Pendant que l'attention internationale était principalement concentrée sur les événements tragiques des mouvements migratoires en Méditerranée et sur les propos vigoureux tenus à ce sujet par le pape François en visite à Marseille, un autre drame s'est déroulé dans le Caucase, qui fait comme un écho douloureux au génocide subi par les Arméniens au début du siècle précédent: c'est le conflit mené par l'Azerbaïdjan pour reprendre le contrôle du Nagorny Karabakh, une province peuplée principalement d'Arméniens.
La Transcaucasie est une région complexe où cohabitent non sans mal trois pays, la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie, avec des cultures assez profondément différentes, trois langues et autant de religions, dans un espace généralement considéré comme un passage décisif entre l'Europe et l'Asie. Annexés au sein de l'URSS dans les années 1920, ces pays ont retrouvé leur indépendance en 1989 avec l'effondrement de l'Union soviétique, faisant de nouveau apparaître, hélas, des conflits ancestraux.
Le Haut-Karabakh est l'un de ceux-là. Peuplé de 120 000 ressortissants arméniens, c'est un territoire plutôt montagneux situé au sein de l'Azerbaïdjan, mais à proximité de l'Arménie, à laquelle il est relié par une seule route, le corridor de Latchine.
Entre l'Arménie chrétienne et les Azéris musulmans turcophones, les haines sont anciennes et profondes. La cohabitation est improbable. En 1991, l'Arménie, profitant de l'état de faiblesse de l'Azerbaïdjan, a lancé une guerre qui a fait 30 000 morts pour conquérir ce territoire. Par la suite, toutes les tentatives de négociation ont échoué, jusqu'à ce que l'Azerbaïdjan, enrichi par le commerce de son pétrole et de son gaz et soutenu par la Turquie, reprenne les combats en 2020 et occupe une grande partie des territoires perdus. Appelée au secours par les Arméniens, la Russie finit par imposer un cessez-le-feu et le maintien de l'autonomie du cœur de la province du Haut-Karabakh, alors placée sous la protection de soldats russes du maintien de la paix.
Il s'agit d'obtenir du gouvernement de Bakou les garanties nécessaires pour la population d'origine arménienne du Nagorny Karabakh, condition d'une stabilisation durable. C'est le sens de la rencontre organisée aujourd’hui à Madrid par l'Union européenne, avec la France et l'Allemagne, où le président azéri, Ilham Aliev, et le président arménien, Nikol Pachinian, ont accepté de se rencontrer.
Hervé de Charette
C'est la situation, par nature temporaire, que Bakou vient de bousculer. Toujours avec le soutien de la Turquie, l'armée azérie a fermé le corridor de Latchine, assiégé pendant plusieurs mois le territoire du Haut-Karabakh et entrepris d'en reprendre le contrôle par la force. La Russie, qui désormais ménage l'Azerbaïdjan, le pays le plus important de la zone, laisse faire. Le pouvoir arménien se tient en retrait, ce qui est plus surprenant, mais montre la faiblesse et la solitude de ce petit pays d'à peine trois millions d'habitants. Comme souvent, l'Europe est aux abonnés absents. Le Haut-Karabakh, livré à son sort, capitule.
Une réelle menace pointe à l'horizon: celle d'un nettoyage ethnique. Les Arméniens du Haut-Karabakh essaient de négocier des garanties avec le pouvoir azéri. Mais ce dernier ne veut pas reconnaître le particularisme de cette enclave ni lui accorder la moindre autonomie. Il semble en fait que le gouvernement de Bakou veuille pousser, sans le dire, la population locale à se réfugier en Arménie, et on peut redouter que ni la Turquie ni la Russie ne feront quoique ce soit pour s'y opposer. Sur place, déjà, les intéressés font leurs valises et se préparent à l'exil.
En outre, on peut craindre que le gouvernement azéri ne s'en tienne pas là et veuille saisir cette occasion pour exiger de l'Arménie des concessions territoriales lui permettant d'accéder au territoire de la République autonome du Nakhitchevan, une province azérie enclavée entre la frontière turque et l'Arménie. Une telle perspective achèverait d'isoler l'Arménie et de compromettre son avenir.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, regarde son voisin azéri turcophone comme un peuple frère: «Une nation, deux États», a-t-il dit. C'est assez audacieux, mais c'est dans cet esprit qu'on le voit agir pour asseoir son contrôle sur la région caucasienne, lui assurant un accès facilité à la mer Caspienne et à l'Asie centrale, sur les traces de l'Empire ottoman. Sur sa route, les Arméniens ne sont qu'un fétu de paille.
Seule l'Europe peut encore espérer arrêter le cours des événements et tenter en urgence une médiation pacificatrice. Il s'agit d'obtenir du gouvernement de Bakou les garanties nécessaires pour la population d'origine arménienne du Nagorny Karabakh, condition d'une stabilisation durable. C'est le sens de la rencontre organisée aujourd’hui à Madrid par l'Union européenne, avec la France et l'Allemagne, où le président azéri, Ilham Aliev, et le président arménien, Nikol Pachinian, ont accepté de se rencontrer. Est-il encore temps?
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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