Malgré sa rage, Israël doit garder à l'esprit une solution politique

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Publié le Samedi 14 octobre 2023

Malgré sa rage, Israël doit garder à l'esprit une solution politique

Malgré sa rage, Israël doit garder à l'esprit une solution politique
  • L'histoire regorge d'erreurs de calcul et de conséquences involontaires qui se paient généralement au prix fort, ce qui est malheureusement le cas de la situation actuelle à Gaza
  • Un autre désastre a frappé, mais, cette fois, c’était une incursion meurtrière sans précédent du Hamas

Presque cinquante ans jour pour jour après qu'Israël a été totalement pris au dépourvu par une attaque coordonnée égypto-syrienne et qu’il a subi d'immenses pertes, suivies d'un traumatisme de plusieurs décennies, quelque chose de très similaire s'est produit samedi dernier aux premières heures de la journée. Un autre désastre a frappé, mais, cette fois, c’était une incursion meurtrière sans précédent du Hamas.

Nous n'en sommes qu'au tout début de ce qui est désormais une guerre entre Israël et cette organisation fondamentaliste palestinienne contre laquelle Israël s'est engagé. Il n'y a guère de raison de douter du sérieux de son intention, qui est d'éradiquer le Hamas. Tel est l'état d'esprit qui règne non seulement parmi les décideurs en Israël, mais aussi au sein de la population.

Israël est en état de choc. Il est encore en train de digérer l'horreur des massacres de civils et de soldats, mais aussi l'échec total des services de renseignement et l'effondrement non seulement de ses défenses physiques à Gaza, mais aussi de sa conception du Hamas et, plus généralement, du conflit israélo-palestinien.

Ce qui va suivre risque de devenir l'une des confrontations les plus sanglantes entre Israël et les Palestiniens depuis 1948.

– Yossi Mekelberg

C’est tragique, mais ce qui va suivre risque de devenir l'une des confrontations les plus sanglantes entre Israël et les Palestiniens depuis 1948, et l'une des raisons en est que le Hamas s'est surpris lui-même et a «franchi ses limites» de la pire façon qui soit. Il a poussé Israël dans ses retranchements, et ce dernier se sent obligé de réagir violemment. L'histoire regorge d'erreurs de calcul et de conséquences involontaires qui se paient généralement au prix fort, ce qui est malheureusement le cas de la situation actuelle à Gaza.

Il faudra du temps et du recul par rapport à l'assaut du Hamas contre Israël pour comprendre pleinement quelles étaient ses véritables intentions lorsqu’il a lancé une telle attaque terrestre, maritime et aérienne, mais les militants qui l’ont menée ont fait plus de mille morts parmi les Israéliens, pour la plupart des civils, et des milliers de blessés, tout en prenant entre cent et cent cinquante otages. De nombreux autres sont toujours portés disparus. Si telles étaient les intentions initiales de l'organisation, ce dont je doute fortement, l'objectif était de déclencher une guerre dans l'espoir que les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est se joignent à eux et peut-être même que le Hezbollah, au Liban, s'en mêle et déclenche un Armageddon régional.

Mais, dans ce scénario improbable, les dirigeants du Hamas devaient savoir que, en adoptant une telle ligne de conduite, ils signeraient leur propre arrêt de mort. Il est plus probable qu'ils préparaient une opération dont les objectifs étaient beaucoup plus limités: prendre en otage quelques soldats israéliens et faire moins de victimes. Ce à quoi ils ne s'attendaient pas, c'est que le passage de la frontière avec Israël soit si facile en termes de barrières physiques et de réponse militaire, ce qui leur a laissé le champ libre pour entrer dans les villes, les villages, les kibboutz et commettre une terrible atrocité – massacrer des centaines de civils innocents, parmi lesquels de très jeunes gens et des personnes âgées – et faire de nombreux otages.

Si le Hamas pensait également que les divisions internes en Israël se traduiraient par un refus de servir dans le cadre de l'État d'urgence, il ne pouvait pas se tromper davantage. Paradoxalement, elles ont probablement sauvé la peau de Netanyahou sur le plan politique. Du moins pour l'instant.

Ce coup terrible porté à Israël, qui n'a jamais subi de pertes humaines aussi importantes en une journée, et n’a surtout jamais perdu autant de civils, est encore pire que la débâcle de 1973. Toute sa stratégie en matière de relations avec Gaza et surtout avec le Hamas s'est effondrée en l'espace de quelques heures, mettant à mal sa force de dissuasion et sa crédibilité militaire non seulement vis-à-vis des Palestiniens, mais aussi dans toute la région.

Toute la stratégie d'Israël dans ses relations avec Gaza et surtout avec le Hamas s'est effondrée en l'espace de quelques heures.

– Yossi Mekelberg

L'échec d'Israël en matière de renseignement va bien au-delà de l'incapacité à recueillir des informations crédibles auprès de son réseau d'informateurs ou de ses moyens de renseignement numériques. Il concerne l'ensemble de ses hypothèses sur les intentions et les capacités du Hamas. Les échecs qui ont conduit à cette calamité remontent jusqu'au sommet du gouvernement, y compris – et surtout – jusqu’au Premier ministre, Benjamin Netanyahou.

Pendant des mois, voire des années, les stratèges israéliens ont cru que, en améliorant quelque peu les conditions économiques dans la bande de Gaza, en permettant à un plus grand nombre de Palestiniens de Gaza de travailler en Israël et à une plus grande quantité de marchandises d'entrer et de sortir du territoire, le Hamas serait plus enclin à gouverner la bande. Ils pensaient que cela contribuerait à accroître son pouvoir politique tout en lui évitant une confrontation militaire avec une puissance bien supérieure. Bien que rien ne puisse excuser le meurtre d'innocents, c'est le refus de comprendre que des conditions telles que celles qui ont été créées à Gaza engendrent l'extrémisme qui fait partie de cet échec théorique.

Lorsque cette guerre sera terminée – et l'on ne peut qu'espérer que le fait de cibler des civils ne sera pas devenu une priorité –, il est inévitable qu'une enquête officielle soit menée pour examiner ces échecs opérationnels et déterminer qui en est responsable. Entre-temps, alors qu'Israël est en deuil et enterre ses morts, il s'est également lancé dans des représailles massives et prolongées.

Depuis son opération meurtrière et infructueuse de 2014 à Gaza, Israël a évité d'envoyer des troupes au sol dans le territoire, mais il a maintenant mobilisé une grande partie de sa force de réserve et est prêt à entrer dans la bande de Gaza. Après avoir tenté de trouver une coexistence difficile avec le Hamas, Israël cherche désormais une solution militaire à ce qui s'est passé à Gaza, ce qui pourrait s'avérer tout aussi contre-productif.

La colère des Israéliens face au carnage et à la prise d'otages est profonde et naturellement dirigée contre le Hamas, mais elle s’adresse également au gouvernement israélien, qui a laissé tomber son peuple sur les questions les plus importantes dont il a la charge: leur vie et leur sécurité, ainsi que celles de leurs familles. Malgré la rage justifiée des Israéliens, toute opération à Gaza ne devrait pas être une question de vengeance et de revanche – et elle doit absolument éviter une catastrophe humanitaire pour les Palestiniens qui y vivent. Israël a la possibilité d'entrer en guerre tout en ayant à l'esprit une solution politique qui mette fin au blocus de Gaza et ouvre la voie à une coexistence pacifique avec Gaza et sa population, ainsi qu'avec le reste des Palestiniens.

Aussi farfelu que cela puisse paraître aujourd'hui, c'est ce que font les hommes d'État et les grands stratèges: regarder au-delà de la guerre et planifier la paix après cette dernière. L'une des raisons de l'attaque du Hamas contre Israël était son désir de faire dérailler le processus de normalisation des relations d'Israël avec les autres pays de la région. En lançant une réponse aussi prudente et mesurée que possible, en ciblant les auteurs de l'atrocité et eux seuls, Israël renforcera sa sécurité à long terme et sa légitimité dans la région.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

X: @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com