyen peut-il reprendre confiance dans la capacité de son gouvernement à le protéger si le Hamas est toujours en vie? C’est pour cela qu’Israël veut «couper la tête du serpent», comme je l’ai entendu de plusieurs sources.
Néanmoins, ce n’est pas chose faite. Tenter de restaurer son prestige pourrait entraîner une nouvelle perte de prestige si les forces de défense israéliennes devaient subir de nombreuses pertes humaines sans éradiquer le groupe. Entrer à Gaza ne sera pas de tout repos. L’opération terrestre pourrait être «Mogadiscio sous stéroïdes», selon l’ancien général américain David Petraeus. «Vous verrez des kamikazes et des engins explosifs improvisés. Il y aura des embuscades et des pièges», prévient-il.
Pour minimiser ses pertes, Israël intensifie sa campagne de bombardement pour se préparer à une invasion terrestre. Cependant, le bombardement d'immeubles résidentiels, d'hôpitaux et d'églises ne rendra pas l’invasion plus facile ou plus sûre pour les réservistes de l’armée, qui ont été appelés au combat. Les bombardements ne garantiront pas le succès de l’opération.
«La puissance de feu ne mettra pas fin à cette tragédie. Israël ne peut pas imposer une solution militaire à un problème politique.»
Dania Koleilat Khatib
Depuis qu’Israël a quitté Gaza en 2005 et imposé de façon permanente son blocus en 2007, le Hamas est aux commandes. Israël ne sait pas vraiment quelle infrastructure souterraine le groupe a construite au fil des ans. Lorsque le Hamas a mené l’attaque de ce mois-ci contre Israël, il s’attendait probablement à une réaction violente, y compris une invasion terrestre. Quel était le plan du Hamas? Entraîner Israël dans la bande de Gaza et le forcer à négocier avec Tel-Aviv? Peut-être, mais c’est difficile à dire. De plus, contrairement à l’OLP, qui opérait seule, le Hamas fonctionne dans le cadre d’un axe.
Le discours dominant à Beyrouth est que le Hezbollah entrera dans le combat si Israël mène une offensive terrestre et commence à piéger le Hamas. Cela signifierait qu’Israël devrait équilibrer ses forces entre deux fronts, sans parler de la Cisjordanie, qui est comme un volcan sur le point d’entrer en éruption.
Même si les forces de défense israéliennes entrent à Gaza et mènent une opération réussie, capturant ou tuant tous les dirigeants du Hamas; même si elles pacifient la Cisjordanie et même si la confrontation avec le Hezbollah demeure limitée aux accrochages à la frontière, Israël ne sera pas en sécurité. Il ne pourra pas couper la tête du serpent. Même si Israël éradique la direction actuelle du Hamas, une nouvelle direction émergera dans dix ans. Même si Gaza est effacée, un autre groupe émergera ailleurs, peut-être à Jénine.
Les brigades Izz ad-Din al-Qassam recrutent des orphelins, de jeunes hommes qui ont perdu leurs parents à cause des bombardements israéliens. Elles recrutent de jeunes hommes aigris qui savent qu’ils n’ont pas d’avenir à Gaza et qui n’ont rien à perdre. Même si l’opération terrestre israélienne est réussie – ce dont on doute fortement – elle donnera naissance à une nouvelle génération d’enfants qui voudront se venger de leurs oppresseurs.
La puissance de feu ne mettra pas fin à cette tragédie. Israël ne peut pas imposer une solution militaire à un problème politique. Un problème politique a besoin d’une solution politique. Thomas Friedman, le chroniqueur pro-israélien, a écrit la semaine dernière un éditorial dans le New York Times intitulé «Israël est sur le point de faire une terrible erreur». Il y reconnaît qu’Israël ne peut pas entrer à Gaza sans avoir une vision politique claire, sinon il ferait ce que les États-Unis ont fait après le 11-Septembre lorsqu’ils ont envahi l’Afghanistan et l’Irak. Il ajoute qu’Israël ne peut pas entrer à Gaza sans exprimer un engagement clair envers une solution à deux États.
Il est facile de faire des hypothèses à distance. La réalité est que les dirigeants d’Israël sont soumis à une énorme pression. À l’heure actuelle, ils sont confrontés à une population en colère qui veut se venger et être rassurée sur le fait que le pays dispose d’une armée et d’un État capables de protéger ses citoyens. Toutefois, une offensive terrestre ratée pourrait avoir l’effet inverse.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com