Vu de Paris, où il y a traditionnellement et pour de nombreuses raisons historiques, une sensibilité particulière pour tout ce qui se passe au Moyen-Orient, la tragédie qui a commencé dans la nuit du 6 au 7 octobre 2023 en Israël et dont on se demande quand et comment tout cela va se terminer, les sangs se glacent, l'effroi est partout.
Il y a eu, jeudi dernier, la condamnation ferme et sans appel des massacres du Hamas par les pouvoirs publics, exprimée avec force et pugnacité par le président de la République. Il n'y a pas de place pour des «oui, mais…», a-t-il déclaré, conviction clairement partagée par le plus grand nombre pour l'honneur de notre pays.
Il faut malheureusement constater ce que j'appellerai «la réjouissance obscène» qui se dissimule et parfois même s'affiche dans certains milieux ou dans certains quartiers où le Hamas et les Frères musulmans sont présents. Les poisons de la haine sont à l'œuvre. La haine des uns suscite la peur et bientôt la haine des autres. Les pogroms odieux du Hamas ont un effet de contagion loin, très loin de Gaza.
Il y a deux jours, dans la journal français Le Figaro, Alain Finkielkraut écrivait: «Quand la riposte de Tsahal prendra toute son ampleur, on peut craindre que l'esprit et la pratique du pogrom ne gagne la France et d'autres pays européens.» Et voilà que la réalité la plus noire rejoint les angoisses du philosophe: à Arras, vieille ville française qui avait la réputation d'être paisible, un ressortissant tchétchène a assassiné un enseignant dans le lycée du centre-ville au nom du Coran! C'est dire à quel point la tragédie qui se déroule en Israël nous impacte directement. Comment, dès lors, s'en désintéresser?
Pourtant, depuis l'origine, les gouvernements israéliens ont toujours voulu écarter l'intervention des puissances étrangères dans leurs affaires, en particulier en ce qui concerne le sort des Palestiniens. Force est de constater, soixante-quinze ans après la création de l'État d'Israël, qu'ils ont échoué à y apporter une solution digne, juste et crédible.
Les poisons de la haine sont à l'œuvre. La haine des uns suscite la peur et bientôt la haine des autres.
Hervé de Charette
Aujourd'hui, le Hamas, qui poursuit l'objectif d'effacer Israël de la carte du monde, dispose d'une force armée puissante qui s'avère capable d'exécuter des pogroms sur le territoire d'Israël. Les autorités les plus avisées de Tel-Aviv s'inquiètent d'une intervention concomitante du Hezbollah à la frontière libanaise, qui serait encore plus dangereuse, et craignent que du coup la Cisjordanie s'enflamme à son tour. On ne sait pas ce qu'il adviendrait en pareille circonstance. Pour Israël, l'échec est total, historique.
J'en tire à titre provisoire deux conclusions. La première: la question palestinienne reste centrale au Moyen-Orient parce qu'elle est désormais portée principalement par l'islamisme radical dont elle est l'aliment le plus fort. La question de l'islamisme radical doit donc être posée à l'ensemble des pays musulmans.
C'est une question de fond sur laquelle des prises de position claire sont nécessaires, en particulier dans le monde arabe. Aujourd'hui, Israël entend détruire les brigades Ezzedine du Hamas, on ne saurait lui en contester le droit. Mais l'enjeu de l'existence même de l'islamisme radical, de son idéologie, de ses objectifs et stratégies, et des soutiens dont il bénéficie est d'une autre ampleur.
Deuxième conclusion: la stratégie «ni guerre ni paix» de Netanyahou et l'objectif de celui-ci de conquérir la totalité de la Cisjordanie par cette voie se heurtent à la réalité du peuple palestinien. Il n'y a pas d'autre solution que de répondre aux aspirations légitimes de ce peuple enfin reconnu dans son identité en Cisjordanie et à Gaza.
Ce n'est pas être antisémite que de constater l'échec israélien, de proposer une autre voie et d'y prêter éventuellement la main. C'est même le meilleur service qu'on puisse rendre à tous les juifs du monde.
Quand viendra l'heure de tirer le bilan de la tragédie en cours, Israël devra refonder son avenir sur des bases nouvelles. Les choix à faire auront alors une portée internationale majeure. Il faudra bien en prendre acte d'une façon ou d'une autre. C'est alors qu'Israël aura besoin de ses amis.
Voilà en tout cas ce que, de Paris, je ressens.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.