La nouvelle Communauté politique européenne, composée de près de cinquante nations, s’est réunie jeudi pour la troisième fois. Ce groupe a suscité beaucoup d’intérêt médiatique depuis sa création en 2022, mais le débat autour de son objectif principal n’a pris de l’ampleur que ces dernières semaines.
Le mandat de l’organisme ne sera pas finalisé par les quarante-sept dirigeants réunis en Espagne. Un nouveau point a été soulevé lors des discussions par un groupe de travail franco-allemand – le Conseil des affaires générales. Ce dernier a conclu, dans son influent rapport de septembre, que dans un paysage institutionnel déjà saturé, la «Grande Europe» a besoin d’une nouvelle architecture politique.
Ce qui est spécifiquement proposé, ce sont quatre cercles superposés. Premièrement, un noyau interne, ou «coalition de volontaires», comprenant les États européens sélectionnés, comme l’Allemagne et la France, qui sont prêts à aller plus loin et plus rapidement dans l’intégration. Deuxièmement, le reste des vingt-sept États membres de l’UE. Troisièmement, les «membres associés» de l’UE, soit la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein, qui font entièrement ou partiellement partie du marché unique de l’Union européenne (UE).
Il resterait alors un quatrième cercle extérieur de la Grande Europe qui comprendrait: le Royaume-Uni; les États des Balkans occidentaux (Albanie, Macédoine du Nord, Kosovo, Serbie, Bosnie-Herzégovine et Monténégro), identifiés par Bruxelles comme candidats ou candidats potentiels à l’adhésion à l’UE; la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine, qui ont toutes demandé à rejoindre l’UE après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022; l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Turquie, mais aussi Saint-Marin, Andorre et Monaco.
Compte tenu de la nature extrêmement diversifiée de ce cercle extérieur, qui comprend un ancien pays de l’UE (le Royaume-Uni), de futurs membres potentiels comme l’Ukraine et la Turquie et des États qui ne rejoindront probablement jamais l’UE comme l’Arménie, on ne sait toujours pas si la formation de ce nouveau club constituera un moment important dans le projet d’intégration de l’Europe qui dure depuis plusieurs décennies, ou ne sera qu’une simple note de bas de page dans son Histoire.
«La Communauté politique européenne pourrait servir de passerelle vers une UE plus grande et de cadre pour une intégration continentale plus durable.»
Andrew Hammond
La question décisive à laquelle sont confrontés les dirigeants de la Communauté politique européenne est de savoir comment les membres d’un groupe aussi vaste peuvent travailler ensemble de la meilleure manière possible d’un point de vue économique et politique sur les questions «douces» comme l’énergie et le climat, sans parler de questions «difficiles» comme la sécurité, étant donné que certains membres sont des ennemis bilatéraux, soit la Turquie et la Grèce ou l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Cette initiative doit également se faire sans secrétariat central, personnel permanent ou même ressources financières importantes. Le seul objectif officiel et explicite de cet organisme est de servir de forum de discussions politiques et stratégiques, à l’instar du Groupe des sept (G7) ou du Groupe des vingt (G20).
Des dirigeants comme le président français, Emmanuel Macron, espèrent que la Communauté politique européenne pourra être efficace pour traiter ces questions européennes communes en raison de l’exclusion de la Russie, dont l’adhésion à d’autres organisations, notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pose des défis importants. De même, la structure flexible de la nouvelle communauté et l’accent mis sur les relations bilatérales pourraient permettre aux dirigeants de se concentrer sur leurs propres préoccupations, contrairement à d’autres organismes dotés de procédures plus officielles, comme le Conseil de l’Europe.
Un autre objectif essentiel pour bon nombre des vingt-sept États de l’UE est d’intégrer davantage les pays candidats, dont certains, comme la Turquie, perdent patience dans leur très longue attente d’adhésion au bloc. Ainsi, la Communauté politique européenne pourrait servir de passerelle vers une UE plus grande et de cadre pour une intégration continentale plus durable, en établissant un consensus entre les États participants et l’UE dans des domaines comme l’énergie et la défense. Elle pourrait alors tenter de contrer les tentatives de la Russie et de la Chine d’étendre leur influence sur le continent, en particulier aux périphéries Sud et Est.
Un autre moteur de la communauté est le Brexit. Celui-ci modifie déjà les relations de l’UE avec certains autres pays européens non-membres de l’UE, notamment la Norvège, la Suisse, le Liechtenstein et les États non-membres de l’UE dans les Balkans. Chacun de ces États a développé des relations avec l’UE qui – de toute évidence dans le cas de la Norvège et de la Suisse – étaient destinées à servir de moyen pour atteindre éventuellement une adhésion à l'UE, ou du moins à des relations plus étroites avec le bloc. Le Brexit n’a pas encore inversé ces processus, l'adhésion éventuelle au club de Bruxelles restant une option, mais il ouvre de nouvelles possibilités de relations futures centrées sur le maintien de la non-adhésion.
Les décideurs parmi ces États ont profité du vote sur le Brexit pour soulever des questions se rapportant à l’avenir de leurs relations avec l’UE. Quelques discussions limitées ont porté sur la question de savoir si le Brexit pourrait donner lieu à une refonte radicale de l’architecture institutionnelle européenne. Ces projets ambitieux ont disparu, mais ils laissent entrevoir des possibilités de changements futurs, potentiellement via la Communauté politique européenne.
À titre d’exemple, la communauté a établi un nouveau contexte permettant au Royaume-Uni de conclure de nouveaux accords post-Brexit avec certains États membres de l’UE afin d’accroître la coopération bilatérale, dans ce que le Premier ministre, Rishi Sunak, a qualifié de «nouvelle phase de coopération entre le Royaume-Uni et l’UE». Londres a, par exemple, accepté de rejoindre au moins un projet relevant de la Coopération structurée permanente – une structure européenne de coopération en matière de capacités militaires.
Le Royaume-Uni a également rejoint le groupe de Calais, où des discussions sur la traversée des migrants de la Manche se tiennent avec la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas. En outre, Londres a également repris sa coopération avec la Coopération énergétique de la mer du Nord, un organisme composé de huit membres de l’UE et de la Norvège, dans le but de développer les énergies renouvelables offshore.
Dans l’ensemble, il semble de plus en plus clair que la Communauté politique européenne a le potentiel de marquer un moment important dans l’Histoire de l’intégration européenne au cours des années à venir. Cependant, on ne sait toujours pas si cette promesse sera tenue.
Andrew Hammond est chercheur associé au LSE IDEAS, à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com