Pour la première fois depuis cinquante ans, le Maroc, un pays africain, accueille les réunions du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Il s’agit d’un moment important pour l’Afrique et d’autres pays émergents. Si ce moment est effectivement historique, il est aussi le fruit de deux décennies marquées par l’intensification du développement et de la coopération du Maroc en Afrique. Alors que la France se désengage de la région, ces réunions interviennent à l’aube d’une nouvelle ère de coopération Sud-Sud.
Si l’accueil des assemblées annuelles par le Maroc témoigne de la croissance et de la résilience du pays, il reflète également l’élargissement de son champ d’action en Afrique. Grâce à plusieurs stratégies et à une coopération marquée, l’engagement du Maroc en faveur du développement de l’Afrique lui a permis de se positionner en tant qu’interlocuteur des institutions mondiales au nom du continent.
Comme l’a fait remarquer Nadia Fattah, ministre de l’Économie et des Finances, le Maroc est désormais «le seul pays africain à disposer d’une ligne de crédit flexible, car il bénéficie de la confiance des instances mondiales». Cette confiance, ainsi que l’engagement du FMI à poursuivre les réunions à Marrakech, un mois après un tremblement de terre majeur, interviennent alors que plusieurs nations africaines s’éloignent de l’orbite de la France et se tournent vers leurs pairs continentaux et le monde anglophone. Les voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent pour dénoncer la sous-représentation des pays les plus pauvres ont donné au Maroc l’occasion de plaider en faveur de sièges africains supplémentaires au sein des conseils d’administration des deux institutions, alors que les principaux décideurs du monde se réunissent pour discuter du changement climatique, des réponses aux catastrophes, de l’allègement de la dette et de l’inégalité.
Abdellatif Jouahri, gouverneur de la banque centrale du Maroc, a ouvert la conférence en mettant l’accent sur l’importance de l’engagement du Maroc envers les pays africains à travers la coopération Sud-Sud. Ayant réintégré l’Union africaine en 2017, le Maroc cherche à réformer l’organisation et à améliorer la coopération entre les pays africains. Comme le préconise le roi Mohammad VI, «lorsqu’un corps est malade, il est traité plus efficacement de l’intérieur que de l’extérieur». Depuis lors, le cadre économique du Maroc se focalise sur la coopération entre les pays du Sud, non seulement en renforçant les relations entre les nations africaines mais aussi en favorisant la conclusion d’accords de libre-échange, alors que les échanges avec l’UE ont été compliqués par des restrictions et des crises politiques. Le gazoduc Maroc-Nigeria, conçu pour alimenter treize pays, en est un exemple.
Après pas moins de huit coups d’État militaires au Sahel, avec un sentiment anti-français palpable, les entreprises marocaines poursuivent leur développement en Afrique de l’Ouest. Parmi les investissements et les projets notables figurent Maroc Telecom, le géant marocain des télécommunications, qui opère désormais dans onze pays africains différents, démontrant ainsi le leadership du Maroc en matière de développement économique et de changement social dans les pays africains. L’entreprise publique de phosphates OCP, premier producteur mondial de phosphates et d’engrais, est simultanément devenue un chef de file du développement agricole de l’Afrique. Traitant plus de 70% de l’approvisionnement mondial en roches phosphatées, la croissance récente de l’entreprise a été stimulée par le lancement de la division OCP Africa en 2016. Cette division se concentre sur l’assistance directe aux petites exploitations et leur intégration dans la chaîne d’approvisionnement, soulignant l’importance des acteurs locaux dans l’agriculture pour la sécurité alimentaire mondiale. Dans le vide laissé par la perte d’influence de la France sur le continent, les banques et les investissements du Maroc en Afrique ont surpassé ceux de la France. Les avantages de la collaboration continentale sont évidents dans les statistiques les plus récentes: la Banque africaine de développement classe désormais le Maroc au deuxième rang des investisseurs africains en Afrique subsaharienne[i], ce qui souligne l’engagement du Maroc envers le continent.
Ce changement de garde n’est pas plus pertinent que sur la scène diplomatique. Alors que des dizaines de pays africains se sont affrontés avec le Maroc au niveau de l’Union africaine, ils sont aujourd’hui à l'avant-garde des États qui ont ouvert des représentations consulaires au Sahara. Malgré ses liens de longue date avec le Maroc, la position ambiguë de la France sur la question sahraouie nuit aujourd’hui à ses relations avec le Maroc. Alors que les missions diplomatiques françaises ont reçu l’ultimatum de quitter les États africains, le Maroc a cherché à établir avec ses voisins africains des relations diplomatiques fondées sur la confiance et la compréhension.
L’ouverture récente de nouvelles ambassades au Bénin, au Mozambique, en Ouganda, au Rwanda, en Tanzanie, en Zambie et à Djibouti en témoigne. Soutenus par l’accent mis par le Maroc sur le commerce et le transport, ces liens ne cessent de se renforcer. La compagnie aérienne publique, Royal Air Maroc (RAM), qui est aujourd’hui le principal transporteur reliant l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, s’efforce d’étendre ses itinéraires et prévoit de quadrupler sa flotte pour atteindre 200 appareils d’ici à 2037. Son PDG, Abdelhamid Addou, a déclaré lors des réunions annuelles: «RAM relie le monde à l’Afrique.» Le récent accord avec Air Sénégal contribuera à renforcer davantage les relations entre les deux pays.
Dans un contexte où la France se désengage de plus en plus de l’Afrique, le rayonnement du Maroc montre comment une attention renouvelée pour le continent peut accroître la prospérité grâce à de nouvelles opportunités. Si les concepts de franc centrafricain et de France Afrique sont désormais associés à l’exploitation et à une prospérité unilatérale, l’engagement plus équitable du Maroc porte ses fruits. En dépit des récents revers, l’engagement de la Banque mondiale et du FMI en faveur de l’Afrique témoigne des opportunités qu’elle offre, comme l’a souligné Nadia Fettah: «Les pays émergents ont besoin de soutien, mais l’avenir de la croissance dans le monde dépend aussi de la croissance en Afrique.»
[i] Le département d’État américain a noté cela dans ses Déclarations sur le climat d’investissement pour 2023.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com